ETA, faute politique, faute morale

L’exécution par l’ETA du conseiller Miguel Angel Blanco1 est un crime politiquement désastreux et moralement odieux.

Nous n’oublions pas une seconde les responsabilités écrasantes de l’État espagnol et de ses gouvernements successifs. Nous n’oublions pas le terrorisme d’État et les assassinats perpétrés par le Gal. Nous n’oublions pas les conditions de détention des quelque six cents prisonniers basques et leur dispersion dans les prisons du pays, à des centaines de kilomètres de leurs familles. Nous n’oublions pas l’intransigeance du gouvernement Aznar face à des revendications démocratiques élémentaires et légitimes.

Mais la mise à mort annoncée de Miguel Angel Blanco et sa mise en scène macabre sont politiquement désastreuses. Elles ont un résultat exactement contraire à l’objectif annoncé, en dressant contre les militants indépendantistes quels qu’ils soient une union sacrée sans précédent. Certes, en appelant à serrer les rangs autour du gouvernement et à défiler derrière Aznar, les partis d’opposition socialiste et communiste, endossent la lourde responsabilité dans la légitimation de la chasse aux sorcières et dans le climat de lynchage que ne manqueront pas d’exploiter les courants les plus réactionnaires et revanchards. Mais quiconque a vu défiler dans l’émotion les centaines de milliers de manifestants, jeunes notamment, comprend que les ressorts de cette mobilisation sans précédent sont multiples. S’y mêlent confusément, dans un pays où les traumatismes de la dictature ne sont pas effacés, une aspiration à un ordre sécuritaire et une vaste protestation démocratique et civique qui rappelle la marche blanche des Belges.

Au vu de ces résultats, l’assassinat de Miguel Angel Blanco apparaît, du propre point de vue de ETA, comme une monumentale erreur. Malheureusement, cette erreur obéit à une terrible logique, celle du « qui n’est pas avec moi est contre moi ». À force de se représenter le monde coupé en deux, entre les « patriotes » (abertzales), d’un côté, et tout le reste, de l’autre, complice de l’oppression ou suspect de l’être, on finit par mépriser en bloc « l’opinion publique » et par se soucier comme d’une guigne des solidarités démocratiques et des différenciations sociales susceptibles de s’y manifester.

Ici, la faute politique et la faute morale se confondent. Depuis le début des années soixante, la continuité du sigle ETA demeure. La cause et les méthodes pourtant ont évolué. Je pense aux nombreux militants de la lutte contre la dictature, aux premiers condamnés à mort de ETA, à cette génération que la lutte contre l’oppression franquiste poussait à se tourner vers le monde, vers les luttes de libération à Cuba ou au Vietnam, vers les luttes ouvrières dans l’État espagnol. La revendication nationale les portait à la rencontre de l’autre. Nombre d’entre eux ne pourront qu’éprouver de l’écœurement ou de la révolte à l’idée que leur combat d’hier serve de prétexte aux errements d’aujourd’hui.

Après les immenses manifestations du lundi 14 à Madrid, Barcelone et Bilbao, le risque d’escalade est désormais double. D’un côté, le gouvernement cherchera à pousser l’avantage, à renforcer la répression, à fermer les espaces démocratiques, à mettre hors-la-loi Herri Batasuna. De l’autre côté, ETA risque de s’enfoncer dans la dynamique du défi, seul contre tous, et de la fuite en avant. La seule issue serait pourtant un examen de conscience honnête, public, et une réorientation explicite de Herri Batasuna.

Tous ceux et celles qui ont, au long de ces années, manifesté une solidarité sans faille à la cause basque contre la répression et le terrorisme d’État, contre la collaboration internationale des polices, y sont intéressés au premier chef. Car le chantage à la solidarité ne saurait les transformer en complices d’actes politiquement catastrophiques et humainement révoltants.

« Demande à ETA »

Extrait d’un article publié la veille de l’exécution de M.A. Blanco par trois membres de la revue Zutik : Milagros Rubio, Iosu Perales, Antonio Dupla :

« Nous demandons à ETA de ne pas tuer Michel Angel Blanco. Nous lui demandons d’y renoncer au nom de gens comme nous, qui n’avons rien à voir avec l’État, ni avec ce régime, ni avec les partis et les politiciens médiocres, incapables de trouver la voie du dialogue pour résoudre le conflit dans lequel nous vivons. Nous demandons à ETA de ne pas tuer Miguel Angel Blanco parce que, dans cette histoire, les responsables de la dispersion des prisonniers basques sont ailleurs, bien protégés par une armada policière […]. Nous demandons à ETA de ne pas tuer Miguel Angel Blanco, parce que cela signifierait un coup très dur contre des mois de mobilisations populaires et contre la récente création de plates-formes civiques en faveur du rapprochement des prisonniers. Et cela signifierait aussi un revers sérieux à l’encontre de l’évolution positive de la Commission des droits de l’homme et de nombreuses municipalités basques. Nous demandons à ETA de ne pas tuer Miguel Angel Blanco, parce que, même s’il existe de fortes raisons pour riposter durement à l’intransigeance d’un gouvernement central qui ne respecte pas ses propres lois, sa mort provoquerait une fanatisation accrue contre les prisonniers basques et ferait reculer toute possibilité de les rapprocher du pays. Nous demandons à ETA de ne pas tuer Miguel Angel Blanco parce que nos valeurs morales ne peuvent être les mêmes que les leurs ; en ce trentième anniversaire de la mort du Che Guevara, il est nécessaire de réfléchir au type de société que nous voulons construire, une société libre, plus juste et plus humaine… »

Archives personnelles, parution inconnue, probablement Rouge, juillet 1997

Documents joints

  1. Le 13 juillet 1997. [Titre et note sont de la rédaction du site.
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