Bensaïd, écocommunisme prudent

Par Stéphane Lavignotte

La question de l’écologie n’était pas au centre de la pensée de Daniel Bensaïd. Il n’en reste pas moins que dans Marx l’intempestif (Fayard, 1995) puis dans Le Sourire du spectre (Michalon, 2000), il apporte sa pierre à un « éco-communisme à venir ». Il le fait d’abord en corrigeant l’image laissée par Marx et Engels. Pour Marx l’homme est un « être de la nature », le rapport de production est un rapport des humains entre eux mais aussi de l’homme à la nature, sa critique de l’exploitation de la nature et du progrès est empreinte d’inquiétude. Dépassant leurs polémiques avec Malthus et l’ukrainien Podolinsky, Bensaïd prend en compte la question des limites naturelles, invitant la gauche à renoncer au « joker de l’abondance » et donne une grande importance à la thermodynamique, à la bio-économie se référant dès 1995 à Geogescu-Roegen que beaucoup ne découvrirons qu’à partir de 2004 avec le lancement du journal La décroissance. Estimant que l’antiproductivisme de notre temps est nécessairement anticapitaliste, il reprend des thèmes de l’écosocialisme comme le retournement des forces productives en forces destructrices, l’invitation aux écologistes à ne pas oublier les rapports sociaux, les modes de propriété et la nécessité d’une planification démocratique. En philosophe de l’histoire il insiste sur la nécessité de prendre en compte la discordance entre une temporalité sociale rythmée par les cycles d’accumulation du capital et une temporalité écologique déterminée par le stockage et le déstockage de l’énergie naturelle. Les sphères de la marchandise et celle de la nature étant sans commune mesure immédiate, il estime qu’un moyen terme ne pourrait être introduit que par une démocratie radicale imposant aux automatismes marchands une « gestion normative sous contrainte », ouvrant la voie à une « économie morale et enfin politique ».

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