Savoir, propriété intellectuelle

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4. Caractère social du savoir et usage privé

« Une déclaration de l’Onu de 1998 assimile le génome humain à “un patrimoine commun de l’humanité”. En 2000, le G8 interdisait le brevetage de séquences géniques. La négociation conflictuelle qui se poursuit entre la logique de rentabilité industrielle (pharmaceutique notamment) et de santé publique met à l’ordre du jour une redéfinition du partage entre privé et public. Malgré l’accord des spécialistes pour breveter l’interprétation des séquences géniques, le malaise persiste sur le brevetage des séquences elles-mêmes […]. Le droit du brevet ouvrirait la voie à une persécution judiciaire planétaire contre les chercheurs susceptibles de violer, en toute bonne foi, le droit de propriété protégé par le brevet. Ici encore, la contradiction est explosive entre l’usage privé du savoir et son caractère social, lié au niveau culturel et social », p. 66-67.

5. Cartels du savoir

« “L’évolution a été tellement radicale, constate Dominique Pestre, qu’on a désormais un mouvement de recollectivisation des brevets dans le cadre de cartels qui mettent en commun leurs brevets pour éviter de devoir négocier en permanence et de ralentir les processus innovants. Les grandes compagnies s’autorisent ainsi réciproquement à utiliser le savoir des autres. Par contre, pour ceux qui ne sont pas dans ces cadres cartellisés, cela pose des problèmes complexes, dans les universités par exemple1.” En fait de recollectivisation, il s’agit bien évidemment d’un monopole sur les rentes de matière grise, à l’instar des cartels qui se partagent la rente pétrolière.

Les universités seront de plus en plus réduites, par le biais des financements privés, à un rôle de sous-traitance au service de ces nouveaux cartels du savoir », p. 62-63.

7. Compulsion de propriété intellectuelle

« Si l’informatique est un langage et si ses innovations sont brevetables, les néologismes du langage courant peuvent-ils le devenir aussi ? Et les concepts ? Et les théorèmes ? A quelles névroses inédites pourrait conduire une telle compulsion de propriété intellectuelle ! Une conception périmée de l’appropriation devient de plus en plus irrationnelle et incompatible avec le partage des savoirs, au point de devenir une entrave au développement humain », p. 71.

16. « Enclosures » des biens intellectuels

« James Boyle établit une analogie entre les “enclosures” de l’époque de l’accumulation primitive et ces “nouvelles enclosures2” des biens intellectuels. L’accaparement privatif des terres fut défendu en son temps au nom de la propriété agraire, dont l’augmentation était censée éradiquer famines et disettes, fût-ce au prix d’une effroyable misère urbaine. Nous assisterions aujourd’hui à une “nouvelle vague d’enclosures”, justifiées à leur tour par la course à l’innovation ou par les urgences de l’alimentation mondiale. Entre les deux phénomènes, les différences ne sont pourtant pas minces. Alors que l’usage de la terre est mutuellement exclusif (ce que l’un s’approprie, l’autre ne peut en user), celui des connaissances et des savoirs est “sans rival” : le bien ne s’éteint pas dans l’usage d’une séquence génique, d’un logiciel, ou d’une image digitalisée », p. 69.

25. Liberté et propriété

« Rendant compte du débat en cours aux États-Unis sur la liberté, l’innovation et le domaine public, Grégoire Chamayou s’étonne à juste titre que les résistances critiques à la propriété intellectuelle ne soient pas plus articulées à celles portant sur la propriété traditionnelle […]. À une époque qui entend faire marchandise de tout, les définitions et les frontières sont incertaines. C’est pourquoi les batailles autour de la propriété intellectuelle peuvent servir de révélateur aux contradictions inhérentes à la notion même de propriété privée. Comme le note Grégoire Chamayou, “dans un contexte conceptuel [libéral] où la propriété est liée à la liberté, la propriété intellectuelle constitue un cas paradoxal où la propriété vient contrarier la liberté3” », p. 64.

27. Logiciel libre

« Le principe du logiciel libre enregistre à sa manière le caractère fortement coopératif du travail intellectuel qui s’y trouve cristallisé. Le monopole privé du propriétaire y est contesté non plus, comme chez les libéraux, au nom de la vertu innovante de la concurrence, mais comme entrave à la libre coopération. Il est intéressant de noter que, par l’ambivalence du terme anglais free appliqué au logiciel, liberté rime avec gratuité », p. 71-72.

33. Privatisation des savoirs

« La privatisation ne vise plus seulement les ressources naturelles ou les produits du travail. Elle convoite de plus en plus les connaissances et les savoirs. C’est l’enjeu des négociations et débats en cours au sein de l’Organisation mondiale du commerce sur les services, la propriété intellectuelle et la brevetabilité. La distinction traditionnelle entre invention et découverte se brouille, et la définition même de ce qui est ou non brevetable devient problématique », p. 60-61.

38. Propriété intellectuelle

« L’appropriation des savoirs et la protection de leur monopole deviennent donc l’enjeu majeur des législations sur le nouveau statut de la propriété intellectuelle. Pourtant l’open science est plus favorable et “mieux adaptée à la création d’idées nouvelles que l’économie de marché4”. La privatisation de la recherche et des connaissances qui en résultent, leur mise sous séquestre à l’abri des concurrents, la culture du secret et la quête du monopole freinent la diffusion des savoirs socialisés qui pourraient bénéficier au plus grand nombre », p. 61.

  1. Dominique Pestre, « À propos du nouveau régime de production, d’appropriation et de régulation des savoirs », Contretemps, n° 14, Paris, Textuel, septembre 2005.
  2. James Boyle, The Second Enclosure Movement and the Construction of the Public Domain, http://james-boyle.com
  3. Grégoire Chamayou, « Le débat américain sur liberté, innovation, domaine public », Contretemps n° 5, Paris, Textuel, 2002.
  4. Daniel Cohen, Trois leçons sur la société postindustrielle, Paris, Seuil, La République des idées, 2006, p. 69.

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