Liban

Les crimes sionistes et la solitude des Palestiniens

Le siège de Beyrouth-Ouest aura duré soixante-dix-neuf jours. Pendant plus de deux mois, l’armée sioniste (Tsahal) s’est acharnée sur la population palestinienne et libanaise. Pour briser la résistance, elle a eu recours aux méthodes les plus barbares : de la privation d’eau et d’électricité à la multiplication des raids de terreur aériens, en passant par les bombes à fragmentation et le pilonnage d’hôpitaux.

II est encore impossible de dénombrer les victimes avec exactitude (17 825 morts et 30 103 blessés d’après les sources officielles libanaises, plus selon les Palestiniens). Un massacre à la dimension de celui de la Commune de Paris de 1871, perpétré jour après jour sous les caméras de toutes les télévisions du monde.

Et pourtant, le monde n’a pas bougé, ou si peu !

Le plan Habib, imposé par l’impérialisme et garanti par la présence des troupes américaines, françaises et italiennes, sanctionne cet isolement : il entérine le maintien des troupes israéliennes et couvre la mise en place d’un régime ultraréactionnaire au Liban. Pour tous ceux qui se sont mobilisés aux côtés de la résistance palestinienne, le combat continue, pour le retrait des troupes sionistes et de toutes les troupes impérialistes du Liban, ainsi que pour la défense des droits démocratiques sous la menace directe des phalanges chrétiennes.

Mais la mobilisation ne sera possible que dans la clarté la plus totale sur les leçons de ces deux derniers mois.

Le sionisme a manifesté sans fard sa nature profonde et sa mission aux côtés de l’impérialisme américain dans la région. De bout en bout, il n’a pu développer son expédition guerrière dans la région que sous la protection diplomatique (exprimée par les votes successifs des États-Unis au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies – ONU) et grâce à l’assistance militaire et économique des États-Unis. L’existence de l’État d’Israël, dans ses structures actuelles, est apparue indissolublement liée au grand arrière impérialiste.

L’État sioniste a également manifesté au grand jour sa structure coloniale. Dès l’origine, il s’est fondé sur l’expulsion des travailleurs et des paysans arabes du processus de production, sur l’expropriation de leurs terres et sur la discrimination raciale. Dans la brutale franchise de ses escarmouches avec le président français François Mitterrand, Menahem Begin, le Premier ministre israélien, a exprimé le fond de cette mentalité : il est allé jusqu’à expliquer que les critiques françaises envers Israël révélaient seulement le dépit d’une nation humiliée par son échec dans la guerre d’Algérie (1954-1962) devant les succès militaires israéliens face aux nations arabes.

On peut difficilement imaginer colonialisme et racisme plus grossiers.

Enfin, Menahem Begin a également exprimé, à propos du massacre de la rue des Rosiers du lundi 9 août à Paris, le caractère racial de l’État sioniste. La presse française, pour une fois presque unanime, s’est indignée de l’entendre proposer des armes aux jeunes Juifs français pour assurer leur autodéfense. Cette indignation à sens unique porte la marque d’une profonde inconscience ou d’une profonde hypocrisie. Menahem Begin a pour lui le mérite de la logique. La loi du retour établit en Israël une discrimination au profit des Juifs contre les Palestiniens : tout Juif de par le monde peut, du jour au lendemain, obtenir la nationalité israélienne.

Menahem Begin n’a fait qu’énoncer la réciproque de ce principe. Si tout Juif est un citoyen d’Israël en puissance, l’État sioniste se sent responsable de la sécurité de ses « citoyens » où qu’ils se trouvent…

De son côté, la « gauche travailliste » israélienne a montré, dans sa grande majorité, qu’elle restait fidèle aux entreprises impérialistes de l’État sioniste, avant d’être de gauche. Le Parti travailliste a approuvé l’opération « Paix en Galilée ».

Enfin, le chef du Parti travailliste, Shimon Pères, a accepté une mission officielle du gouvernement Begin pour aller présenter au monde, de New York à Paris, les raisons de l’État sioniste.

Traîtres et complices

L’attitude des autres grands protagonistes du conflit a été tout aussi crûment mise en lumière.

D’abord, celle de l’impérialisme américain. Le ministre de la Défense israélien, le général Ariel Sharon, a répété plusieurs fois publiquement qu’il avait averti les Américains des projets militaires israéliens bien avant le déclenchement des opérations. Il n’y a dans ces révélations aucune naïveté, mais bien la ferme volonté d’impliquer publiquement l’allié américain.

De son côté, l’Union soviétique n’est pas allée au-delà de protestations formelles. Sa passivité a été explicitement, dénoncée par les dirigeants palestiniens eux-mêmes. Ainsi, le dirigeant de l’OLP Abou Ayad déclarait : « Nous avons résisté à l’armée israélienne plus que toutes les armées arabes. […] L’attitude soviétique est encore plus inexplicable. Nous avons interrogé Moscou publiquement et en secret. Nous n’avons reçu que des encouragements symboliques. Comment l’Union soviétique peut-elle se permettre pareille passivité quand les États-Unis sont partie prenante de la bataille de façon aussi flagrante ? Je ne le comprends pas1. »

Les Soviétiques ont beau jeu, pour couvrir leur discrétion, de renvoyer la balle dans le camp des pays arabes. Ils ont expliqué – non sans cynisme – qu’ils n’avaient pas à se montrer « plus arabes que les Arabes ». Il n’en demeure pas moins que leur abstention marque les limites de leur engagement au Moyen-Orient et révèle les ressorts de leur motivation. Le soutien à l’OLP demeure donc, pour eux, subordonné à la préservation d’alliances diplomatiques plus stables et plus avantageuses, non du point de vue de la mobilisation révolutionnaire anti-impérialiste, mais du point de vue des intérêts d’État soviétiques. Il apparaît ainsi que la protection du régime syrien, dernier allié de poids dans la région, constitue la limite implicite de l’engagement soviétique. En revanche, la survie de l’OLP ne fait, elle, pas partie de la défense de ses intérêts vitaux.

L’attitude de la diplomatie soviétique dans ce conflit ne manquera pas de servir de leçon à d’autres alliés en Amérique latine et en Amérique centrale : la « solidarité » soviétique n’ira jamais au-delà de ses intérêts d’État bien compris, et quiconque serait tenté de la confondre avec un internationalisme désintéressé s’exposerait aux plus cuisantes déconvenues.

Le lâchage soviétique n’a d’équivalent que la trahison ouverte des États arabes. Ils n’ont, à proprement parler, pas levé le petit doigt en solidarité avec les peuples palestinien et libanais. L’OLP s’est présentée au sommet de la Ligue arabe, les samedi 26 et dimanche 27 juin à Tunis, soit quinze jours après le début de l’agression sioniste, avec un plan de solidarité en 14 points. Ce plan réclamait notamment une participation efficace des États arabes à la lutte armée du Liban ; une condamnation des États-Unis « premier ennemi de la nation arabe » pour leur soutien à Israël ; le rappel d’urgence des ambassadeurs arabes en poste à Washington ; le boycott des institutions américaines et le gel des contrats américains dans les pays arabes ; le retrait des fonds arabes déposés dans les banques américaines, etc. Pas un seul point n’a été retenu, et le sommet de la Ligue arabe n’a pris aucune initiative.

L’Égypte a maintenu son ambassadeur en Israël et l’Arabie Saoudite a reçu officiellement Bechir Gemayel, le chef des Phalanges chrétiennes d’extrême droite, lui apportant ainsi une légitimité nécessaire aux yeux de la communauté musulmane pour faire de lui un président possible du Liban.

Cette trahison des États arabes, ressentie et exprimée avec vigueur par les combattants palestiniens de Beyrouth Ouest, n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la continuité du massacre de septembre 1970 (Septembre noir) organisé par le roi Hussein de Jordanie, de la contre-offensive anti-palestinienne appuyée par la Syrie à partir d’avril 1976 au Liban, des accords de Camp David par lesquels le président égyptien Anouar el-Sadate a laissé les mains libres à Menahem Begin pour se retourner contre les Palestiniens au Liban. Mais jamais cette trahison n’avait été aussi flagrante au point qu’elle débouchera à court ou moyen terme, sur d’inévitables différenciations politiques dans les rangs du nationalisme arabe.

Enfin, les puissances impérialistes européennes se sont démarquées des États-Unis par quelques votes sans conséquences pratiques à l’ONU, mais elles n’ont pris aucune mesure de rétorsion significative contre l’agression israélienne : ni boycott ni même embargo sur les livraisons d’armes.

Le comble dans cette affaire, c’est que François Mitterrand ait pu apparaître, par comparaison avec la démission de l’URSS et des États arabes, et grâce aux outrances verbales de Menahem Begin, comme le plus fidèle soutien des peuples palestinien et libanais. Les dirigeants de l’OLP et du Mouvement national libanais (MNL), acculés par leur isolement, ont contribué à accréditer cette image. Pourtant, François Mitterrand avait maintenu au début de l’année son voyage en Israël, quelques jours à peine après que Menahem Begin ait froidement décrété l’annexion du plateau du Golan. Pire, dans son discours devant le Parlement israélien, la Knesset, le président français avait purement et simplement « oublié » de mentionner cet acte de piraterie coloniale.

En juin, après le début de l’invasion israélienne du Liban, François Mitterrand se prononçait, lors de son voyage à Vienne en Autriche, pour un retrait « des trois armées étrangères » du Liban. Il mettait ainsi sur un même pied l’armée syrienne, la résistance palestinienne et l’armée sioniste, « oubliant » encore qu’à la différence des deux autres, la résistance palestinienne n’a toujours pas de patrie ni d’État où se retirer. En fait, cette fausse symétrie et cette fausse impartialité revenaient à justifier le maintien de la présence militaire israélienne aussi longtemps que demeurerait la présence militaire palestinienne.

Enfin, au bout du compte, François Mitterrand apporte son soutien à un plan qui aboutit pratiquement à l’évacuation et à la dispersion des Palestiniens et au maintien, sine die, de l’armée d’occupation sioniste. La présence du contingent français de la Force d’interposition apporte son concours à l’expulsion des Palestiniens et sa caution à l’élection, dans une caserne et sous la pression des chars israéliens, de Bechir Gemayel à la tête de l’État libanais.

En envahissant le Liban, Ariel Sharon et Menahem Begin s’étaient fixé trois objectifs explicites :

– d’abord, briser l’infrastructure et la colonne vertébrale militaire de la résistance palestinienne, au moment où son action risquait de se combiner avec la montée de la mobilisation dans les territoires occupés ;

– ensuite, refouler la présence syrienne du Liban et affaiblir la Syrie ;

– enfin, contribuer à la mise en place d’un régime allié au Liban susceptible de signer à chaud avec Israël un accord complétant celui de Camp David avec l’Égypte.

Outre ces buts avoués, il en existait au moins deux autres : d’une part, affirmer le rôle irremplaçable d’Israël comme allié privilégié de l’impérialisme dans la région ; d’autre part, restaurer l’Union sacrée et remobiliser l’opinion publique israélienne pour surmonter les effets des difficultés économiques et sociales grandissantes.

Si tels étaient les buts, l’offensive israélienne devenait possible du fait d’une conjoncture internationale particulièrement favorable au projet sioniste.

Elle s’inscrivait dans le cadre de la contre-offensive impérialiste et ne courait guère le risque d’un ferme désaveu des pays impérialistes, après le soutien unanime apporté à l’expédition coloniale britannique aux Malouines. Tout en s’inscrivant dans cette dynamique, elle pouvait bénéficier d’une marge d’autonomie relative grâce à la crise de direction impérialiste et aux hésitations de la diplomatie américaine (remplacement du secrétaire d’État américain Alexander Haig par George Shultz). Elle bénéficiait de la paralysie de l’URSS, enlisée dans ses propres difficultés en Pologne et en Afghanistan. Elle bénéficiait également des divisions et de l’impuissance de tous les organismes prétendument « non alignés », de plus en plus déchirés par la polarisation internationale.

Ainsi, pendant les deux mois qu’a duré le siège de Beyrouth, la Ligue arabe a-t-elle été incapable de la moindre initiative. Le sommet de Tripoli de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a dû être ajourné faute de quorum. La conférence de Bagdad du Mouvement des non-alignés a dû être reportée du fait de la guerre irano-irakienne et transférée à New-Dehli…

Dans ces conditions, l’opération sioniste a pu atteindre partiellement chacun de ses objectifs sans en réaliser complètement aucun.

Tout d’abord, l’OLP a subi une lourde défaite militaire qui s’est soldée par l’écrasement de ses positions au Liban, l’expulsion et la dispersion de son fer de lance militaire. Mais il ne s’agit pas d’une défaite sans combat. Les soixante-dix-neuf jours de résistance héroïque, comparés à la lâcheté des régimes arabes, auront renforcé la légitimité des revendications nationales et démocratiques du peuple palestinien.

Cela ne suffit pourtant pas à transformer la défaite militaire en victoire politique. La direction et les troupes de choc de l’OLP, dispersées dans huit États arabes différents (Irak, Syrie, Arabie Saoudite, Yémen du Nord, Yémen du Sud, Soudan, Algérie, Tunisie) et hostiles à des degrés divers (les embrassades hypocrites de Hussein de Jordanie ne peuvent le faire oublier), seront placées sous étroite surveillance. Les régimes arabes sauront plus que jamais que la résistance palestinienne peut jouir auprès des masses arabes d’une autorité face à l’impérialisme qu’ils ont eux-mêmes perdue ou même jamais eue. Ce sera pour eux une raison de plus de renforcer leur vigilance.

Les pressions ne manqueront pas pour imposer à l’OLP un changement de ligne et la transformer en force diplomatique d’appoint dans les grandes manœuvres des États arabes. C’est ce qu’annonçait à sa façon, dès le samedi 26 juin, le dirigeant du Mouvement national libanais (MLN) Walid Joumblatt : « l’OLP a besoin d’une nouvelle direction qui aborde la sauvegarde des droits palestiniens sous un autre angle […]. L’essentiel, c’est une nouvelle légalité palestinienne, une nouvelle stratégie, une nouvelle direction […]. Je suis conscient que l’OLP risque de se scinder et qu’une guerre civile entre Palestiniens n’est pas impossible2. »

En ce qui concerne le retrait des forces syriennes de la Force arabe de dissuasion (FAD) du Liban, Israël n’a pas tout à fait atteint son but. Il semble toutefois en situation d’imposer ce résultat par la force. Ses armées sont face aux armées syriennes dans la plaine de la Bekaa, et Damas est pratiquement à portée des canons israéliens. Mais une épreuve de force de ce type pourrait, cette fois, contraindre l’URSS à réagir, car elle mettrait en jeu son dernier allié diplomatique dans la région. Israël peut donc essayer préalablement de négocier un retrait parallèle de ses propres troupes et des troupes syriennes. Mais un tel processus est évidemment subordonné à la consolidation au Liban d’un régime allié d’Israël et à la fiabilité de cette alliance.

Pour le moment, sans se compromettre ouvertement dans les opérations militaires contre la résistance palestinienne, les Phalanges chrétiennes de Bechir Gemayel ont commencé à implanter l’embryon de leur police et de leur administration sur les talons de l’armée israélienne dans la montagne du Chouf comme dans la région de Saïda. Elles ont pu récupérer les armes palestiniennes et syriennes généreusement négligées par l’occupant sioniste. Enfin, Bechir Gemayel a reçu l’investiture à la présidence de la République, dans une caserne et à l’ombre des baïonnettes sionistes. C’est encore un peu juste pour établir une légitimité et pour écarter le risque de guerre civile comme le risque de sécession du Nord du pays.

Pour ce qui est du quatrième objectif, Israël a sans aucun doute réussi à s’affirmer comme l’allié le plus zélé de l’impérialisme dans la région. Il a prouvé qu’il peut, le cas échéant, agir militairement, sous prétexte de légitime défense, comme pourrait difficilement le faire un corps expéditionnaire américain, au moment où l’impérialisme yankee a tant de mal à surmonter le « syndrome vietnamien » et à agir dans sa propre chasse gardée d’Amérique centrale et de la Caraïbe. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les déclarations fracassantes d’Ariel Sharon, selon lesquelles la zone d’intérêt militaire d’Israël s’étendrait désormais du Soudan à la Turquie…

Enfin, le résultat le plus problématique de l’entreprise sioniste concerne la situation intérieure en Israël. En apparence, Menahem Begin a atteint son but et galvanisé son opinion publique. Les sondages à la fin août donnaient 82 % de soutien à l’opération « Paix en Galilée ». Pourtant, des fissures sont apparues dans le bloc sioniste comme jamais auparavant dans une situation de guerre.

Depuis plusieurs années, la situation économique se dégrade. Le chômage chronique a fait son apparition. Le taux d’inflation oscille entre 100 % et 130 % par an. La politique économique néolibérale met à l’ordre du jour la reprivatisation de certains secteurs, des reconversions et des suppressions d’emploi. À cette tendance générale viendra s’ajouter le coût de la guerre. On estimait officiellement en août qu’elle avait déjà coûté 1,2 milliard de dollars, soit 10 % du budget national. Pour le seul mois de juillet, l’inflation a atteint un taux record de 9,2 %. Le gouvernement a pris des mesures de diminution des subventions de l’État sur les produits de consommation courante et de relèvement des tarifs publics. Les prix du carburant, du lait, des transports, des télécommunications et de l’électricité ont connu des augmentations brutales. Les taux de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) ont été relevés et des taxes exceptionnelles imposées sur les voyages à l’étranger. Un emprunt a été lancé, imposant une souscription obligatoire pendant neuf mois sur les salaires bruts de la majorité des Israéliens.

Un jour ou l’autre, il faudra bien finir par faire les comptes. Ils risquent d’être d’autant plus douloureux que, pour la première fois, Israël a dû mener une sale guerre, sans alibi et sans fard. Dans le passé, ses dirigeants ont toujours pu présenter leurs entreprises guerrières comme celles d’un vaillant David affrontant une conjuration de Goliaths incarnée par les États arabes. Cette fois, ils ont conduit une opération d’agression, foulant aux pieds les frontières et les institutions d’un État voisin, sans même lui avoir déclaré la guerre, pour aller écraser un peuple sans terre et sans État, abandonné de tous, dont la nouvelle diaspora ne peut manquer de renvoyer à la communauté nationale juive de Palestine l’image de son propre passé.

Les protestations qui se sont élevées en Israël même, comme dans la communauté juive de France et même celle des États-Unis, annoncent le début de cette interrogation.

L’OLP à la croisée des chemins

La guerre du Liban et le siège de Beyrouth ont illustré une fois encore les spécificités de la lutte de libération palestinienne. Cette lutte a été jusqu’à maintenant principalement le fait d’un peuple dispersé, sans base territoriale ni sociale stable. La résistance palestinienne puise ses forces dans la population des camps de réfugiés et dans l’émigration qui, depuis 1948, a essaimé dans la région et dans les émirats. Matériellement, elle dépend pour beaucoup des subsides de cette émigration et plus encore de l’aide financière et militaire des régimes arabes.

Dans ces conditions, rien d’étonnant pour un peuple humilié, dispersé, marginalisé du processus productif, à ce que la lutte armée ait été un point de ralliement et la principale expression d’une dignité chèrement défendue.

Pourtant, la lutte de libération palestinienne se heurte à des questions plus complexes que toute autre lutte de libération nationale.

Elle n’affronte pas une simple occupation coloniale, mais une autre communauté nationale, hier encore opprimée, qui s’est constituée en État avec le projet d’expulser les travailleurs arabes avant que de les exploiter. C’est d’ailleurs ce qui fait – au-delà de l’aide technologique impérialiste dont il bénéficie – la force de l’État d’Israël : il parvient encore à dévoyer un sentiment d’autodéfense nationale nourri du traumatisme du génocide nazi.

C’est pourquoi l’efficacité de la lutte contre le sionisme passe par le développement des antagonismes de classe au sein même de la société israélienne et par la rencontre internationaliste entre le mouvement de libération nationale palestinien et le prolétariat juif.

De même, la résistance palestinienne doit trouver son soutien principal dans la mobilisation anti-impérialiste des masses arabes. Elle ne peut l’obtenir sans se heurter à la politique pro-impérialiste de la plupart des régimes arabes. L’OLP a toujours prétendu s’en tenir à une ligne de « non-ingérence » dans la politique intérieure des États arabes. Elle n’a pu éviter pour autant l’ingérence la plus brutale de ces États dans la vie de la résistance palestinienne. La Jordanie, la Syrie, le Liban n’ont cessé d’intervenir par les armes contre la résistance palestinienne, en 1970, 1976, 1982… Les régimes arabes ne peuvent tolérer sur leur territoire l’existence d’une force politique et militaire échappant à leur autorité, et susceptible d’encourager – par sa seule présence – la mobilisation autonome des exploités et opprimés dans leurs propres pays.

Demain encore, dans les huit pays d’accueil après l’évacuation du Liban, les combattants palestiniens, passées les embrassades officielles, seront sévèrement surveillés.

En somme, pour défendre efficacement les droits nationaux et démocratiques de son peuple, la résistance palestinienne a besoin d’une direction qui adopte des positions de classe face à la politique des régimes arabes, et des positions internationalistes pour pouvoir attiser les contradictions de la société israélienne. On peut comprendre qu’une telle direction soit difficile à forger à partir des camps de réfugiés, sans racines dans une expérience de lutte prolétarienne.

Pourtant, les terribles coups reçus au cours des quinze dernières années imposent un bilan critique et une clarification. La réponse de Yasser Arafat au journaliste du Monde qui lui demandait quelles étaient, à son avis, les erreurs commises tout au long de cet interminable conflit, est significative : « Nous n’avons pas su expliquer notre cause aux Israéliens, nous n’avons pas compris la mentalité israélienne. » Yasser Arafat réduit à un problème de pédagogie une question qui est fondamentalement politique. Il n’en met pas moins le doigt sur un point décisif qui est de savoir comment briser le ciment du sionisme. Et il apporte un début de réponse positive : « Notre Conseil national a adopté plusieurs résolutions sur l’ouverture d’un débat avec les forces démocratiques en Israël et nous sommes prêts à établir des relations avec tous ceux qui reconnaîtront notre droit à l’autodétermination3. » Le danger, c’est que ce réalisme ouvre la voie à des arrangements diplomatiques dans le cadre des accords de Camp David, plutôt qu’à une stratégie révolutionnaire.

Concernant les rapports avec les États arabes, les leçons ne sont pas publiques. Il est vrai qu’elles impliqueraient un douloureux retour critique sur la politique menée par la direction de l’OLP dans la guerre civile libanaise de 1975-1976, et notamment sur les accords qui ont permis à la Syrie d’organiser l’élection du président Elias Sarkis le 18 octobre 1976 et de préparer la contre-offensive phalangiste, au moment où les forces palestiniennes et le MNL étaient à deux doigts de la victoire militaire.

Mais la trahison des régimes arabes est cette fois si flagrante, et si profondément ressentie, qu’il sera difficile à la direction de l’OLP de se soustraire à un réexamen de la question.

Qu’elle évolue globalement ou au prix de différenciations nouvelles en son sein, elle se trouve, après le siège de Beyrouth, devant un nouveau tournant de son histoire, aussi important que celui qui l’avait propulsée, après la faillite des États arabes, à l’avant-scène du mouvement anti-impérialiste arabe à la fin des années 1960.

La formation d’un prolétariat palestinien en Israël et la consolidation d’un mouvement de résistance dans les territoires occupés peuvent jouer un rôle décisif dans cette évolution.

3 septembre 1982.
Inprecor n° 132 du 13 septembre 1982

Documents joints

  1. Le Monde, 23 juillet 1982.
  2. Interview de Walid Joumblatt au Monde, 26 juillet 1982.
  3. Interview de Yasser Arafat au <em>Monde, </em>10 août 1982.
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