Sophie Oudin-Bensaïd

1998, Sophie et Daniel Bensaïd chez eux.

« Sous une chapka, son regard bleu des profondeurs lui donnait un air d’héroïne tolstoïenne ou de princesse des steppes. Ce fut un éblouissement. Un coup de foudre. Comme si la Manon de mon enfance faisait irruption dans ma vie :
Et soudain tout se tait, quand apparaît ManonManon, c’est la beauté, l’ineffable jeunesse… »
C’est ainsi que Daniel avait décrit sa rencontre avec Sophie.Sophie était belle. Nul, il me semble, ne pouvait rester insensibleà l’étonnante pureté des traits de son visage et, pour reprendre encoreles mots de Daniel, à « sa silhouette et sa taille de défi, fièrement cambrée ».
Caroline Oudin-Bastide

« Poème pour ma camarade et amie Sophie » de Serge Pey

Sophie à Bonnieux dans « On est vivants » de Carmen Castillo


Je ne recevrai plus tes lettres

J’ai prises toutes celles qui me restaient

et j’en ai fait une boule serrée

comme un ballon

car ensemble nous aimions jouer


Ainsi ce matin le soleil roule

dans le caniveau comme un ballon 

Mais nous en avons l’habitude

notre partie est infinie

et nous reconstituons chaque jour

notre équipe avec de nouveaux joueurs

que nous ne connaissons pas


Nous jouons sans spectateurs pour nous applaudir

Sans calendrier

Sans récompense

Sans cris et sans sifflet

Sans coupe ni trophée


Les cages de buts sont toujours là

Jamais on ne les enlève

même si nos stadium sont souvent remplis

de nos camarades fusillés

Mais nous jouons partout

dans les rues et les usines


Notre espérance est souvent un ballon crevé

et nous n’avons presque jamais gagné

une seule partie

et quand nous la gagnons

on nous dit que nous ne l’avons jamais gagnée


Mais camarade crois moi

si tu n’es plus là

tu fais toujours partie de l’équipe

car la particularité de cette équipe

est d’être composée 

qui n’existent plus

de joueurs

qu’on voit et de joueurs 

qu’on ne voit pas

Tu appartiens désormais

à cette dernière catégorie

qui est la plus forte


C’est toi qui fais passer maintenant

la balle dans nos pieds 

jusqu’au dernier but


L’équipe adversaire est composée uniquement

d’arbitres qui changent les règles du jeu

chaque fois que nous marquons

et que dans notre camp

nous avons parfois des joueurs qui tombent

ou qui quittent le terrain


C’est pour cette raison que ta présence à nos côtés

est toujours indispensable pour gagner la partie

car les arbitres ne te voient pas

et que c’est nous seulement qui te voyons


C’est notre force à nous :

voir les morts qui nous donnent la main

pour marquer le dernier but

même si la cage des buts

recule sans cesse chaque fois que nous avançons


Serge Pey

Poème pour Sophie Oudin-Bensaïd

écrit le jour de sa mort

le 21 novembre 2018