I. La crise en perspective
(Il me semble assez problématique de s’aventurer dans un bref tour d’horizon sur la situation mondiale. Il serait peut-être plus judicieux de le faire à partir d’un fil conducteur : celui de la crise. C’est plus dynamique comme approche et cela permet de problématiser davantage. En tout cas, il serait urgent d’inviter le GTE [probablement Groupe de travail Europe] à une réunion pour bénéficier de leur travail et ne pas les mettre en posture toujours acrobatique d’amender un texte bouclé).
I.1. Après les déclarations triomphalistes des années quatre-vingt, les caractéristiques actuelles de la récession confirment largement notre approche : ce n’est pas une récession ordinaire (crise du cycle industriel). Cette récession s’inscrit dans l’onde longue dépressive et marque l’épuisement du mode de régulation issu de la guerre.
I.2. Paradoxalement, les idéologues bourgeois, toujours prêts à dénoncer « l’économisme » marxiste, n’ont cessé de crier victoire à la moindre reprise, comme si précisément il suffisait d’un redressement des taux de profit pour amorcer une nouvelle onde expansive. Nous tenons au contraire que la condition préalable est politique : il faut ni plus ni moins qu’une réorganisation des espaces (marchés) et des institutions (États, accords, traités) permettant de reconstituer des conditions de mise en valeur du capital.
I.3. Les grandes négociations internationales (Gatt, Asie/Pacifique, Alena, Maastricht) s’inscrivent dans cette perspective. Pourtant, l’idée selon laquelle le démantèlement de l’URSS et l’écroulement des dictatures bureaucratiques représenteraient, par l’ouverture de nouveaux marchés, la condition de la relance, est compromise à court terme.
I.4. La restauration est difficile
– Pour la Russie et l’Est européen : pénurie de capitaux, manque de garanties politiques, proto-bourgeoisie maffieuse sans culture d’entreprise, résistance sociale (voir articles divers, Wilno, etc.). Le coup de force d’Eltsine [4 octobre 1993] tend à lever des obstacles politiques, mais pour quelle réforme économique ?
– Pour la Chine, capitalisme dynamique aidé par la diaspora, mais encore périphérique par rapport à la dimension du pays et surtout au poids écrasant de l’agriculture.
Si la restauration est en marche et si la révolution politique n’est pas l’alternative immédiate, l’aboutissement du processus passe encore par des conflits majeurs avec forts risques de dislocation/décomposition sociale.
I.5. Plus généralement, un nouveau partage du marché mondial et la définition d’une nouvelle hiérarchie (comparable au partage de l’Europe de 1848, au partage impérialiste de la fin du siècle dernier, ou au partage du monde de la Seconde Guerre mondiale), s’ils n’impliquent pas nécessairement une guerre mondiale à l’image des deux précédentes, passent par des conflits violents et probablement des guerres : sans parler de conflits déjà anciens en Afrique, Asie, Moyen Orient, les guerres dans les Balkans et le Caucase s’inscrivent déjà dans ce cadre général.
II. Un changement d’échelle
II.1. La concentration des capitaux, l’internationalisation de la production et des services, les défis écologiques et démographiques, etc., mettent à l’ordre du jour un changement d’échelle dans l’organisation politique de la planète. Débordés par le processus et par les firmes, les États-nations perdent la maîtrise de certains attributs de souveraineté.
II.2. La notion de mondialisation ou globalisation ne va pourtant pas sans confusion. Il est vrai que des firmes opèrent sur tous les continents avec des capitaux composites et semblent déracinées de toute attache territoriale et étatique. Cette impression est renforcée par le fait qu’il existe cependant pour certaines une garantie étatique de fait, liée à l’hégémonie militaire et diplomatique américaine. Mais surtout, si la concurrence internationale et la division internationale du travail pèsent de plus en plus lourdement sur les marchés nationaux ou régionaux, ce n’est pas pour autant le marché mondial qui détermine directement la valeur de la force de travail d’emblée au plan mondial et nous en sommes loin.
D’abord les flux du commerce mondial concernent une part seulement du produit (20 % à 30 % ?). Dans le cas de l’Europe, 70 % des échanges sont en outre intracommunautaires. Les rapports sociaux, juridiques, monétaires sont encore déterminés fondamentalement à l’échelle nationale (et partiellement régionale).
Par-delà les discours sur l’ONU et le nouvel ordre mondial, il est clair (à propos de Rio, des interventions militaires, du Gatt, du rôle de la cour de La Haye) qu’on est loin d’une homogénéisation mondiale des rapports de production et de leur codification juridique.
II.3. Il est vraisemblable que le capital cherche à se réorganiser au niveau d’ensembles régionaux. C’est du moins ce que signifient le projet Maastricht (monnaie unique, ébauche d’une défense commune, Schengen) et les propositions d’initiative de croissance européenne (impliquant grands travaux, initiatives industrielles). Mais tous les ensembles régionaux n’ont pas le même poids ni la même vocation. Alena, ce n’est pas l’Union européenne : les États-Unis ont intérêt à élargir leur zone de libre-échange sans institutions politiques, disposant déjà d’un État puissant et de l’hégémonie militaire à eux seuls.
II.4. Cependant, l’internationalisation du capital implique plusieurs processus à l’œuvre par le biais des concentrations et fusions. Les firmes qui se constituent à travers la crise sont autant anglo-américaines, germano-japonaises, etc., qu’européennes. Dans ces conditions il est peu réaliste d’envisager le changement d’échelle comme une reproduction élargie du modèle de l’État nation avec une correspondance entre un territoire, un marché, un capital, un État. Plus vraisemblable est une période de redistribution des lieux de pouvoirs et de souveraineté opérant selon les cas au niveau national, régional, ou directement transnational.
II.5. Par-delà la déconfiture du mouvement ouvrier, c’est sans doute là une raison de la difficulté stratégique. Dans la version planiste réformiste comme dans la version programme de transition, il y a une relative cohérence de la stratégie des années trente dans la mesure où le cadre stratégique de l’État-nation est à peu près clair : d’où nationalisations, échelle mobile, nationalisations, contrôle, monopole du commerce extérieur, etc. Aujourd’hui, l’argument de la contrainte extérieure, s’il n’est pas aussi absolu que le prétendent les libéraux, signale une situation inédite. Contre les menées libérales et leurs effets, soit. Mais à partir de là, deux voies s’ouvrent, entre lesquelles il va falloir choisir.
II.6. Soit une riposte selon laquelle l’horizon stratégique national (en tant que point de cristallisation de certains acquis) domine la logique de classe : à « l’espace informe » de la mondialisation, au fonctionnement en réseau du capital, le MdC [Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement] répond ainsi que « la mondialisation du capital aboutit dans les faits à réunir la question sociale et la question nationale ». D’où l’axe consistant à disputer la question nationale à l’extrême droite (dans le but déclaré d’éviter les dérives chauvines). D’où l’idée selon laquelle le redressement de la gauche se confond avec celui de la France. D’où enfin l’idée que le clivage républicains/libéraux remplace le clivage gauche/droite dans ce qu’il comportait de référence de classe déformée.
II.7. Soit une riposte dynamique qui fait le pont entre le niveau national et le niveau au moins régional (quand ce n’est pas directement international sur certaines questions). C’est surtout important en Europe où Maastricht, même en crise, ne relève pas du simple accord de libre-échange mais déjà du proto-État à certains égards. Nous ne nous sommes pas opposés à Maastricht au nom de la France, mais au nom d’une autre Europe. L’un des principaux griefs contre Maastricht, c’était précisément de compromettre l’idée européenne en lui donnant la forme d’un corset monétaire et d’une course éliminatoire (par les critères de convergence) dont le résultat serait une Europe à plusieurs vitesses ou une Europe peau de chagrin. Après l’éclatement du SME [système monétaire européen], l’affaire est entendue. Même s’il ne faut pas enterrer le projet politique bourgeois mis à l’épreuve par les effets centrifuges de la crise. Il y a bien en pointillé une fracture possible entre une bourgeoisie nationaliste et populiste et une bourgeoisie pro-européenne. Mais les secteurs du grand capital ont besoin d’avancées européennes quitte à apporter des modifications au projet.
III. Des orientations qui se jugent à leur pratique
III.1. Une démarche stratégique rassemble les forces pour les conduire vers la question du pouvoir. Mais où est le pouvoir ? Au niveau principalement de l’État national. Mais plus seulement. On pourrait dire que la lutte de classe n’est déjà plus déterminée par le niveau national et pas encore par le niveau régional. Ainsi, s’il est normal d’adosser la résistance aux acquis inscrits dans la législation ou l’histoire nationale (droits sociaux, services publics, laïcité), il devient vite régressif de s’en tenir à ce cadre, qu’il s’agisse des questions du temps de travail (et du protectionnisme), de la citoyenneté et de la nationalité, de l’armement et de la force de frappe. (cf. congrès du MdC, cf. le produisons français version PC, et le travaillons français, etc.).
III.2. Dire oui à l’Europe et la remettre sur ses pieds c’est dire qu’il faut œuvrer à un développement industriel européen (transports, télécommunications, grands travaux, services), à une convergence sociale (abaissement coordonné du temps de travail, système de protection sociale, serpent salarial minimum). Dans ces conditions, la question de mesures protectionnistes communautaires se poserait : pour défendre contre les contraintes marchandes une politique qui commencerait à inverser la courbe du chômage. C’est seulement dans ces conditions que des mesures telles qu’une clause sociale ou une clause écologique à l’importation prendrait un autre sens que la protection égoïste de nantis : défense d’un changement social avec propositions sur la suspension de la dette du tiers-monde et accords bilatéraux préférentiels opposés au Gatt (par exemple coopération avec un gouvernement du Parti des travailleurs au Brésil, sur les transports, l’électronique, etc.).
III.3. Nous avons dit une Europe sociale et démocratique. Mais dire Europe pose le problème de ses contours posé actuellement au sein des pro-Maastricht en termes d’approfondir ou d’élargir. De la façon dont les choses ont été engagées (une construction marchande et monétaire) par la CEE, l’Acte unique et Maastricht, la question est piégée.
Approfondir l’Europe politique dans un contexte de crise où les convergences ne sont pas tenables, c’est réduire le premier cercle au noyau franco-allemand-bénélux (et encore). Élargir, c’est constituer une zone de libre-échange sous hégémonie allemande. Là aussi, il faut donc inverser la logique et mettre au premier plan l’Europe culturelle, sociale, politique. Politique ? D’où question de contours ? Oui mais il s’agit alors d’une Europe confédérale, permettant l’autodétermination des peuples opprimés (à l’Est comme à l’Ouest) sans repli exclusif, et ouverte à de nouvelles adhésions moyennant d’éventuelles procédures transitoires.
III.4. Le débat sur citoyenneté et nationalité devrait être abordé dans cette perspective. On peut considérer la tradition française en la matière (laïcité, dominante du droit du sol) comme progressiste relativement à des États où l’emporte le droit du sang et où la séparation des Églises et de l’État n’est pas si nette. Cette tradition s’enracine dans la Révolution française, donc aussi dans ses flux et reflux.
Dans la constitution de 1791 (qui combine droit du sol et droit du sang d’origine dynastique – on est encore en monarchie !) citoyenneté et nationalité sont pratiquement confondues dans la définition des « citoyens français ». Les résidents nés hors de France de parents étrangers sont citoyens français ou bout de cinq ans de domiciliation s’ils ont prêté le serment physique et épousé une Française ou fondé une entreprise.
Dans la constitution de l’an I (1793) la citoyenneté tend à primer la nationalité : est admis à l’exercice des droits de citoyen français tout étranger de 21 ans domicilié depuis une année, vivant de son travail, ou acquéreur d’une propriété, ou marié à une Française, ou ayant adopté un enfant, ou nourrissant un vieillard. Il est clair que la fonction sociale l’emporte ici sur la considération de naissance (sol ou sang). La constitution de l’an III (1795) porte la marque de la régression thermidorienne : l’étranger devient citoyen français après sept ans de résidence consécutive, « pourvu qu’il y paie une contribution directe et qu’en outre il y possède une propriété foncière, ou un établissement d’agriculture et de commerce, ou qu’il ait épousé une femme française ». En revanche le code de la nationalité est une création de la IIIe République coloniale et impériale. Il est concomitant de la cristallisation de l’État moderne. Dès lors la citoyenneté devient une dérivée de la nationalité.
III.5. Aujourd’hui il faut tenir compte de deux phénomènes
L’un général, les mouvements migratoires, les interpénétrations de population, l’installation durable de populations d’origine immigrée.
L’autre, particulier à l’Europe : une réorganisation politique appelant des transferts de souveraineté à la seule condition qu’ils soient démocratiquement décidés. De ce point de vue, la notion de subsidiarité peut être investie d’un contenu positif.
Il faut créer les conditions non d’une citoyenneté européenne, mais d’une citoyenneté en Europe, ouverte à tous ceux qui y vivent et travaillent, indépendamment de toute considération d’origine nationale ou d’appartenance religieuse. Ce n’est possible que par la disjonction radicale entre citoyenneté et nationalité, les droits nationaux étant alors des droits essentiellement culturels, linguistiques, et scolaires.
III.6. On connaît l’objection à une telle démarche. La disjonction irait dans le sens d’une américanisation, créant sous une citoyenneté désincarnée des ghettos communautaires et renvoyant la francité résiduelle à un critère de souche (de sang). Le problème peut être réel. Mais la réponse consistant à souder nationalité et citoyenneté est pire dans la mesure où elle érige l’expérience française en modèle. Or le modèle si tant est qu’il le soit n’est pas reproductible.
D’une part, nous ne sommes plus à l’ère d’essor et de formation des États-nations où la nation était d’abord un creuset où se fondaient les vieux particularismes. La recherche d’une légitimité nationale renvoie aujourd’hui la plupart du temps à une origine naturelle ou mythique (dont la nation ethnique est la forme exacerbée).
D’autre part, on ne peut pas imaginer qu’une conception de la citoyenneté qui est le résultat d’un événement historique colossal soit partagée à l’échelle européenne, par-delà des histoires et traditions très différentes, à moins d’imaginer l’accouchement de l’Europe comme une révolution française à l’échelle continentale.
De toute façon, ce n’est pas de ça qu’il s’agit pour l’heure. (Voir le bouquin d’Olivier Le Cour et Catherine Withol, Les Étrangers dans la cité, 1993.) La réalité, c’est via Maastricht, Schengen, etc., l’esquisse d’une citoyenneté communautaire renforçant l’exclusion de ce que l’on désigne par euphémisme comme « non-européen », instituant donc une hiérarchie des origines. À quoi il convient d’opposer une citoyenneté sur le seul critère de résidence et d’activité sociale (découplage radical).
III.7. C’est également dans une telle perspective qu’il faudrait aborder la question du Gatt, non en termes de signer ou pas, mais en termes de défense d’un projet social et culturel, sans quoi la question réduite à une bataille entre protectionnismes impérialistes (le Sud est perdant avant même la négociation) est pipée. Y compris sur la question culturelle. Il y aurait matière à proposer une politique culturelle répondant à la situation spécifique d’une Europe plurilinguistique et culturelle (marchés segmentés, etc.).
Mais à défaut de ce contenu en positif, les mesures de défense contre la concurrence américaine ne font pas des produits culturels nationaux des produits moins marchands, et n’empêchent pas que la culture nationale (francophonie) soit aussi une culture impériale dans certaines régions du monde. Il vaut en tout cas la peine de poursuivre la discussion et de clarifier pourquoi nous avons tant de mal à aller au-delà sur ce point du commentaire analytique éclairé (souvent bien éclairé d’ailleurs).
IV. Des recompositions
(Sur ce point je ne reprends pas la note rapide diffusée au comité central. Je crois seulement qu’il faudrait dans le texte de congrès mettre davantage cette question en rapport, d’une part, avec les lignes de forces de la réorganisation mondiale, d’autre part, avec les questions essentielles du programme d’urgence, pour ne pas rester prisonniers de la tambouille immédiate et des prudences qu’elle dicte).
IV.1. Revenir sur les coordonnées générales
a) Chute du mur de Berlin, dislocation de l’URSS, effacement de la légitimité fondatrice d’Octobre : les PCs au carrefour (le socle du stalinisme a disparu) ; quelle social-démocratisation quand la fonction de la social-démocratie est elle-même mise à mal ; le recyclage problématique à l’Est ; les tentatives Italie-Espagne ; le cas français.
b) Crise de l’État Providence national et ses conséquences : crise du système de protection sociale et du système de représentation politique et syndical. La social-démocratie elle aussi à la croisée des chemins. Le cas français : la conversion libérale, la reconversion social-démocrate bloquée (dans quel cadre, l’Europe encore ?)
c) Tout ne va pas rentrer dans l’ordre antérieur. Un vrai changement d’époque. Dans cette optique, concevoir la recomposition dans la durée, comme un phénomène de réorganisation globale, en écartant l’idée de frontières définitives (le camp de la recomposition).
d) Prendre la mesure des obstacles : défaites du siècle, désarroi politique, poids social de la crise…
IV.2. Réaffirmation d’une démarche : nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti, en reprenant pour le préciser chacun de ces points :
a) Nouvelle époque. Ce n’est pas la fermeture d’une parenthèse. Ce qui fut n’est pas effacé. Mais les coordonnées en place depuis la Première Guerre mondiale (a fortiori la seconde) sont bouleversées. Conséquences : les trois secteurs ?, la perception des tâches en fonction des rapports de force dans chacun des secteurs.
b) Nouveau programme. C’est peut-être ici qu’il faut revenir sur la question d’Octobre pour ne pas nourrir l’illusion de l’absolue nouveauté. Ce qui demeure (cercle de fer du capital, État, transformation sociale) et ce qui a changé (cadre stratégique, parti/classe/État/ autogestion). Pas de programme achevé et nécessité de nouvelles expériences ne signifient pas partir de zéro. Le rôle de l’événement (Kant) et la fidélité à l’événement (Badiou).
c) Nouveau parti. Présentation d’une démarche ouverte sans a priori à partir des épreuves présentes en ce qu’elles tendent à faire système (Golfe, Maastricht, antiracisme/antifascisme, emploi). Approche ouverte de la reconstruction programmatique. Une condition le pluralisme effectif. Peut-être faudrait-il traiter là de la question bureaucratie/démocratie en écho au non-débat du congrès du PC (fût-ce en quelques phrases).
IV.3. État des lieux. Il serait peut-être plus éclairant de le présenter de façon dynamique plutôt que sous forme d’inventaire. Autrement dit partir des effets qu’ont eu la crise à l’Est et le bilan de la gauche au gouvernement : différenciations dans le PC avec les vagues successives de rénovateurs, l’apparition des Verts, le remue-ménage dans le Parti socialiste et la sortie du Mouvement des citoyens. En soulignant une opportunité dessinée : Golfe, Maastricht… pour en venir prudemment aux inquiétudes actuelles :
a) Les oppositions au PC. Golfe, Maastricht (important ni Maastricht ni repli chauvin), pluralisme, mais faiblesses sur la question sociale : pas de projet affirmé, peu des forces militantes, non-décision.
b) Le MdC : Golfe (avec ses considérants propres), Maastricht (avec ses ambiguïtés), mais choix de plus en plus affirmé de la direction (nationalité, emploi, force de frappe).
c) Les Verts : Golfe, différenciation positive sur Maastricht. Confrontés à l’impasse d’une politique et au choc de la crise sociale (immigration, emploi). Sortie positive du ni-ni, mais deux traductions possibles et poids des compromis internes.
Paysage mouvant et fortement dépendant des effets d’une probable remobilisation sociale posant en d’autres termes le rapport actuellement décalé entre mouvement social et représentation politique.
IV.3. On peut cependant déjà comprendre que sans revenir aux années soixante-dix, le PS et le PC ne sont pas hors champ. Ils vont jouer un rôle actif dans la redistribution des cartes. D’où la nécessité d’une politique active en leur direction. En termes de front unique bien sûr (non réductible à l’aspect électoral – voir Duval…), mais aussi de confrontation politique :
a) Quel avenir pour le PC ? Il garde des forces. Golfe, Maastricht (tentation nationaliste), zigzags sur l’immigration, problèmes sur l’emploi. Il ne peut plus maintenir l’identité stalinienne traditionnelle ni opérer la mutation du PDS italien [parti démocratique de la gauche] (le PS en France est toujours là). Deux années électorales difficiles et la succession de Marchais impliquent des turbulences. Difficultés particulières pour cet appareil de faire comme les Espagnols ou les Italiens.
b) Quel avenir pour le PS ? Peut changer de ton pour se refaire une image de parti d’opposition, mais faiblesse de ses relais sociaux et surtout difficulté à trouver une ligne (un réformisme actif dans le cadre national est impraticable, un tournant sur la conception européenne et les alliances difficile à imaginer en dehors d’une reprise économique). Problème des assises.
IV.4. Souligner que le choc social n’en est qu’à ses débuts. C’est peut-être ici qu’il faut, si ce n’a été fait dans la partie internationale, mieux équilibrer en insistant sur les indices de remobilisation en Europe (grèves, jeunes, manifs) sans sous-estimer les difficultés. Par conséquent réaffirmer notre objectif : un parti (révolutionnaire) à la hauteur de ces turbulences (révolutionnaire c’est-à-dire pour une autre société par la rupture). Disponibilité pour avancer dans ce sens avec d’autres, sur la base des convergences sérieuses face aux événements et à la condition d’un pluralisme démocratique effectif.
Illustration pratique :
– unité d’action dans les campagnes,
– débat (engagement),
– unité possible et souhaitable pour les Européennes (préparant la suite).
Dans l’état actuel, proposition d’un front sur la base des grandes questions (Golfe-ordre mondial, L’Europe contre Maastricht, campagne AC, contre les lois Pasqua). Avantage du front : laisse la liberté aux partenaires, permet clarté et respect mutuel dans la discussion, reste ouvert à de nouveaux partenaires. Sans exclure des accélérations sous l’impact de nouvelles épreuves sociales.
V. Sur le plan d’action
(Il s’agit ici de suggestions. Peut-être qu’en bonne logique un tel plan devrait précéder et non suivre la recomposition comme dans le projet : il découle de la situation et non des péripéties. Mais peu importe : on peut aussi le présenter comme notre manière d’aborder le projet à long terme (nouveau programme, nouveau parti) par le débat et l’action.
Dans ce cas je rappelle les deux remarques faites au CC :
a) Il serait peut-être préférable de s’en tenir à trois grandes questions : emploi (en illustrant à ce propos toute une démarche transitoire à partir des droits sociaux), citoyenneté (en développant à ce propos la question de la démocratie en termes aussi bien sociaux qu’institutionnels), enfin l’Europe. Plutôt que d’ajouter des têtes de chapitre forçant à de fausses symétries (et mettant en évidence le déséquilibre de substance), il vaudrait mieux essayer de traiter, dans chacun des trois chapitres, la dimension femmes (exclusion, logement, services publics à propos de l’emploi, parité ou pas, représentation, à propos de la citoyenneté ; peut-être avortement dans ses implications européennes, etc.) et la question de l’écologie (écologie et emploi, productivisme, dimension internationale, démographie et flux migratoires, écotaxes et clause écologique, etc.). Même comme ça on risque de rencontrer une difficulté de rédaction en faisant du point Europe une rubrique à part.
b) En effet, et c’est la seconde remarque, il faudrait peut-être faire le va-et-vient dans chaque point entre l’horizon stratégique de l’État national et la dimension européenne. Ce serait assez logique, même si, pour l’instant, il semble plus commode de maintenir une rubrique spécifique pour une question qui va traverser l’ensemble des forces politiques.
Enfin, il faut prendre la peine de traiter et d’argumenter sur la question de la parité, dont la portée peut concerner toute la conception de la représentation et de la démocratie politique).
Ouf. Désolé de ne pas pouvoir être des vôtres.
XIe congrès de la LCR (16-19 juin 1994)