Une crise de civilisation

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« Le monde est au bord du gouffre par la faute d’un système irresponsable » (François Fillon, 3 octobre 2008). Ce système irresponsable a pourtant ses responsables. Il a fallu, pour imposer la dérégulation boursière et financière dont la crise actuelle est la conséquence logique, un bon quart de siècle de contre-réformes libérales. L’exigence par les actionnaires d’un retour sur investissement de 15 % ou plus, pour une croissance moyenne de 3 %, était aussi prodigieuse que la multiplication biblique des pains. Comme l’a reconnu Nicolas Sarkozy dans son discours de Toulon, le rêve libéral d’une « mondialisation heureuse » (une pierre présidentielle dans le jardin fleuri d’Alain Minc !) n’était qu’un rêve. Quand le réel rattrape le virtuel, le rêve vire au cauchemar.

Cette crise était parfaitement prévisible. En moins de vingt ans, le revenu du travail a cédé en moyenne 10 % au capital dans le partage de la valeur ajoutée. Le capitalisme a ainsi restauré des taux de profits dégradés au terme des « trente glorieuses », mais ce fut au prix d’une restriction de la demande solvable (du fait du gel des salaires et du développement du chômage et de la précarité). Le pouvoir d’achat cannibalisé par les profits a donc été dopé par un développement vertigineux du crédit hypothécaire et du « capital fictif ». Cette cavalerie planétaire ne pouvait durer éternellement.

La crise rappelle que la bulle financière ne flotte pas en lévitation, détachée de « l’économie réelle » Pour avoir foi en « l’argent qui fait de l’argent », il faut avoir oublié que la circulation (financière) et la production sont deux séquences complémentaires du « procès d’ensemble de la production capitaliste » et que la production est la seule source d’accroissement des richesses. Bien plus que la confiance, c’est cette croyance dans les dieux du Marché qui vient de mourir. Le terme même de libéralisme semble soudain devenu imprononçable, comme s’il était désormais synonyme d’abus et de dérives d’un capitalisme voyou qu’il s’agirait seulement de moraliser.

« S’attaquer à ceux qui ont utilisé le système sans s’attaquer au système lui-même est inopérant », Martine Aubry, 5 octobre 2008. Il n’y a pas de crise finale ou d’effondrement fatal de ce système. Mais l’issue n’est pas non plus jouée d’avance. La lutte des classes détermine qui, des possédés ou des possédants, en paiera le prix. Mais, au-delà de la crise économique et financière, cette crise devient révélatrice d’une crise historique de civilisation. C’est la démesure de la course illimitée au profit en tant que moteur du système qui est en cause. Plus la division du travail est complexe, plus il est socialisé, plus il incorpore de savoirs et de savoir-faire accumulés, plus sa mesure par le temps d’horloge devient « misérable et irrationnelle ». De même que devient misérable et irrationnelle la mesure marchande des échanges entre l’homme et ses conditions naturelles de reproduction. Crise sociale et crise écologique en sont les manifestations criantes.

S’attaquer au système lui-même, ce serait s’attaquer à la logique du calcul égoïste, de l’appropriation privée des moyens de production et d’échange, de la concurrence de tous contre tous, et lui opposer une logique des biens communs de l’humanité, du service public et de la solidarité sociale, qui est aussi une logique d’autogestion démocratique.

15 janvier 2009
Philomag, janvier 2009
www.danielbensaid.org

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