Messmer courage !

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À l’heure, où nous écrivons, la composition du nouveau ministère Messmer n’est pas encore connue. Mais il y a tout à parier que la montagne de mystères va accoucher d’une banale souris.

L’équipe ministérielle était discréditée. À tour le rôle, les bretteurs et les spadassins du régime mettaient leurs gros pieds dans les plats. Malaud avec l’ORTF, Charbonnel avec Lip, Marcellin en permanence. Depuis la première tonitruante du Point exigeant le départ de Messmer, les chroniqueurs spéculent bon train.

Selon Pompidou, l’opération remaniement vise à « augmenter la cohésion du gouvernement ». C’est donc qu’en cette passe difficile il risquait d’en manquer. Renouveler la confiance présidentielle à Messmer, renforcer son autorité au moment où il en aura besoin, discipliner les frondeurs, les mauvaises langues, et les bavards : une mesure d’assainissement avant l’épreuve, sans plus.

Car l’épreuve sera chaude. Le pouvoir promet aux fonctionnaires » 2 % d’augmentation pour les six premiers mois de l’année. Or, dès janvier, et selon l’indice officiel, les prix ont grimpé de 1,7 %. Ainsi, en moins de deux mois, les prix auront devancé la hausse des salaires dans le secteur public. Et ce n’est pas fini.

Face à une attaque aussi insolente contre le niveau de vie des travailleurs, on sent déjà sourdre et monter la riposte. Krasucki, pour ne pas être pris de court, annonce la reprise de l’action. Mais sans attendre les initiatives à grand spectacle sans lendemain, les travailleurs de Saviem, des banques, de Rateau, d’Olivetti sont sur la brèche.

Le remaniement ministériel vise à donner le change. En vain. Ils peuvent vider le plus crétin ou le plus gaffeur, sacrifier un ou deux boucs émissaires. Ils ne peuvent changer de politique. Les promesses de Provins, bien que limitées, se sont évaporées avec l’alcool des banquets électoraux. Les contrats de progrès paient moins que jamais. Les ministres de choc, que ce soit Marcellin, Galley, ou d’autres, continueront à tourner leurs baïonnettes patriotiques et cocardières contre l’ennemi de l’intérieur.

Au moment où le Canard enchaîné livre les dix noms de ses plombiers, Libération prouve, documents à l’appui, qu’en 1968, la DST fournissait au Sac de Marseille la liste des militants syndicaux destinés, comme à Santiago, à remplir les stades de concentration !

Voilà des mesures et des manœuvres plus durables que des ministres éphémères. En comparaison, remaniements et déplacements ne sont que rides sur l’eau.

Messmer III succède à Messmer II. Continuité dans le personnel, continuité dans la politique. Messmer, courage. Il en faudra.

Rouge, 1er mars 1974
www.danielbensaid.org

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