« Pour une critique de la violence »

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Voici rassemblés divers essais de Walter Benjamin, parmi lesquels, le douloureux Franz Kafka, mélancolique étoile jumelle. Avec Kafka, Benjamin partage en effet cet « étrange mal de mer sur la terre ferme », de celui qui ne pourra jamais jeter l’ancre, condamné à errer entre deux langues, entre deux mondes, dans une Europe des Lumières en pleine déroute. Ni l’un ni l’autre ne pourront entreprendre le retour identitaire en Palestine, où déjà se profilent les nouvelles idoles de la raison d’État, et Kafka se fracassera sur ses invisibles frontières intimes. Benjamin viendra s’écraser sur le passage muré des Pyrénées, comme incapable de s’arracher à une vieille culture en train de s’effondrer.

Parmi les textes du présent recueil, « Pour une critique de la violence1 », texte de 1921, revêt une actualité toute particulière, en ces temps où la prolifération des violences étatiques s’habille de légitimités nouvelles par une mobilisation massive du discours du droit. La guerre du Golfe, démonstration de force brute s’il en fut, a ainsi accompagné le fracas des armes avec la musique de chambre onusienne du « droit international ». Et le renversement des dictatures bureaucratiques à l’Est est salué par des hymnes joyeux à la restauration de « l’État de droit ».

Le problème, c’est que tout État est, à sa manière, un État de droit. Jusque dans leurs manifestations les plus répressives, l’État nazi comme l’État stalinien ont eu le soin d’entretenir un juridisme maniaque. Le vieux Blaise Pascal, qui voyait plus clair que les antinomies modernes, a toujours su que le droit ne va pas sans la force dans laquelle il puise sa source. Et le vieux Marx, aussi fin dialecticien que Pascal, disait tout cru qu’entre deux droits égaux, c’est la force qui tranche.

Car c’est bien une mystification majeure, qui voudrait qu’un droit s’oppose à un non-droit. Ce serait trop facile, trop simple. Un bras de fer entre le bien et le mal. Mais il y a toujours du droit des deux côtés, des droits antagoniques et inconciliables. De sorte qu’un droit établi ne peut jamais se dérober à la question : qui t’a fait droit ? Le droit international en question n’est jamais que le droit des vainqueurs de la dernière guerre qui se sont entendus pour fixer les règles de la suivante. Il n’a force de loi qu’aussi longtemps qu’il reste en lui quelque chose de sa puissance fondatrice.

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Documents joints

  1. Walter Benjamin, Mythe et violence, Lettres nouvelles, Denoël, 1971.
  2. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, texte de la 1re édition, 1908, Paris : Marcel Rivière et Cie. Réimpression de la première édition, 1972. Collection : Études sur le devenir social.
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