Faut-il participer aux élections ?

ct9-p13.gif

La Distance politique : Pour l’Organisation politique, ne pas participer aux élections est une question de principe. Tel n’est pas ton avis, tel n’est pas l’avis de ton organisation, la Ligue communiste révolutionnaire. Considères-tu cette divergence comme importante ou mineure ?

Daniel Bensaïd : La divergence porte moins sur la participation ou non aux élections que sur le fait d’en faire une question de principe au lieu d’une question concrète, de moment politique (de conjoncture) et de rapports de forces. Évoquer Lénine en la matière ne vaut pas argument d’autorité, bien sûr. J’en reste cependant à la manière, tactique et non principielle, dont il aborde la participation aux élections à la Douma : pour le boycott en 1905, pour la participation en 1906 et 1907 (entre les deux, ce n’est pas la « nature » réactionnaire du parlement tsariste qui a changé, mais la situation du front de classe) ; pour la convocation d’une assemblée constituante en février 1917, pour sa dissolution en décembre. Ce qui est en jeu dans ce pragmatisme, c’est moins une question de principe qu’une conception de l’action politique elle-même et de la stratégie comme art du temps brisé, de la discordance des temps.

« Historiquement », insiste Lénine dans sa polémique avec les communistes de gauche allemands, les formes parlementaires ont sans aucun doute fait leur temps. Mais « politiquement », c’est « une autre affaire » : « Tant que vous n’avez pas la force de dissoudre le Parlement bourgeois et toutes les autres institutions réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions précisément parce qu’il s’y trouve des ouvriers abêtis par la prêtraille et par l’atmosphère étouffante des trous de province ; autrement, vous risquez de n’être plus que des bavards. » Il faut certes faire la part du contexte historique au lendemain de la guerre mondiale. Le raisonnement, qui s’applique aussi au militantisme dans les syndicats, voire en Angleterre dans le parti travailliste, renvoie à des questions de méthode générale et à une conception de l’action politique inscrite dans la durée, dans les flux et reflux de la lutte des classes, irréductible aux seuls moments paroxystiques de la crise révolutionnaire. D’autant que l’irruption et les modalités de cette crise ne sauraient être prévues. C’est pourquoi « la classe révolutionnaire doit savoir pendre possession de toutes les formes et de tous les côtés de l’activité sociale ». Lénine cite en exemple l’affaire Dreyfus comme révélatrice d’une crise globale des rapports sociaux qui fut sur le point de déclencher une guerre civile.

ct9-p13.gif

ct9-p13.gif

Documents joints

Partager cet article