Après la grève des métallos

Brésil, le premier congrès du Parti des travailleurs

Les quarante et un jours de grève des métallurgistes de l’ABC, en avril et mai derniers, ont arraché le masque de l’ouverture dont cherchait à se parer la dictature militaire.

La suspension et l’arrestation des dirigeants syndicaux, l’occupation de leurs locaux, ont confirmé le refus des droits les plus élémentaires de grève et d’association. Plus de mille travailleurs actifs dans la grève ont été arbitrairement licenciés et certains projets gouvernementaux prévoient un assouplissement étroitement contrôlé du statut de travail, avec maintien d’un encadrement strict de la classe ouvrière.

Le gouvernement a d’autre part confirmé l’ajournement des élections municipales initialement prévues pour la fin de l’année en cours, sans toutefois préciser si les maires en exercice resteraient à leur poste ou s’ils seraient purement et simplement remplacés par des maires nommés. Alors que l’amendement sur le retour à l’élection directe des gouverneurs d’États n’a toujours pas été adopté, malgré le soutien de députés du parti gouvernemental (PDS), alors que leur chef de file Flavio Marcilio prône le retour à l’immunité parlementaire, une procédure de cassation a été engagée contre le député d’opposition Joao Cunha, seulement pour avoir traité de « bande de clowns » la douzaine de généraux les plus haut placés. Les élus du Parti démocratique du travail (PTD) de Leonel Brizola, sont également frappés de poursuites pour avoir qualifié les juges du tribunal électoral qui leur ont confisqué le sigle du PTB, de « pots de chambre du pouvoir ».

Toute la presse s’attend à de nouveaux durcissements du régime aussitôt après la visite du pape.

Cette éventualité est renforcée par le fait que la récession est quasi certaine au Brésil pour le second semestre de l’année.

La dette extérieure, qui d’après certaines sources officieuses aurait déjà atteint en 1979 54 milliards de dollars au lieu des 50 officiellement reconnus, aurait encore augmenté de 2 milliards pendant les quatre premiers mois de l’année. Elle dépassera largement les 60 milliards à la fin de 1980. Le taux d’inflation, qui a dépassé les 94 % de mai 1979 à mai 1980, tend irrésistiblement à percer le plafond de 100 %. Le taux de chômage dans la population active de Rio et de Sao Paulo atteindrait respectivement 8 et 7 % selon de récentes statistiques plus fiables que les précédentes.

Pour le moment, la politique du ministre de l’Économie, Delfim Neto, qui consiste à engager le Brésil dans la bataille de la concurrence internationale pour l’exportation (en tirant parti des récentes dévaluations du cruzeiro), ne semble pas fondamentalement modifiée. Les perspectives de coopération accrue avec l’Argentine et les pressions des grandes multinationales se conjuguent pour pousser à un abaissement des taxes à l’importation. Ainsi, Ford veut obtenir pour ses chaînes de montage le droit d’importer 35 à 50 % des composants au lieu des 15 % actuels. Une partie du patronat brésilien lui-même envisage ce défi de la concurrence internationale comme un stimulant bénéfique pour le capital brésilien, trop enclin par les lourdes protections étatiques à somnoler dans des placements spéculatifs.

Les partisans d’un redéploiement plus énergique semblent avoir marqué des points. Vidigal, partisan d’un repli de l’État, supplante De Nigris, plus lié à l’appareil d’État. Le général Serpa, chef d’état-major, considéré comme ultranationaliste, a été mis à la retraite anticipée. Le gouvernement vient en outre de décider une réduction de 15 % de l’investissement des compagnies publiques.

Une concurrence internationale plus libre portera des coups prévisibles à certains secteurs archaïques de l’appareil de production (comme ce fut le cas en Argentine), mais elle ne signifierait pas nécessairement la même austérité pour tous les secteurs de la classe ouvrière. Les multinationales ont fait au Brésil des investissements durables, misant sur les ressources du marché intérieur. Les exportations de la Volkswagen brésilienne ne représentent déjà que 10 % de son chiffre d’affaires. Ces firmes ont donc la possibilité d’accorder des concessions salariales pesant dans le sens de la différenciation de la classe ouvrière et de l’essor de la consommation. Certaines qui souhaitaient négocier avec les métallurgistes en grève, en ont été empêchées par le gouvernement, par crainte des effets politiques et sociaux en chaîne que pourraient avoir des concessions substantielles.

Si les banquiers internationaux manifestent une certaine inquiétude devant l’épuisement du miracle brésilien et si certains d’entre eux préfèrent couper les crédits pour mieux répartir leurs risques sur le plan international, leur réunion au sommet à Londres à la mi-juin, a confirmé leur soutien à l’économie brésilienne. Nicolas Barletta, président de la Banque mondiale pour l’Amérique latine, a clairement recommandé la poursuite des investissements au Brésil, de même que son collègue Bolin, vice-président de la Banque d’Amérique. Quand à Helmut Beckerman, l’un des directeurs de la Deutsche Bank, fortement engagée au Brésil (notamment dans le programme nucléaire), il déclarait : « Les banques sérieuses ne vont pas dans un pays pour quelques mois, mais pour des années. Nous sommes prêts à aider nos amis dans les mauvais moments comme dans les bons. » Ces prises de positions ne peuvent que conforter les capitalistes brésiliens dans l’idée que « tant que General Moiors ne fera pas faillite, le Brésil ne fera pas faillite ».

Pour se préparer à affronter ces nouveaux bouleversements, le mouvement ouvrier renaissant doit affirmer et consolider son indépendance. Il doit également engager sans délai ni concession la lutte pour le renversement de la dictature militaire et pour imposer les libertés démocratiques. Ce sont là les axes les plus immédiats de la mobilisation.

La première rencontre nationale du Parti des travailleurs (PT) s’est tenue à Sao Paulo, le dernier week-end de mai. Les 400 délégués représentaient déjà plus de 26 000 militants organisés dans 23 États. Les conditions de reconnaissance légale étant réunies dans 12 États, il ne paraît pas impossible de réunir pour les élections législatives prévues en 1982 les conditions de légalisation du parti à l’échelle nationale, malgré les obstacles juridiques prévus par la loi sur les partis politiques.

Le texte programmatique adopté par cette rencontre du 29 mai, pour « une société sans exploitation », est plus flou que les documents de fondation du Parti des travailleurs. Il définit le PT comme un « parti différent de ceux que les puissants ont imposés par le passé et tentent d’imposer aujourd’hui, un parti fait par nous et pour conduire nos luttes, un parti des travailleurs ». Mais la formule populaire d’un « parti sans patrons » a disparu, de même que la référence au socialisme, La perspective centrale avancée ne va pas au-delà de la conquête de la démocratie.

Si la perspective d’une centrale unique des travailleurs est maintenue dans la plate-forme de lutte, les revendications portant sur les nationalisations des secteurs clés de l’économie et des multinationales, ont disparu, de même que le contrôle ouvrier qui figurait dans les textes précédents.

Le mot d’ordre d’Assemblée constituante disparaît de la plate-forme alors que tous les partis de l’opposition respectueuse, qui en font mention dans leurs programmes officiels, se gardent bien d’engager la lutte sur ce point au moment où la négation des libertés élémentaires le met plus que jamais à l’ordre du jour. Enfin la formule de « gouvernement des travailleurs » disparaît au profit « d’une alternative de pouvoir pour les travailleurs et les opprimés ».

Mais si la grande presse a salué ce congrès comme une victoire des modérés, regroupés autour de Lula, plus que jamais auréolé de l’énorme prestige des métallos de l’ABC, sur les courants d’extrême gauche, ce n’est pas à partir d’une exégèse de textes. C’est bien davantage au vu de la direction issue de la rencontre : il s’agit d’une liste homogène conduite par Lula, d’où disparaît Paolo Skromov, dirigeant du syndicat du cuir de Sao Paulo, qui symbolise depuis le début la conception la plus radicale et classiste du PT.

Cette éviction devait soulever la protestation d’une série de délégués, dont le porte-parole, Raul Pont, déclarait dans une intervention lue au moment de l’élection : « Il ne s’agit pas de votes nominaux ou d’inclusions de noms plus indiqués, mais clairement de l’exclusion de camarades identifiés à une conception déterminée du Parti des travailleurs. Quelle est cette conception ? Simplement la conception qui a présidé au lancement du PT : celle selon laquelle notre parti est un mouvement pour l’indépendance politique des travailleurs, un effort des travailleurs pour construire un parti à nous, sans patrons, qui lutte pour le pouvoir des travailleurs, pour un gouvernement des travailleurs. Celle selon laquelle le PT est un parti, et non un front de groupes de gauche ou un front populaire. Telle est la conception du PT aujourd’hui exclue de la commission de direction provisoire ».

Inprecor n° 81 du 10 juillet 1980

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