Olivier Besancenot chez Drucker vu par…

Le Nouvel Observateur : Olivier Besancenot, leader du « parti d’Olivier », comme on dit désormais à la Ligue, est cette semaine l’invité de l’émission de Michel Drucker. Est-ce le démon du marketing politique et de la « peopelisation » qui vous saisit à votre tour ?

Daniel Bensaïd : Le parti d’Olivier, c’est une formule de journaliste plutôt que de militant. Mais si vous voulez me faire dire que le système médiatique et institutionnel pousse à une forme de personnalisation, je veux bien ouvrir avec vous cette porte déjà ouverte. Cela dit, je ne vois pas pourquoi nous refuserions les tribunes qu’on nous propose dès lors qu’elles nous permettent de diffuser nos idées. L’important, c’est de les utiliser sans en devenir dépendants.

N.O. : La personnalisation n’instaure-t-elle pas d’elle-même une dépendance ?

D.B. : Olivier Besancenot travaille dans un collectif militant. Il y est d’ailleurs très attaché. Il en est le porte-parole, le drapeau en quelque sorte. Mais pas seulement ! Il appartient à une génération qui n’a pas la même expérience, les mêmes références, la même conception du militantisme que celle des fondateurs de la Ligue. Cela peut parfois surprendre. Mais je ne crois pas que ce soit essentiel dès lors que ces pratiques, qui sont en effet nouvelles, sont au service d’un projet qui garde le meilleur de ce que nous avons entrepris pour le dépasser. Pour tout vous dire, je rêve d’un parti où il y ait beaucoup d’Olivier Besancenot.

N.O. : Quelles sont les différences que vous évoquez ?

D.B. : Olivier est entré à la Ligue au début des années 1990, c’est-à-dire, pour nous, au creux de la vague. Il y a, à la base de son engagement, un sentiment de révolte nourri d’antiracisme et de références qui sont celles de sa génération : le Che, le sous-commandant Marcos, Malcom X, mais aussi Frantz Fanon, Rosa Luxemburg… Pour faire court, nous héritions en droite ligne de la culture du mouvement ouvrier du XXe siècle. Lui est l’enfant des années Mitterrand, de la chute du Mur de Berlin, et le contemporain de la contre-réforme libérale.

N.O. : Cela change quoi ?

D.B. : La vision du monde, la vision de la gauche… Ce n’est pas rien !

N.O. : Olivier ou la fin des certitudes ?

D.B. : Je ne le dirais pas comme ça. Nous nous inscrivions dans une histoire où les évidences étaient plus fortes, dans un rapport très étroit avec les grands récits du mouvement ouvrier. Pour nous, je ne dirais pas que tout était écrit dans Marx ou Trotski mais on était encore dans la séquence des révolutions inaugurées par celle d’octobre 1917 ! Chez Olivier, c’est différent.

N.O. : C’est une autre conception de l’engagement révolutionnaire ?

D.B. : Sans aucun doute. Pour nous, des questions comme celles de la vie privée ou de la vie professionnelle étaient reléguées au second plan au nom d’une imminence supposée de crises révolutionnaires. Ou plutôt cela formait un tout. Olivier et les militants de sa génération, à l’évidence, n’ont pas le même rapport à l’engagement et aux pratiques militantes. Et ce n’est pas plus mal. Autre temps, autre parti…

N.O. : Besancenot est jeune et postier. Cela ne durera pas éternellement !

D.B. : Pour la jeunesse, je vous le concède aisément. Pour la poste, c’est son problème. Olivier n’est pas du genre à se laisser enfermer dans un rôle, même si cela plaît beaucoup aux médias. Je vais vous faire une confidence : il a un tempérament fougueux et un caractère rugueux, et c’est très bien ainsi pour résister à toutes sortes de pressions et pour affronter les défis d’une époque brutale !

Nouvel Observateur, 8 mai 2008

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