« Parler de pouvoir constituant, c’est parler de la démocratie », écrit Negri dès les premières lignes du Pouvoir constituant1. Dans la mesure où elle déploie une temporalité spécifique, la « liberté constituante » excède la vérité éphémère de l’événement. Le pouvoir constituant se réalise en « révolution permanente » et cette permanence conceptualise l’unité contradictoire de l’événement et de l’histoire, du constituant et du constitué.
Le paradoxe démocratique
Parler de pouvoir constituant, c’est parler de révolution, et réciproquement. Ce pouvoir représenterait en effet « la dilatation de la capacité humaine à faire l’histoire » au lieu de la subir. Negri en appelle à Spinoza comme le premier penseur de ce pouvoir illimité, ou plutôt de cette « puissance » (potentia) irréductible à l’exercice du pouvoir (potestas), fût-il éclairé. Le Dieu de Spinoza, précise Deleuze, « ne conçoit pas des possibles dans son entendement qu’il réaliserait par sa volonté » : « Aussi n’a-t-il pas de pouvoir (potestas) mais seulement une puissance (potentia) identique à son essence. Par cette puissance, Dieu est également cause de toutes choses qui suivent de son essence, et cause de soi-même, c’est-à-dire de son existence telle qu’elle est enveloppée par l’essence (Ethique, I, 34). Toute puissance est acte, active, et en acte 2. »
Il en va de même du pouvoir constituant. Comme tout état de puissance, il est toujours en acte. Il ne se conçoit pas comme un possible qui s’actualise, mais, à la manière du conatus de Spinoza, comme effort et tendance de l’essence à persévérer dans l’existence et à envelopper « une durée indéfinie ». Sa puissance expansive est une passion joyeuse. Et cette joie entretient et augmente en retour la puissance d’agir.
La Commune de Paris, dont « la grande mesure sociale » fut, selon Marx, « sa propre existence », en est la parfaite illustration. L’exercice de ce pouvoir illimité pousse logiquement l’élan démocratique jusqu’au dépérissement de l’État en tant que corps politique séparé (et réciproquement, de l’économie conçue comme seconde nature). Cette extinction d’un appareil étatique spécialisé, opposé à la société, ne saurait se confondre avec la disparition de la politique. Pour Negri, ce sont la pensée libérale et la pensée anarchiste qui représentent « les figures les plus achevées de la rationalité instrumentale ». Dans l’un et l’autre cas, « le social n’a pas besoin du politique » : « La main invisible du marché comme la négation abstraite de l’État nient le pouvoir constituant. Que ces visions de la société reposent sur l’individualisme et sur la règle du profit, ou sur l’anarchie et sur la règle du collectivisme, il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, d’isoler le social, et cette fin est le pendant nécessaire de la transcendance du politique, invoquée d’un côté et honnie de l’autre3. » Chaque crise, dans la mesure où elle bouleverse le champ politique, claque donc « comme un avis de décès des théories de la séparation ».
À la dissociation illusoire du politique et du social, Negri oppose une dialectique de la puissance et du pouvoir, un double processus de politisation du social et de socialisation de la politique. Inaliénable, « la liberté constituante » manifeste la résistance de la puissance fondatrice à la rigidité pétrifiée de l’institution. La « production du sujet constituant » est selon lui au centre des trois Déclarations des droits de l’Homme (de 1789, 1793 et 1795). Le sujet émergent s’y constitue dans un conflit permanent avec la propriété privée et avec la raison d’État qui s’efforcent de le contenir et de le refouler. La clôture nationale (la victoire de l’État-nation sur l’universalité proclamée), sociale (la répression du mouvement populaire) et sexuelle (la mise au pas des tricoteuses et l’exclusion des femmes) du moment révolutionnaire, scelle la défaite et condamne la conjuration permanente au repli dans les catacombes de l’histoire. Jusqu’aux nouvelles irruptions de 1830 et 1848.
La liberté politique se définit donc comme « pouvoir constituant ». Mais constituant de quoi ? Le « fantastique » et le « merveilleux » caractérisent chez Rousseau les situations exceptionnelles, où se manifeste l’insolite et où surgit la nouveauté. Le pouvoir constituant dont le capitalisme moderne « mène, dit Negri, le concept à sa maturité », en est l’exemple4. Il n’est désormais « de définition du politique, qu’à partir du concept de pouvoir constituant » qui en détermine la nature et la substance5. Car la puissance constituante ne vient pas après la politique. Elle n’en est pas le résultat ou la conséquence. Elle « vient d’abord », et s’impose comme « la définition même de la politique ». Sa répression réduit la politique à un pouvoir despotique ; non nécessairement sous les traits avoués de la tyrannie, mais plus sournoisement, sous ceux d’un despotisme banal et quotidien, que Jacques Rancière désigne comme « police » et Alain Badiou comme « État antipolitique ». Tendu à l’extrême, l’arc démocratique du pouvoir constituant peut alors, par un retournement paradoxal, se renier dans l’affirmation opposée d’une vérité sans discussion et d’une subjectivité sans opposition6.
Face au pouvoir institué et tyrannique du capital, face aux fétiches de la marchandise et aux servitudes involontaires qu’ils imposent, face au triomphe du travail mort qui saisit et assujettit le vif, la forme contemporaine du pouvoir constituant serait le communisme en tant que « mouvement réel qui supprime l’ordre existant », mouvement toujours recommencé d’une suppression sans cesse contrariée. Dans Le Capital, Marx suit le cheminement de ce pouvoir dans le conflit de classe moderne qui s’oppose, du point de vue des dominés, à la séparation formelle entre producteurs et moyens de production. Pour Negri, la fusion tendancielle du social et du politique, entrevue dans les crises révolutionnaires et les déchirures de la domination, éclaire les hésitations de Lénine sur les rôles respectifs du parti et des soviets dans l’exercice concret du pouvoir constituant. Le funeste court-circuit entre l’action des masses et le commandement du parti, le compromis instable entre le pouvoir virtuel des soviets et la direction réelle du parti, résulterait pour une large part de cette confusion.
Interprétant la notion stratégiquement déterminante de « dualité de pouvoir », qui caractérise chez Lénine la situation révolutionnaire, non comme un fait constitutionnel, mais comme un fait constituant, Negri tend cependant à éluder la contradiction constitutive de la démocratie politique. Non au profit d’une vérité événementielle, aussi indiscutable qu’autoritaire, mais, comme chez Badiou, par l’autodestruction d’une démocratie victime de son propre accomplissement.
L’anti-utopie du pouvoir constituant
Sur les traces de Machiavel, Negri fait de l’opposition entre « vertu » et « fortune », l’énoncé fondateur de la tension dialectique entre constituant et constitué, entre le principe dynamique de la subversion et l’inertie conservatrice des institutions. Il y voit la matrice des rapports contradictoires entre la volonté et son résultat, entre la jeunesse et le vieillissement, entre la joyeuse fébrilité des départs et la lourde lassitude des fins qui s’éternisent. La « fortune » machiavélienne apparaît ainsi comme « le fond maudit » de l’inertie.
Comment la vertu pourrait-elle lui résister ? « Telle est la question, toujours essentielle. »
Dans le retour récurrent des Thermidors, « l’ennemi est une fois de plus vainqueur : la corruption, la fortune, l’accumulation capitaliste s’opposent à la virtu et la chassent. Mais la virtu, le pouvoir constituant, le grand appel de la démocratie radicale n’en avaient pas moins existé comme principe et comme espérance7. » Le pouvoir constituant résiste ainsi à son institutionnalisation mortifère sous la forme de la souveraineté. Car, le contraire de la démocratie n’est pas seulement, comme l’insinue la vulgate démocratique, le totalitarisme, mais aussi la souveraineté. Tout, en effet, « oppose pouvoir constituant et souveraineté ». Ces deux concepts paraissent « en contradiction absolue ». Fidèle à l’idée de Rousseau, selon laquelle le peuple reste « toujours maître de changer ses lois, même les meilleures », le refus sans-culotte de la souveraineté résume ainsi l’absoluité inaliénable du pouvoir constituant.
De façon plus inattendue, Negri oppose également le pouvoir constituant à l’utopie conçue comme affaiblissement et résiliation de son effectivité, c’est-à-dire comme « passion triste ». L’utopie peut en effet être considérée comme une modalité de l’espérance, définie par Spinoza comme « une joie inconstante, née d’une chose passée ou future de l’issue de laquelle nous doutons en quelque mesure ». Une joie douteuse donc, qui va de pair avec la crainte : pas de crainte sans espoir, et pas d’espoir sans crainte. Activité débordante et exubérante, aussi intense que l’utopie, « mais sans illusion ou, si l’on veut, pleine de matérialité », le pouvoir constituant se présente ainsi comme une « dystopie ». Ce que confirmerait le fait remarquable que les périodes d’intense activité constituante soient aussi des périodes de déclin ou d’éclipse utopiques. Et réciproquement.
Qu’elle prenne la forme de la désobéissance ou de l’insurrection, la « résistance à l’oppression » est inhérente au pouvoir constituant. D’où le paradoxe logique de leur inscription dans le droit constitutionnel de 1793 : « Le droit se construit comme principe pratique découlant du développement du pouvoir constituant. » Cette percée du pouvoir constituant dans le droit révèle la scission en classes antagoniques du peuple mythiquement uni lors de la fête de la Fédération. Face à l’ordre nouveau du capital, qui se révèle sous le masque d’une universalité aussitôt contredite, le prolétariat s’annonce comme la nouvelle force porteuse de cette puissance toujours active et persévérante.
Pourvoir constituant et révolution permanente
Dans la mesure où elle produit la médiation entre la politique et le social, dont le parti représenterait, dans Le Manifeste du Parti communiste, la forme enfin trouvée, la Révolution française apparaît pour Marx comme la matrice de la lutte des classes moderne. Si le pouvoir constituant est un sujet, ce n’est plus celui d’une progression constitutionnelle patiente et respectueuse, mais son « antithèse continue », synonyme d’un pouvoir de résistance.
Dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville prévenait son lecteur : « Le livre que l’on va lire a été écrit sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse produite dans l’âme de l’auteur par la vue de cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles à travers tous les obstacles et qu’on voit, encore aujourd’hui, s’avancer au milieu des ruines qu’elle a faites. » Ce cheminement obstiné, souvent obscur, est précisément, pour Toni Negri, celui du pouvoir constituant, qui ne se délègue ni ne s’aliène. Il se manifeste et surgit dans la porte étroite d’une crise. Il est « le concept d’une crise ». Negri insiste, à plusieurs reprises, sur cette relation entre le pouvoir constituant et la notion de crise, sur la dialectique entre la patience processuelle et l’exaltation événementielle : « Le paradigme du pouvoir constituant est celui d’une force qui fait irruption, qui coupe, interrompt, écartèle tout équilibre préexistant et toute possibilité de continuité. »
Apparaît ainsi une temporalité propre au pouvoir constituant : « une prodigieuse capacité d’accélération », « un temps de l’événement où la singularité accède à la généralité », où le particulier s’universalise, un temps qui « rythme, scande, et ordonne » ses actions constitutives. Cette bousculade, cette cohue, cette précipitation d’événements, c’est la temporalité originale de la Révolution française. Une temporalité révolutionnaire, qui pose la question récurrente de savoir où commence et où finit une révolution. Le temps et l’espace spécifiques de l’événement révolutionnaire s’y manifestent comme « un abîme de la démocratie », dans un moment périlleux où la radicalité constituante et sa force irruptive démystifient la scène de la représentation. Par cette expérience extrême du pouvoir constituant, la Révolution française apparaît comme « une révolution différente » et « un superbe lever de soleil ». Plus sa temporalité indomptable se trouvera bridée par le nouvel ordre thermidorien, « plus elle cherchera à briser ses fers et à se déployer comme mouvement de libération sociale ». Plus elle se heurtera à la contre-révolution politique et institutionnelle, et plus elle ira puiser en profondeur les forces sociales de nouveaux élans.
Plus elle s’affirmera comme « révolution en permanence ».
La lutte des classes répond ainsi aux coups d’arrêt, aux blocages, et aux rebroussements, « par des accélérations soudaines et prodigieuses ». L’idée d’un « temps-puissance » naît de ces accélérations8. Si le peuple dispose du pouvoir permanent et irréductible de modifier sa Constitution, la temporalité ouverte et « continuement révolutionnaire » se découvre. comme « fondation première de la subjectivité ». Le « temps des masses » fait le pouvoir constituant. D’où le double sens attaché à la volonté, si souvent proclamée depuis Babeuf et les thermidoriens, de « terminer la révolution » : en la poussant jusqu’à son terme inaccessible pour les uns ; en y mettant fin une fois pour toutes, pour les autres !
Babeuf et les Égaux veulent « terminer la révolution » parce qu’elle n’est pas faite, ou mal faite ; l’essentiel reste à faire. Benjamin Constant ou François Furet entendent, au contraire, en finir avec elle. Au sens événementiel du terme, la révolution s’est achevée sur l’échafaud de Thermidor. Au sens de sa permanence constituante, elle reste en revanche inachevée, interrompue, interminable. Sa puissance souterraine va de cheminements invisibles en soudaines résurgences : juin 1848, La Commune, Juin 36, Mai 68 : « Au terme de la Révolution française, ouverture du temps veut dire révolution permanente et révolution communiste ; fermeture, veut dire libéralisme ou, pire, réaction9. »
Réforme et Révolution ont chacune leur temporalité propre. À la première, la monotonie d’un temps homogène et vide, d’une histoire sans événement, condamnée au simulacre et à l’anecdote. À la seconde, les hoquets d’un temps brisé. Décidé à conjurer le péril révolutionnaire, Edmund Burke fut le premier, sans doute, à expliciter ce rapport entre la prudence réformatrice et sa temporalité lente : « Agir lentement et parfois même de façon imperceptible », suivant « le processus lent et constant » d’une « énergie toujours renouvelée ». Furtivement, sur la pointe des pieds, de crainte de réveiller le cratère de l’événement endormi. Car la dualité de pouvoir qui en surgit inévitablement n’est plus un simple maillon dans l’enchaînement mécanique des causes et des effets, mais un fait constituant qui se donne à lui-même sa propre loi.
Comment penser cette permanence paradoxale de l’événement ? Comment penser ce travail de sape qui court sous la surface apaisée des choses et se poursuit sous la chape bien ordonnée de la norme ? Comment penser cette patience affairée à élargir fissures et lézardes en brèches et fractures ? Comme une fidélité, répond Badiou. Banalement conjugale ou passionnément amoureuse, cette fidélité au passé de l’événement et de la rencontre a un parfum de piété mémorielle. Chez Negri, en revanche, le pouvoir constituant, qui « se réalise comme révolution permanente » ou « qui prend figure d’un pouvoir de révolution permanente », est fidèle au rendez-vous et à la promesse rigoureusement immanente de libération.
Émanant de la souveraineté de la Raison, étrangère à la dialectique des temps historiques, la « volonté générale » dont se réclamèrent les Jacobins demeurait atemporelle comme une sorte de grâce divine laïcisée. Le concept de « pouvoir constituant » permet au contraire de dédramatiser celui de Révolution et de le rendre à une immanence radicale : « Il ne doit plus être rien d’autre que désir de transformation du temps, désir continu, implacable, pratique continue et incontrôlable, réouverte par l’amour du temps10. » L’affirmation ininterrompue de cette puissance constitue chez Negri la grande nouveauté politique et la trame historique du XIXe siècle, au moment où, selon lui, l’histoire se perdrait dans la fugacité postmoderne de l’instant ?
L’Empire, stade suprême de l’impérialisme ?
Michael Hardt et Toni Negri voient dans le passage de la modernité à la postmodernité une « transition capitale dans l’histoire contemporaine » : l’avènement d’une libération et l’opportunité d’une politique du métissage et du nomadisme, radicalement opposée aux logiques binaires et territoriales de la modernité11. Prolongeant la critique entreprise dans Le Pouvoir constituant, ils prennent acte du déclin des souverainetés étatiques et nationales au profit d’un Empire sans limites : alors que l’impérialisme classique signifiait l’expansion de l’État-nation hors de ses frontières, il n’y aurait plus, dans la phase impériale, d’États-nations ni d’impérialisme. Le nouveau dispositif « supranational, mondial, total appelé Empire12 » n’est donc pas américain, mais « simplement capitaliste ».
Formé à travers la concentration d’un capital transnational, la fin de la guerre froide, et les descentes de police dans le Golfe ou dans les Balkans, cet Empire représenterait « une nouvelle forme de pouvoir », une sorte de non-lieu pascalien dont le centre est partout et la circonférence nulle part. La mutation « de l’impérialisme à l’Empire et de l’État-nation à la régulation politique du marché global » consommerait ainsi le passage planétaire de la subsomption formelle à la subsomption réelle des rapports de production et de reproduction par le capital. Abolissant tout partage entre un intérieur et un extérieur, l’Empire serait désormais sans dehors.
Cette situation inédite rendrait obsolètes les préoccupations tactiques de « la vieille école révolutionnaire ». Elle mettrait simplement à l’ordre du jour une contre-mondialisation animée d’un désir immanent de libération. « Être républicain, aujourd’hui », consisterait avant tout à « lutter à l’intérieur de l’Empire, et à construire contre lui sur des terrains hybrides et fluctuants ».
De même que les stratégies de conquête du pouvoir et de gestion économique furent isomorphes à la centralisation étatique du capital industriel, ce discours de la subversion postmoderne, en dépit de sa prétendue nouveauté, demeure strictement isomorphe au « nouvel esprit » « fluctuant et hybride », du capitalisme. Comme le souligne le sociologue marxiste argentin Atilio Boron, il n’a rien de fondamentalement incompatible avec la rhétorique dominante sur la disparition des États-nations dans un espace globalisé et sur la dissolution des peuples et des classes dans l’émiettement postmoderne de la multitude.
Vision « d’en haut » (du « centre » euroaméricain), Empire prête fort peu d’attention aux analyses contemporaines de l’impérialisme, notamment aux critiques des nouveaux mécanismes de domination produits dans les pays dominés. On n’y trouve guère d’analyse documentée de la concentration effective du capital, des rapports entre les firmes multinationales et les États dominants réellement existants, de la dialectique entre déterritorialisation et reterritorialisation (analysée entre autres par Giovanni Arrighi dans son Long XXe siècle), des institutions de « la gouvernance globale » (quasiment rien sur l’Accord multilatéral d’investissement, au consensus de Washington, etc.) et de leur rôle dans le développement toujours plus inégal, et toujours aussi mal combiné, caractéristique de l’accumulation planétaire du capital à l’époque de l’impérialisme.
Pratiquement, Negri fait de la « rupture avec le tiers-mondisme » une tâche urgente. Il est vrai qu’un certain tiers-mondisme, incapable de penser l’unité systémique du capitalisme au niveau mondial, a nourri les illusions « développementistes » comme celle de la Cepal13. Mais Negri va bien plus loin. Il affirme carrément qu’il « n’y a plus de fracture Nord-Sud, car il n’y a plus de différence géographique entre les États-nations14 ». C’est ce que prétendait déjà cyniquement Henri Kissinger, affirmant que nous sommes tous désormais réciproquement dépendants, puisque les États-Unis dépendent des bananes du Honduras autant que le Honduras dépend des ordinateurs étasuniens !
Avec la mondialisation, les hiérarchies de domination et de dépendance deviendraient donc solubles dans « l’espace lisse » deleuzien d’un marché mondial homogène. L’appel à rompre avec les illusions tiers-mondistes se transforme alors en rupture avec la tradition anti-impérialiste : « L’Empire représente un progrès, de la même manière que le capitalisme selon Marx constituait un progrès par rapport aux formes sociales et aux modes de production antérieurs ».
Cette appréciation du rôle progressiste de l’Empire par rapport à l’impérialisme ancien aboutit à une attitude pour le moins surprenante mais néanmoins logique face à l’état de guerre illimité décrété par Georges W. Bush le 20 septembre 2001 : cette réaction américaine « constitue un tournant régressif par rapport à la tendance impériale, un contrecoup, un retour en force de l’impérialisme, lié à une vieille structure de pouvoir et à de vieilles méthodes de direction, contre l’Empire15 ». En conséquence, pour lutter contre la guerre, il faudrait examiner « les alliances concevables avec l’aristocratie impériale réformiste ». Sic ! « Tutto questo è da pensare16 ». En effet.
Plutôt que de lutter contre l’annexion rampante de leur pays au dollarland, les prolétaires argentins devraient-ils donc accueillir à bras ouverts le nouveau cosmopolitisme impérial ? Le protectionnisme « impérial » américain et européen se porte pourtant bien, en matière de produits agricoles, de sidérurgie, d’armement. Bon an, mal, quelques milliers de Mexicains meurent sur la frontière américano-mexicaine et quelques centaines de marocains ou de Maliens se noient dans les eaux de Gibraltar.
Empire a le mérite de chercher à penser la nouveauté de l’époque pour tirer parti de la critique postmoderne des Lumières. Au lieu de se réfugier dans le mythe des révolutions passées, ses auteurs soulignent qu’il ne saurait y avoir de marché global sans qu’émerge un ordonnancement juridique supranational. Ils veulent explorer les conséquences de l’extension des rapports marchands à toutes les sphères de la reproduction sociale, mais ne soumettent guère leurs hypothèses à l’épreuve des réalités concrètes de la concentration du capital, de la géopolitique et des stratégies militaires, du lien effectif entre les entreprises transnationales et les appareils étatiques.
Ils cèdent surtout à l’illusion chronologique selon laquelle modernité et postmodernité représenteraient des époques successives, et non des logiques culturelles complémentaires et contradictoires de l’accumulation du capital : centralisation d’un côté, fragmentation de l’autre ; cristallisation du pouvoir, et dissolution généralisée ; pétrification des fétiches, et fluidité de la circulation marchande. La séparation dans le temps de ces tendances jumelles renforce l’illusion de « l’après » : elle fait apparaître le nouvel ordre impérial comme « postmoderne », « post-colonial » et « post-national ».
L’impérialisme sénile ne supprime pourtant pas l’ancien ordre des dominations interétatiques. Il s’y superpose. Si l’Empire est plus multipolaire et multicéphale qu’exclusivement américain, il n’en organise pas moins une hiérarchie de dominations et de subordinations entre nations. Le capital et les firmes qui se transnationalisent continuent à s’adosser à la puissance militaire, monétaire et commerciale des États dominants. En tirant des conclusions extrapolées de tendances contradictoires, la formule de Negri sur « L’Empire, stade suprême de l’impérialisme » encourt le même risque que celle de Lénine sur l’impérialisme comme « stade suprême du capitalisme » : celui d’une interprétation catastrophiste pour laquelle le « stade suprême » devient un stade terminal, sans issue aucune.
L’Empire et sa plèbe
À nouvel empire, nouvelle plèbe. La notion centrale de « multitude » apparaît comme l’envers et le corollaire de l’Empire dont les fondations seraient menacées par une plèbe postmoderne. Le terme a rencontré un écho certain dans les mouvements de résistance à la mondialisation capitaliste. Son succès tient sans aucun doute à sa pertinence descriptive. Il semble en effet rendre compte de la pluralité et de la diversité même des résistances, de la crise des identités et des appartenances sociales (ce que Robert Castel désigne plus généralement comme un phénomène de « désafiliation »). Il semble pouvoir refléter à la fois l’extension du salariat au travail intellectuel, la montée des exclusions, la tendance lourde et durable à la précarisation.
On comprend bien que la foule bigarrée des mobilisations argentines, rassemblant salariés, piqueteros, mères de la place de Mai, étudiants frappés par la crise universitaire, couches moyennes ruinées par la débâcle du peso, etc., puisse se reconnaître spontanément comme « peuple » ou comme « multitude ». La notion de multitude n’en reste pas moins théoriquement confuse, sociologiquement inconsistante, philosophiquement douteuse, et stratégiquement vide.
1. Une notion théoriquement confuse
Cherchant à donner « une définition ontologique de la multitude », Negri en illustre à son corps défendant la fragilité conceptuelle17. Il affirme que « multitude est un concept de classe » différent cependant du concept de classe ouvrière. On peut alors se demander si l’innovation terminologique (qui représente plutôt un retour, en deçà non seulement de Marx mais de Hegel, à la multitude spinozienne du XVIIe siècle) ne vise pas avant tout à corriger la vision ouvriériste restrictive qui (dans la tradition opéraïste des années soixante-dix notamment), définissait restrictivement le prolétariat par le seul travail directement productif et le réduisait sociologiquement à la classe ouvrière industrielle. La multitude ne serait alors que le pseudonyme ou le faux nez d’un prolétariat élargi par la généralisation des rapports marchands. Dans une conférence d’octobre 2001 à l’université romaine de La Sapienza, Negri reconnaissait ouvertement cette incertitude conceptuelle : « D’un point de vue scientifique, c’est un concept sans aucun doute encore primaire, que je lance pour voir s’il fonctionne. Quand, pour caractériser le nouveau prolétariat, on parle de multitude, on veut parler d’une pluralité de sujets, d’un mouvement dans lequel coopèrent des singularités18 ».
Negri attribue cependant à cette multitude incertaine un sens épocal. Son entrée en scène marquerait le « passage du moderne au postmoderne » et l’aboutissement de la dissolution par les luttes ouvrières « des formes de discipline sociale de la modernité ». Ses disciples français soulignent l’usage critique de la notion de multitude plutôt que son contenu social ou politique. L’accent mis sur la pluralité des multitudes permettrait de « conjurer toute tentation d’hypostase unitaire du sujet historique, de conjurer donc le recours aux grands sujets – Dieu, le Peuple, le Prolétariat, la Classe. Mais « changer les mots est un art compliqué19 », soupire Yann Moulier-Boutang. Il arrive en effet que le changement de mot change peu la chose.
La notion de multitude aurait donc pour fonction première de souligner la pluralité et l’hétérogénéité des sujets sociaux. Si elle a longtemps été refoulée ou occultée par la représentation monolithique d’un grand Prolétariat mythique, cette diversité n’est cependant pas absolument nouvelle. L’unification des intérêts de classe à partir de conditions professionnelles hétérogènes, de statuts différents, de comportements culturels variés, a toujours posé un problème au mouvement ouvrier. Sans cesse remise en cause par la logique concurrentielle du marché du travail, son unité s’est cristallisée de manière inégale et intermittente, à partir d’expériences fondatrices et de secteurs de référence : les mineurs, les cheminots, les métallurgistes, etc. Ce qui est vérifié, en revanche, c’est la tendance historique, familière aux sociologues depuis Max Weber, à la différenciation et à la complexité croissante des sociétés modernes.
Cette tendance est évidemment liée au développement de la division du travail indissociable de sa socialisation accrue. Plus nouvelle est l’intériorisation de cette complexité par les individus eux-mêmes. Je suis de sexe masculin ou féminin, ou transsexuel, travailleur syndiqué face à mon patron, communiste face à la bourgeoisie bourgeoisante, juif devant un antisémite, anti-sioniste face à un sioniste, séfarade face à un ashkénaze, citoyen français né en Occitanie, et ainsi de suite… Bref, je suis une multitude à moi tout seul. Toutes ces déterminations se combinent. Leurs intensités respectives se déplacent en fonction des situations concrètes et du conflit dominant qui les caractérisent. Mais comment faire pour que cet individu multiple ne devienne pas un individu en miettes ?
Toutes les déterminations ne pèsent pas du même poids et n’ont pas la même permanence. Les rapports de classe et de sexe jouent dans nos sociétés un rôle prépondérant dans la formation des individus, ce dont témoigne la place spécifique des syndicats et des mouvements de femmes dans la nébuleuse des mouvements sociaux. Au-delà du simple constat de la pluralité et de la diversité des sujets sociaux, la question posée est donc de savoir s’il est possible et souhaitable de les rassembler autour d’un projet commun alternatif au despotisme du capital, ou s’il faudrait renoncer à toute ambition d’alternative d’ensemble pour se contenter de coalitions ponctuelles et d’alliances kaléidoscopiques (de type arc-en-ciel) autour d’enjeux thématiques ponctuels.
Ce qui rend possible la convergence et l’unification des résistances c’est le capital lui-même ; c’est la généralisation des rapports marchands, l’omniprésence de la loi de la valeur, la pénétration de sa domination impersonnelle dans tous les pores de la vie sociale. L’oppression patriarcale ne naît pas avec le capitalisme, mais elle est conditionnée et remodelée par la division capitaliste du travail. La crise écologique est indissociable de la crise générale de la mesure marchande (par le temps de travail abstrait) de plus en plus misérable et incapable de régler le rapport des sociétés humaines avec leurs conditions naturelles de reproduction. La question de la ville et du logement ne saurait être dissociée de la question de la propriété foncière et de la production de l’espace, etc. Ce n’est donc pas par hasard si, à partir de leurs griefs spécifiques, les mouvements syndicaux, féministes, écologistes, culturels les plus divers ont pu converger à Seattle, à Porto Alegre, à Gênes ou ailleurs, et se rassembler autour d’un thème unificateur : « Le monde n’est pas à vendre ! Le monde n’est pas une marchandise ! Un autre monde est possible ! »
2. Une notion sociologiquement inconsistante
En second lieu, la notion de multitude est censée rendre compte de la puissance croissante du travail immatériel et intellectuel. Elle exprimerait ainsi « la revanche des exclus de la politique économique de la valeur », ou encore le fait qu’il ne s’agirait plus désormais pour le travailleur de vendre seulement sa force de travail (l’usage de cette force de travail pour un temps déterminé), mais de vendre sa personne même en effaçant, grâce à la flexibilité, le partage entre temps de travail et « temps pour soi ».
S’il ne fait aucun doute que, dans la plupart des pays capitalistes développés, la tendance des vingt dernières années est à la diminution du travail salarié industriel et à une pénétration accrue du travail intellectuel dans la sphère de la production, l’évaluation de cette tendance est, chez Negri et Hardt, fort approximative. En France, la part de la classe ouvrière industrielle dans la population active a reculé pendant cette période d’environ 35 % à 26 % ou 27 %. C’est une chute significative. Ce n’est pas, loin s’en faut, une disparition. Comme le disent fort bien les sociologues Stéphane Beaud et Michel Pialoux en conclusion de leur grande enquête sur la région de Montbelliard : la classe ouvrière n’avait pas disparu, elle était devenue invisible. Plus exactement, on l’avait rendue invisible.
Pendant les années d’euphorie néolibérale, alors que la mode était aux goldens boys et à la nouvelle économie, la condition ouvrière était devenue un signe d’échec social. Les sciences humaines universitaires s’intéressaient à la marginalité et à l’exclusion, mais plus au travailleur (et à la travailleuse) au travail. Les dirigeants syndicaux eux-mêmes, cédant à une forme contemporaine de qualunquisme, ne parlaient plus de travailleurs, d’ouvriers, d’employés, mais de « gens », sorte de nébuleuse sociale flottante et de poussière d’individus sans qualités. Cette situation a sensiblement changé après les grèves de 1995, tant dans la recherche sociologique que dans le cinéma social, et dans le discours politique.
Après la défaite de la gauche aux élections d’avril 2002, la grande presse s’est soudain souvenue du « monde oublié du travail » et elle s’est interrogée sur ses frustrations sociales accumulées. L’ancien Premier ministre socialiste Pierre Mauroy dut rappeler à la direction de son parti qu’après tout le mot de travailleur n’a rien de honteux. À sa manière (faussement populaire et socialement méprisante), le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a pris acte de ce changement de climat en exprimant un intérêt compassionnel pour « la France d’en-bas ».
Les métamorphoses en cours dans le monde social exigent beaucoup plus que les clichés impressionnistes qui sous-tendent parfois le concept de multitude. L’intégration de plus en plus massive du travail intellectuel dans le travail productif (tendance remarquablement annoncée par Marx dans les Grundrisse) accroît les contradictions inhérentes à la loi de la valeur, il aiguise la tension entre socialisation accrue du travail et appropriation privée, entre l’essor du travail concret personnalisé et sa réduction au travail abstrait.
Le ministère américain du Travail estime que les emplois dans les technologies de l’information ne représenteront encore en 2010 que 2,4 % des emplois (cette estimation était antérieure à la crise qui ravage cette branche). En réalité, une double tendance est à l’œuvre : au développement du travail salarié intellectuel, d’un côté, et à la taylorisation massive de travaux de service de l’autre. Il est parfaitement compréhensible qu’un livreur de pizza ou une serveuse de Mac do précaires ne puissent s’identifier au métallurgiste héroïque du cinéma italien des années soixante. Par leur exclusion de la propriété des moyens de production, par leur place dans la division sociale du travail, par la forme salariale et le montant de leur revenu, ils n’en sont pas moins des prolétaires tout autant que l’étaient aux yeux de Marx les compagnons ébénistes, les cordonniers et les couturiers des ateliers parisiens, bien avant l’essor de la grande industrie moderne.
Malgré leur évaluation approximative de la place effective du travail intellectuel immatériel, le discours de Hardt et Negri lui attribuent une vertu libératrice particulière. Rien ne permet pourtant de dire que le « travail immatériel » d’un démarcheur téléphonique, d’un publicitaire intermittent, d’un commercial travaillant à domicile soit plus libérateur que l’organisation collective sur un lieu de travail20. Pour l’heure, l’individualisation des salaires et la flexibilité des horaires ont plutôt joué dans le sens d’une désintégration des solidarités et d’un affaiblissement de l’organisation collective de la force de travail. C’est d’ailleurs bien ce que recherchent les contre-réformes libérales et la « refondation antisociale » exigées par les organisations patronales comme le Medef en France.
Or, après avoir insisté sur le fait qu’il ne saurait y avoir de hiérarchie stratégique entre les différents sujets sociaux qui composent la multitude, Hardt et Negri finissent par attribuer un rôle privilégié au « précariat ». Dans la postmodernité, le « subjugué soumis » aurait, selon Hardt et Negri, « absorbé l’exploité » et la « multitude des pauvres gens », aurait « avalé et digéré la multitude prolétarienne21 ». À l’image de la multitude « hétérogène, dispersée, complexe », dont « la configuration a-centrée et acéphale » s’opposerait à la masse compacte, continue, unidirectionnelle du salariat traditionnel, ce précariat constituerait en quelque sorte le sujet rhizomatique attendu de la subversion postmoderne22. « Socialement, la multitude de Gênes, fut la première représentation accomplie des nouveaux précaires du travail social produits par la révolution post-fordiste23». Cette multitude serait « consciente d’une nouvelle misère, précisément là, à l’intérieur de ce travail intellectuel et immatériel où des signes d’émancipation émergent plus que partout ailleurs ».
Après avoir insisté à juste titre sur la nécessité d’une alliance entre ouvriers d’usines et travailleurs exclus, Negri réclame ainsi que « soit reconnu au précariat social et aux forces intellectuelles de la production un rôle prédominant24 ». Reconnu par qui ? En vertu de quels critères ? N’est-ce pas rétablir arbitrairement entre les sujets sociaux une hiérarchie que l’on récuse par ailleurs ? Un précédent article opposait déjà le potentiel libérateur de l’exclu, du nomade, du précaire, de tous les « exilés du système » à l’enracinement asservi du travailleur à emploi stable, dont la subordination au capital serait directement fonctionnelle à la reproduction du système.
Negri réclamait ainsi que l’on prenne des distances « envers ceux qui versent des larmes de crocodile sur la fin des accords corporatistes du socialisme et du syndicalisme national, comme avec ceux qui pleurent sur la beauté des temps enfuis, nostalgiques d’un réformisme social imprégné du ressentiment des exploités et de la jalousie qui souvent couvent sous l’utopie25. »
Cette envolée lyrique n’est pas très éloignée des clichés réactionnaires sur les bas instincts d’envie et de partage qui animeraient les frustrations populaires face aux succès et aux récompenses du mérite. Les travailleurs italiens feraient-ils preuve de nostalgie corporatiste en défendant le contrat collectif de travail ? Les luttes des cheminots français pendant l’hiver 1995, les mobilisations en défense de l’emploi et des services publics, les luttes pour l’échelle mobile des salaires, relèvent-elles d’un corporatisme ressentimental ? Combattre les illusions sur l’État providence et le partenariat capital-travail implique-t-il d’être indifférent quant à l’avenir des conquêtes sociales arrachées depuis la dernière guerre mondiale ? Combattre le nationalisme cocardier d’un Chevènement doit-il conduire à considérer toute opposition à l’Europe libérale de Maastricht comme le signe d’une nostalgie réactionnaire de la souveraineté nationale ? Et faut-il voir dans la construction européenne telle qu’elle se fait un progrès inscrit dans la dynamique positive de la mondialisation26 ?
La transformation de l’exclusion subie (par le chômage, la pauvreté, l’emploi partiel ou précaire) en exil volontaire et en nomadisme libérateur, fait écho aux « lignes de fuite » deleuzienne. Mais fuite vers quel horizon ?
3. Un concept philosophiquement douteux
Les approximations théoriques et les inconsistances sociologiques de la rhétorique de la multitude, s’adossent à un parti pris philosophique lui aussi fort discutable. La multitude serait ainsi « la chair de la vie27 » ou encore « une poussée permanente de l’être vers la libération ». Toni Negri oppose ainsi explicitement l’ontologie de la multitude à la dialectique de la lutte. Il prolonge la « révolution copernicienne » opéraïste qui prétendait inverser la subalternité du prolétariat envers le capital en faisant de la classe ouvrière la seule force créatrice, et du capital (ou des institutions) la cristallisation réactive de son énergie confisquée. L’Empire devient alors une sorte de résultat résiduel, pratico-inerte, de l’activité foisonnante de la multitude. Mais, alors que le concept de multitude était censé déconstruire l’hypostase d’un Prolétariat majuscule au singulier, la multitude tend à devenir à son tour un grand sujet mythique de substitution : pas de contradictions au sein de la multitude ? pas de multitudes aliénées ni de multitudes fanatiques ?
La multitude devient, souligne Jacques Rancière, « la puissance affirmative finale ». Il y a, dans la revendication de s’en remettre à cette puissance affirmative une « phobie du négatif, la phobie d’une politique qui se définisse contre ». À défaut de lutte finale, cette phobie ramène par la fenêtre « la téléologie immanente » (rebaptisée « téléologie aléatoire ») que l’on prétendait chasser par la porte. Malgré l’innovation affichée, le changement de mot ne modifie guère la problématique. Au lieu d’analyser les défaites politiques et sociales subies par les exploités et les opprimés pendant les vingt années de réaction libérale, l’individualisation, la compétition de tous contre tous, la désintégration des solidarités sociale, au lieu de chercher les voies politiques de reconstruction des rapports de forces, on se contente alors de parier sur les vertus d’une multitude héroïque, appelée à prendre le relais du héros prolétarien perdu.
Ce fétichisme de la multitude ne contribue guère à résoudre les contradictions qui travaillent les mobilisations de classe comme tous les grands mouvements collectifs. Autant que le peuple, auquel il prétend s’opposer, le concept de multitude est pourtant passible d’identifications problématiques. Et « la pensée des multitudes n’échappe pas aux alternatives que rencontre en général la pensée de sujets politiques28. »
Un concept stratégiquement muet
Pour conjurer les effets de la réification et de l’aliénation marchandes, les formules opposant la multitude au peuple, le jaillissement insaisissable du désir à l’emprise du pouvoir, les flux déterritorialisés au quadrillage des frontières, la reproduction biopolitique à la production économique, ne suffisent pas. Hardt et Negri savent bien que la mercatique, « postmoderne avant la lettre », peut investir la pluralité pour transformer « chaque différence en opportunité » de consommation, ou « la gestion de la diversité » en opération lucrative. Ils savent aussi que l’invocation lyrique des contre-pouvoirs locaux et des actions « de proximité » peut fort bien traduire une impuissance face au pouvoir tout court. Ils savent enfin que « l’hybridation, la mobilité et la différence ne sont pas libératrices en elles-mêmes », et qu’on ne saurait, sans avoir à en payer le prix fort, renoncer à quelque visée de vérité.
Il ne suffit donc pas d’opposer au « peuple » mythique, « synthèse instituée préparée pour la souveraineté », tendant à l’homogène et à l’identique, une « multitude faite d’individualités et de multiplicités irréductibles ». Ce pari sur la multitude, faisant du pauvre « le fondement de la multitude » et « aussi le fondement de toute possibilité d’humanité », colporte des relents de populisme assez peu novateur.
Finalement, l’indétermination conceptuelle entretenue autour de la notion de multitude contribue à masquer un grand vide stratégique. Dans le théâtre d’ombres qui oppose la multitude à l’Empire (ou plutôt la réaction impériale à la « poussée permanente de l’être »), les médiations politiques s’effacent : non seulement les États nations, mais les partis, les syndicats, toutes les formes organisées de la lutte politique.
Pour Hardt et Negri la politique se définit comme mouvement de la multitude. Malgré « le déclin des sphères traditionnelles de résistance », et bien que « les espaces publics soient de plus en plus privatisés », la politique ne serait plus, contrairement à ce que redoutait Hannah Arendt, menacée de disparition. Elle perdrait seulement son autonomie illusoire pour se confondre avec la lutte sociale : « Les conflits sociaux qui constituent le politique se traitent désormais directement, sans médiation d’aucune sorte ». Si la politique est un art des médiations, qu’en reste-t-il lorsqu’on a supprimé ces dernières ? La fusion décrétée du politique et du social escamote la difficulté sans la résoudre. Promettre que le mouvement de la multitude aura à « inventer les formes démocratiques d’un nouveau pouvoir constituant » trace une perspective décidément bien trop vague face aux défis de l’époque.
Les métamorphoses historiques semblent alors obéir à un double déterminisme : technologique (les effets des nouvelles technologies sur le contenu et l’organisation du travail) et sociologique (l’irrésistible poussée de la multitude en marche vers son fabuleux destin). Ainsi, dans la compréhension de la situation actuelle et de ses contradictions, n’intervient aucune analyse des défaites sociales et politiques subies par le prolétariat face aux contre-réformes libérales des années quatre-vingt. Aucune interrogation n’est émise sur les effets durables ou conjoncturels de ces défaites. Negri élude ainsi tout bilan de ses théories passées sur l’ouvrier masse ou sur le travailleur social, pour en répéter le schéma à travers un nouveau sujet, la multitude, qui leur ressemble à bien des égards comme une sœur jumelle.
Pour éviter de tomber dans une querelle purement scolastique sur « classe ou multitude », il faut mesurer l’enjeu pratique du débat à l’incidence stratégique des catégories en question.
Hardt et Negri affirment que le nouvel ordre impérial « ouvre la possibilité réelle de son renversement et de nouvelles potentialités de révolution29 » : le capital ayant épuisé son espace d’expansion, ses contradictions seraient de plus en plus insurmontables. Ils se défendent pourtant de toute prophétie sur la catastrophe finale et s’interrogent sur la façon dont les résistances et les actions de la multitude pourraient « devenir politiques ». « Par où commencer ? », demandait jadis Lénine, au seuil d’une nouvelle époque. « Le seul événement que l’on attend toujours, répondent aujourd’hui Hardt et Negri, est la construction d’une puissante organisation révolutionnaire », mais « nous n’avons pas de modèle à proposer pour cet événement »30. Un modèle ? On n’en demande pas tant. Mais pour inscrire la lutte politique dans la durée, il faut plus que « l’attente d’un événement » qui tarde au rendez-vous. Bien qu’elle soit claire sur le plan du concept, admettent les deux compères, « la tâche de la multitude reste plutôt abstraite ». Quelles pratiques concrètes vont animer ce projet politique ? Réponse : « On ne peut le dire pour le moment31. » Mystère donc, et boule de gomme.
Faudra-t-il se contenter en attendant d’un lobbying social de la multitude pour contraindre « la gauche de gouvernement à s’ouvrir32 ». Devant la multiplication des mobilisations géantes contre le gouvernement Berlusconi depuis la manifestation de Gênes en juillet 2001, Negri constate que « la reconstruction d’une gauche digne de ce nom est à l’ordre du jour33 ». En effet. À la lecture du même article, le paysage de cette reconstruction reste cependant désespérément désertique, vide de tout acteur réel. Ni Refondation communiste, ni l’Olivier, ni la CGIL ne sont nommément mentionnés. Ce flou ménage la possibilité de juxtaposer une rhétorique radicale sur les mouvements sociaux avec une politique de délégation et de pression assez traditionnelle sur la gauche « réellement existante », sans la défier sur tous les terrains, y compris le terrain électoral. Pour Negri, l’obstacle sur la voie de la refondation résiderait moins, en effet, dans les stratégies sociales-libérales auxquelles s’est ralliée la gauche traditionnelle, que dans « le déficit culturel » d’un mouvement syndical taxé d’ouvriérisme, toujours lié à un « projet illusoire de gouvernement fondé sur la vieille idée selon laquelle la classe ouvrière peut encore être porteuse de valeurs hégémoniques au sens gramscien. » Il s’agirait donc de « refonder la gauche sur un nouveau peuple ». Changer de peuple à défaut de pouvoir changer la gauche ?
Quant au « programme neuf » proposé « pour une phase plus avancée de la révolution communiste », c’est « un programme de démocratie absolue34 ». On n’en saura guère plus. Si ce n’est que cette démocratie absolue commence par un appel – au demeurant raisonnable – à ne pas abandonner le terrain électoral et institutionnel, car « l’autre terme de l’alternative serait l’exode négatif et frustré des citoyens ». Après l’exode, le retour aux urnes et à la terre promise. Il n’est cependant pas précisé à quelles conditions, sur quelles propositions, avec quels outils, dans quelles perspectives d’alliances, « les 20 % qui contestent par l’abstention les mécanismes électoraux » pourraient être mobilisés par « les dynamiques de participation et de citoyenneté ». Invoquer l’extrême importance des thématiques participatives qui « impliquent un complet renouvellement du concept de politique » est un peu court. À la lumière de l’expérience de Porto Alegre – débarrassée de sa mythologie exotique – de ses propres contradictions et de ses limites, on découvre que la thématique participative, nécessaire dans la mesure où elle renvoie à celle de l’auto-émancipation, n’est pas suffisante pour refonder une stratégie politique.
Faute d’envisager la manière dont la multitude des résistances sociales pourrait se transformer en multitude politique (pour paraphraser Marx parlant du prolétariat comme « classe politique »), les trois revendications qui tiennent lieu de programme dans la partie finale d’Empire (la citoyenneté globale, le revenu minimum universel et la réappropriation des nouveaux moyens de production) « oscillent entre la vacuité formelle et la radicalisation impossible35 ». À l’épreuve des rapports de forces existants, chacun de ces thèmes se révèle en effet à double tranchant.
– La citoyenneté globale impliquerait l’inscription de droits universels dans un espace politique. « Être citoyen, dit Hannah Arendt dans sa septième conférence sur le jugement, veut dire entre autres qu’on a des responsabilités, des obligations et des droits : toutes choses qui ne prennent sens que si elles s’inscrivent dans un territoire36 ». Les droits de l’homme deviennent des abstractions lorsqu’ils sont détachés de cette citoyenneté politique. Si l’État-nation devient un obstacle de plus en plus contraire au développement de ces droits, la citoyenneté doit trouver à se déployer à une autre échelle, continentale ou mondiale. Mais elle ne saurait exister hors de la dialectique entre pouvoir constituant et ordre politico-juridique institué. Sans cette perspective, elle ne tarderait pas à se dissoudre dans le marché pour rejoindre la version libérale des droits de l’homme et de l’ingérence humanitaire « sans frontières ».
– De même, le revenu annuel garanti a ses théoriciens et ses partisans libéraux. Pour eux, il se réduit à une sorte de revenu de survie ou de minimum social permettant de tirer vers le bas l’échelle des salaires et d’enfoncer l’obstacle que représente encore le salaire minimum légal. « L’allocation universelle de solidarité » au moins égale au salaire minimum garanti signifierait une socialisation généralisée du salaire contre les intermittences du travail. Inutile de préciser qu’il faudrait pour l’arracher un rapport de force extraordinairement favorable, alors que, dans la plupart des pays, l’heure est à la défense de la sécurité sociale, des minima sociaux, au refus de remettre en cause le salaire minimum, face aux assauts du patronat contre les solidarités acquises. Dans ce contexte concret, il est dangereux de jouer avec des revendications assez imprécises pour se prêter à des interprétations opposées.
– Quant à la réappropriation sociale, effectivement décisive, elle ne saurait se limiter aux nouveaux moyens de production ou à l’expérimentation du copyleft, en laissant intacte la propriété des grands moyens de production, de communication et d’échanges, elle n’est pas incompatible avec le système. Concrètement, elle commence donc par une lutte sans concession pour la défense et la transformation des services publics contre la nouvelle vague de privatisations annoncée par la commission européenne et par les différents gouvernements.
Entre résistance et désertion
Empire reste écartelé entre la tentation d’une nouvelle mouture de théorie catastrophiste de l’effondrement et le cercle vicieux d’un système sans issue qui ne laisserait d’autres perspectives qu’une résistance sans fin et une « désertion » imaginaire. Dans les interventions de Toni Negri, le thème poétique de la désertion tient lieu en effet de « ligne de fuite » stratégique. Dans son entretien du 14 septembre 2002 au Manifesto, il répond à la question de savoir quelles sont les cartes dont dispose « le mouvement des mouvements » : « Deux : l’exode et la résistance. L’exode, autrement dit le retrait du jeu, le refus, le fait de se situer dans une autre partie que la partie en cours […]. Le mouvement peut se construire sur l’exode, mais il doit aussi faire de la résistance. Car le pouvoir ne te laisse pas choisir l’exode en paix. Il t’attaque en permanence. Par conséquent, ou bien l’exode devient militant et combattant, ou bien il est perdant […]. Comment utiliser l’exubérance créatrice de la multitude dans les rapports de forces réels ? Quelle topologie de la résistance dessiner ? Quelle pratique mettre en œuvre ? Tout ceci reste à penser37. » La dialectique dont Negri se prétend débarrassé revient ici en force sous la forme de la « dialectique négative » du refus et des résistances.
Dans sa conférence d’octobre 2001 à l’université de la Sapienza, il développait l’appel à déserter le savoir (les lieux d’éducation) comme l’armée, « à déserter dans tous les sens du terme » et à opposer « l’art de la désertion à l’art de la guerre ». Il présentait alors la désertion ou l’exode comme les mots d’ordre de la multitude dans un monde où le sabotage classique ou le refus luddiste de l’outil de production ne sont plus possibles, le travail étant devenu « un tissu social » et la domination biopolitique impliquant un contrôle sur la vie elle-même : « Aujourd’hui que le travailleur porte son instrument de travail dans sa tête, comment faire pour saboter ou refuser le travail ? » La réponse est donc dans l’exode, l’exil et la désertion. La vie est ailleurs. Mais où ?
Il existe, par cooptation et par promotion sociale, des cas d’évasion individuelle réussie. Quelqu’un – Ellen Meiksins Wood, je crois – rappelait finement qu’on ne s’évade pas en masse de la condition prolétarienne. On ne déserte pas collectivement le système. Il faut l’affronter, le briser et le changer. Dans les mouvements de chômeurs, certains chômeurs de longue durée, désespérant de ne jamais plus retrouver un emploi, théorisent parfois leur propre exclusion, prétendant déserter volontairement la production. Subjectivement, ce sont des déserteurs du travail. « Objectivement », du point de vue du système et de sa logique, ils n’en restent pas moins des chômeurs, c’est-à-dire des fantassins de l’armée industrielle de réserve modernisée.
Mille trompettes appelant à la désertion n’ébranleraient pas les murs invisibles de l’Empire. Le livre s’achève sur un devoir militant aux allures d’impératif catégorique : « Aujourd’hui, après tant de victoires capitalistes, après que les espoirs socialistes se sont dissous dans la désillusion, et après que la violence capitaliste contre le travail s’est cristallisée sous le nom d’ultralibéralisme, comment se fait-il que le militantisme existe toujours ? » La proclamation de Hardt et Negri selon laquelle « le militantisme contemporain » fait « de la rébellion un projet d’amour », prend alors l’accent d’une profession de foi. Il n’est guère surprenant que la figure appelée à « éclairer la vie future du militantisme communiste » soit alors celle de François d’Assise, le Poverello résistant au capitalisme naissant : « Dans la postmodernité, nous nous retrouverions dans la situation de Saint François opposant à la misère du pouvoir la joie de l’être. C’est une révolution qu’aucun pouvoir ne contrôlera – parce que le bio-pouvoir et le communisme restent ensemble, en tout amour, toute simplicité et toute innocence. Telles sont l’irrépressible clarté et l’irrépressible joie d’être communiste38 ». La joie expansive du Saint François selon Negri répond ainsi à l’austère exigence du Saint Paul selon Badiou. Dans les deux cas, la politique révolutionnaire introuvable tend à se muer en étrange mystique sans transcendance.
1er novembre 2002, ESSF 2006
www.danielbensaid.org
Documents joints
- Antonio Negri, Le Pouvoir constituant, Paris, Puf, 1997.
- Gilles Deleuze, Spinoza, Philosophie pratique, Paris, Minuit, 1981, p. 134.
- Antonio Negri, op. cit., p. 428.
- Carl Schmitt rappelle à ce propos que la dictature, en tant que pouvoir d’exception opposé à l’arbitraire de la tyrannie ou du despotisme, a longtemps été conçue comme un « miracle », dans la mesure où elle suspend la légalité étatique comme le miracle suspend la légalité naturelle.
- Ibid., p. 331 et 436.
- Cette tentation est liée au rapport, souligné par Carl Schmitt, entre la notion moderne de pouvoir constituant, radicalement immanent, et le passage de la « dictature commissaire » (pouvoir d’exception légalement délégué par mandat pour une durée déterminée) à la « dictature souveraine », dont le pouvoir n’est « obligé par rien » : « Alors que la dictature commissaire est autorisée par un organe constitué et à un titre de la constitution en vigueur, la dictature souveraine ne dérive que, et immédiatement, du pouvoir constituant informe » (Carl Schmitt, La Dictature, Paris, Seuil, 2000).
- Ibid., p. 190.
- L’accélération des rotations du capital, de la circulation des marchandises et de la diffusion de l’information peut-elle prendre désormais de vitesse cette temporalité révolutionnaire ?
- Ibid., p. 308.
- Ibid., p. 438.
- Michaël Hardt et Toni Negri, Empire, Paris, Éditions Exils, 2000.
- Toni Negri, « L’Empire, stade suprême de l’impérialisme ». Le Monde diplomatique, janvier 2001.
- Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, commission régionale de l’Onu.
- Interview de Toni Negri dans Le Monde, 27 janvier 2002.
- Toni Negri, interview au Manifesto, 14 septembre 2002.
- Ibid.
- Voir Toni Negri, « Pour une définition ontologique de la multitude », Multitudes n° 9, juin 2002, Paris, éditions Exils.
- On retrouve les mêmes approximations dans un entretien à propos d’Empire paru le 21 février 2002 sur le site de Sherwood Communicazione « Sherwood Tribune » : « La multitude c’est, d’un côté, un ensemble de singularités et par conséquent un ensemble de libertés, un ensemble de potentialités que nous mettons en réseau ; en deuxième lieu, c’est un concept de classe et par conséquent une force qui s’oppose à l’exploitation capitaliste ; en troisième lieu enfin, c’est une puissance de travail immatérielle, de travail intellectuel. »
- Yann-Moulier Boutang, Multitudes n° 9, op. cit.
- Quelqu’un comme André Gorz défend même un point de vue diamétralement opposé en soutenant que la perte de substance matérielle du travail se traduit par une aliénation renforcée.
- Empire, p. 204.
- Peter Pal Perbart, Multitudes n° 9, op. cit.
- Toni Negri, « Refonder la gauche italienne », Le Monde diplomatique, août 2002.
- Toni Negri, « Refonder la gauche italienne », Le Monde diplomatique, août 2002.
- Toni Negri, « L’Empire, stade suprême de l’impérialisme », Le Monde diplomatique, janvier 2001.
- Dans son entretien au Manifesto du 14 septembre 2002, Negri se contente ainsi de signaler que « l’Europe unie peut offrir un terrain sur lequel subvertir l’ordre global ». Faut-il entendre qu’à l’instar de l’Empire par rapport au vieil impérialisme, l’Europe unie (sans autre précision) réellement existante, constitue un progrès tel qu’il faille renoncer à combattre les traités libéraux de Maastricht et d’Amsterdam ? La construction libérale de l’Europe a des effets contradictoires, d’un côté elle sert de machine de guerre contre les acquis sociaux, de l’autre elle met à l’ordre du jour la perspective d’un espace social européen. Qui l’emportera ? Cela dépend des luttes et des rapports de forces. Mais pour libérer le potentiel social des classes travailleuses européennes, il faudra en passer par la crise de l’édifice de Maastricht.
- Multitudes n° 9, op. cit.
- Jacques Rancière, Multitudes n° 9, op. cit.
- Empire, p. 393.
- Ibid. p. 493.
- Ibid., p. 480.
- Yann Moulier-Boutang, Multitudes n° 9, op. cit., p. 9. Dans un registre voisin, Miguel Benassayag, décrétant que les lieux de pouvoir ont en parti perdu leur intérêt » finit par dire que l’avènement de gouvernements de gauche peut être « un élément de plus dans la radicalité multiforme » (Libération, 6 août 2002), sans spécifier le moins du monde quels gouvernements de gauche et pour quelle politique. La radicalité formelle peut ainsi faire bon ménage avec la realpolitique gestionnaire suivant un partage des rôles somme toute assez traditionnel.
- Toni Negri, Le Monde diplomatique, août 2002.
- Toni Negri, ibid.
- Voir Slavoj Zizek, « Have Michael Hardt and Toni Negri rewritten the Communist Manifesto for the Twenty-first Century », Rethinking Marxism, vol. 13, n° 3-4, 2001.
- Hannah Arendt, Juger, Paris, Le Seuil, 1991, p. 73.
- Il Manifesto, 14 septembre 2002.
- Empire, p. 496.