A propos de « Prenons parti » signé avec Olivier Besancenot

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Cette interview a été mise en ligne par Marianne2 au lendemain du décès de Daniel Bensaïd, sans que la date à laquelle elle a été réalisée ne soit précisée. Elle n’a évidemment pas pu être vérifiée par ce dernier et on a l’impression d’une interview plus longue, parfois par trop condensée. Ce qui explique peut-être certains problèmes comme un usage semble-t-il impropre du terme « marxisme-léninisme » en lieu et place de « stalinisme » (voir ci-dessous).
Pierre Rousset

« Pour un socialisme du XXIe siècle » : c’est le sous-titre de Prenons parti

efn_note]Publié aux Éditions Mille et une Nuits/Fayard (Paris).
N.B. de Daniel Bensaïd, lire également l’essai intitulé Un Nouveau Théologien : Bernard-Henri Lévy, paru, en 2007, aux Nouvelles éditions Lignes (Paris). Bensaïd y réfute, point par point, les « sept péchés capitaux » que Lévy impute, dans son livre Ce grand cadavre à la renverse (publié chez Grasset, en 2007), à la gauche radicale.[/efn_note], le dernier livre de Daniel Bensaïd mort ce 12 janvier 2010. Philosophe et fondateur, avec Alain Krivine, de l’ancienne Ligue communiste révolutionnaire devenue aujourd’hui le Nouveau parti anticapitaliste, Daniel Bensaïd en était son idéologue le plus écouté. Hommage avec ce « grand entretien », l’un des derniers qu’il ait accordé.

Daniel Salvatore Schiffer : Votre dernier ouvrage, intitulé « Prenons parti » et cosigné avec Olivier Besancenot, se révèle être un véritable programme politique, plus qu’un simple manifeste, pour le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), né, il y a quelques mois à peine, sur les cendres de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), dont Alain Krivine fut l’un des pères fondateurs !

postier-1.jpgDaniel Bensaïd : En effet ! Ce livre, contrairement à ce que son titre – « Prenons parti » – pourrait laisser croire, ne se veut pas le manifeste du Nouveau parti anticapitaliste, mais bien une réflexion sur ce que pourrait être, à la lumière de la situation actuelle, le socialisme du XXIe siècle. Cette analyse est celle de deux membres de la LCR, Olivier Besancenot et moi-même, à la veille de sa dissolution.

D.S.-S. : Quelle en est la thèse de départ ?

D.B. : Le diagnostic, sombre, est sans équivoque : le capitalisme est, ainsi que le prouve de manière dramatique la crise actuelle, gravement malade ! Les anticapitalistes ne sont pas les seuls, loin s’en faut, à le constater. Les tenants du nouvel ordre mondial – politiciens, technocrates, bureaucrates, banquiers, patrons, traders et autres spéculateurs – qui jusqu’à peu s’échinaient à nous vanter les mérites de l’économie de marché, le reconnaissent eux-mêmes. Car le monde en sa globalité est entré en récession – c’est là un fait objectif, que plus personne ne nie, y compris dans les partis de droite – depuis l’automne dernier. Mais cette crise, pour planétaire qu’elle soit, s’avère tragique, surtout pour les classes sociales les plus défavorisées : les travailleurs, les ouvriers, les retraités, les chômeurs, les étudiants, pour des familles entières, qui ne savent pas – souvent surendettées qu’elles sont – comment nouer, à chaque fin de mois, les deux bouts. Ce sont elles qui paient le prix le plus cher, alors que les grands patrons et autres financiers continuent à s’en mettre plein les poches grâce à leurs « parachutes dorés », pour cette débâcle du capitalisme, dont les crises sont endémiques : un système, par essence, aussi inégal qu’injuste puisque fondé sur le profit maximal, fût-ce au détriment des plus faibles économiquement. C’est scandaleux, choquant pour le citoyen moyen !

D.S.-S. : Craignez-vous une explosion sociale ? Un soulèvement populaire ? Certains, y compris à droite, parlent même de climat « insurrectionnaire », voire « révolutionnaire » ?

D.B. : Il est clair que le mécontentement s’étend de jour en jour, que l’exaspération monte. Et elle peut gronder, plus fort encore, à la base de la société. Le chômage croît. L’incertitude du lendemain, l’angoisse de perdre son emploi, le désespoir même, sont toujours plus profonds. Nous sommes au bord de la catastrophe. Les syndicats ont toujours plus de mal à contenir leurs troupes lors des manifestations, à endiguer une possible explosion de violence. Les conflits sociaux sont toujours plus nombreux et tendus. Et il n’est pas rare, aujourd’hui, de voir des patrons séquestrés par leurs employés lorsque des usines menacent de fermer. Mais ce qu’il y a de pire, c’est qu’au sommet des hiérarchies capitalistes, dans ses hautes sphères économiques et politiques, les stratèges du capital ne sont même pas d’accord entre eux pour trouver une solution à cette crise, un remède au malaise grandissant, à l’appauvrissement des masses populaires. Au contraire. En France, par exemple, le président Nicolas Sarkozy et le Medef, organisation regroupant les grandes entreprises et présidée par Laurence Parisot, continuent, grâce au bouclier fiscal dont jouissent un petit nombre de privilégiés, à alimenter la détresse sociale. D’où, toujours plus nombreuses, les revendications salariales et, surtout, les préavis de grèves jusqu’à la grève générale, qui pourrait paralyser tout le pays.

D.S.-S. : A ces préavis de grève, vous opposez, dans votre livre, le préavis de rêve. L’expression, certes, est jolie ! Mais qu’est-ce à dire, par-delà ce sympathique jeu de mots, concrètement ? Car, pour révolutionnaire que soit l’actuel climat social, nous sommes cependant loin aujourd’hui, tant le monde contemporain s’avère désenchanté, de cette atmosphère de rêve – tout le monde se souvient de ces slogans : « sous les pavés, la plage » ou « il est interdit d’interdire » – qui présida à la contestation de Mai 68, dont la LCR, avec à l’époque Alain Krivine à sa tête, est issue justement !

D.B. : Ce que nous faisons dans notre livre, Olivier Besancenot et moi, c’est prendre parti contre le capitalisme : nous voulons le renverser ! Et ce afin de bâtir une nouvelle société, solidaire et démocratique. Nous sommes déterminés à ne plus subir, à nous regrouper autour d’une réelle force sociale, à inventer un projet de société aussi révolutionnaire qu’inédit, à construire un véritable parti politique. D’où, précisément, le titre de notre livre Prenons parti : le parti des luttes… la lutte des classes. Car c’est à tous ceux qui aimeraient encore y croire, malgré les énormes difficultés à surmonter, que nous nous adressons là : un message d’espoir, réaliste et non utopiste, en somme !

D.S.-S. : C’est cela, selon vous, le socialisme du XXIe siècle ?

D.B. : Oui. Ce que nous voulons, c’est révolutionner la société dans son ensemble… briser le cercle vicieux de la domination… faire éclore une société sans violences… en finir avec les discriminations, l’injustice et l’inégalité… ne plus perdre sa vie à la gagner… révolutionner le travail… bâtir une société solidaire, fondée sur la solidarité et non pas sur la charité… instaurer une démocratie réellement participative… radicaliser, en quelque sorte, la démocratie.

Internationalisme et altermondialisme

D.S.-S. : Comment ? Sur quelles bases socio-économiques ? Et à partir de quel programme politique ? Car le communisme, fût-il trotskiste (comme vous vous en réclamez) ou marxiste-léniniste, a montré par le passé, lui aussi, ses limites, sans même parler de ses atrocités (voir, ainsi que Soljenitsyne nous l’a révélé, le goulag) !

D.B. : Ce que nous voulons, c’est, justement, militer autrement, sans les abus de pouvoir d’autrefois. Car, conscients de ces erreurs du passé, nous avons fait notre autocritique, bien que le trotskisme n’ait rien à voir avec le marxisme-léninisme [stalinisme1]. Mais ce que, néanmoins, nous prônons aussi, c’est une gauche qui, contrairement à l’actuel Parti socialiste français, ne s’excuse pas, victime d’on se sait quel absurde complexe idéologique, d’être anticapitaliste. Ce que nous souhaitons, concrètement, c’est une démocratie autogestionnaire : nous réapproprier les richesses, reprendre le contrôle. À cela, nous ajoutons une alternative économique : ni dictature de marché, ni despotisme bureaucratique. Nous sommes pour une logique de bien commun, étendue aux services publics, y compris de l’emploi. Aussi désirons-nous interdire les licenciements, augmenter les salaires et les minima sociaux. L’industrie automobile aussi devrait être sous contrôle public, de même que les télécommunications, les transports en commun (que nous voudrons gratuits étant donné le coût du pétrole) et, surtout, le logement… un toit pour tout le monde !

D.S.-S. : L’écologie semble occuper également une place prépondérante au sein de votre programme politique !

D.B. : Exact ! Sur le plan écologique, l’état de notre planète nous préoccupe au plus haut point. D’où une alternative « écosocialiste ». La santé de la planète Terre est, pour nous, une prérogative, à mettre sous haute surveillance. Ainsi l’eau, dont les pays de l’hémisphère Sud ont tant besoin, est-elle, pour nous, un bien commun : un bien non privatisable, un bien de l’humanité !

D.S.-S. : Vous préconisez également, pour « changer le monde » ainsi que vous l’écrivez, ce que vous appelez un « nouvel internationalisme » ! Qu’a-t-il de radicalement différent, cet internationalisme, du mondialisme, cet autre nom, propre au capitalisme, de la globalisation ?

D.B. : Ce qu’il y a d’aberrant, voire de contradictoire dans ce système, c’est que les responsables des deux principaux organismes financiers mondiaux, symboles du capitalisme multinational, sont, paradoxalement, des socialistes… français de surcroît : Dominique Strauss-Kahn pour le FMI (Fonds monétaire international) et Pascal Lamy pour l’OMC (Organisation mondiale du commerce) ! La première des priorités de ce nouvel internationalisme que nous appelons de nos vœux, au NPA, est l’annulation de la dette des pays du tiers-monde, qui sert de moyen de chantage pour perpétuer le cercle vicieux de la dépendance énergétique, technologique, alimentaire et culturelle. Cet effacement de la dette ne serait d’ailleurs que l’abolition d’une forme contemporaine, toute capitaliste et inhérente au libéralisme économique, d’esclavage ! La deuxième priorité, c’est une révolution agraire. La troisième priorité a trait à la politique de migration solidaire. C’est cela, précisément, le mouvement altermondialiste : un moment de la remobilisation sociale contre la globalisation marchande.

Ce à quoi nous aspirons donc, c’est à la fondation d’un nouveau parti de la gauche anticapitaliste européenne : une nouvelle gauche, radicale, de par le monde. C’est cela notre « préavis de rêve » !

Entretien réalisé par Daniel Salvatore-Schiffer
et mis en ligne sur le site de Marianne : http://www.marianne2.fr/Daniel-Bensaid-la-derniere-interview_a183451.html
www.danielbensaid.org

Documents joints

  1. Dans l’interview, il est écrit le « marxisme-léninisme ». Daniel a pu reprendre par lapsus les termes de la question, mais il considérait que le trotskisme avait beaucoup à voir avec le marxisme et le léninisme. Par ailleurs, la formule « marxisme-léninisme » a été utilisée comme un identifiant par les mouvements maoïstes – cependant, il ne s’agit pas d’eux ici mais du stalinisme. Il ne considérait pas non plus que les crimes du stalinisme étaient ceux du « communisme » (note d’ESSF).
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