Nous publions [in Rouge du 4 janvier 1971] le protocole d’accord signé par les représentants de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste. Ce protocole conclut la première phase de discussion entre les deux organisations et ouvre une nouvelle période du processus d’unification.
Il s’agissait jusqu’à présent de définir le cadre organisationnel de l’organisation future. Il s’agissait pour les deux organisations non de se donner des garanties formelles réciproques, mais d’acquérir la preuve et la conviction des possibilités réelles d’unité. Désormais, il est possible de s’atteler à une double tâche. D’une part, ouvrir une discussion à tous les niveaux entre les militants et les directions des deux organisations sur les questions d’orientation et de programme. D’autre part, mener le plus souvent possible des actions et des campagnes communes qui permettront de faire la preuve pratique de l’unité envisagée, d’évaluer les difficultés que nous rencontrerons encore. C’est là le test pratique décisif pour les mois qui viennent : pour la démocratie syndicale, contre la répression ; dans le soutien aux luttes anti-impérialistes, nos militants devront non seulement se rencontrer et se côtoyer, mais discuter des fondements de leur action, les situer dans une compréhension plus vaste, clarifier au feu de la pratique la ligne de la future organisation.
Au-delà de la portée pratique immédiate de ce protocole, nous devons souligner sa portée politique beaucoup plus vaste.
Tout d’abord il marque un renversement de tendance au sein de l’extrême gauche. À l’époque du stalinisme triomphant, acculée à la défensive, souvent réprimée physiquement, menant une existence essentiellement littéraire et propagandiste, cette extrême gauche était souvent réduite à la défense d’une tradition théorique révolutionnaire d’autant plus sujette à interprétations que les conséquences pratiques n’étaient pas toujours immédiates. Il en résultait la fameuse « vogue »
– selon les détracteurs, les passifs, les capitulards – des scissions, éclatements. C’était l’époque de la fragmentation extrême de l’avant-garde, des sectes et des chapelles. Aujourd’hui, la radicalisation de la jeunesse ouvrière et étudiante, la montée révolutionnaire internationale permettent aux courants réellement antistaliniens une insertion nouvelle dans les luttes et une collaboration dans l’action qui va à contre-courant de ce passé désormais révolu. Il n’en résulte pas seulement un renforcement pour les organisations qui se regroupent, mais un regain d’espoir et de confiance pour un grand nombre d’anciens et de nouveaux militants pour lesquels les organisations actuelles et leur dispersion n’offraient pas assez de force et de garantie pour les regagner au combat révolutionnaire.
De plus, la domination de la classe ouvrière par les organisations staliniennes a en partie déterminé la nature de certaines de ces organisations. Nous avons souvent reproché à Lutte ouvrière le caractère plus moralisant ou moralisateur que politique de certaines de ses positions Ce sectarisme moralisant peut être considéré comme un des moyens d’autodéfense d’organisations minoritaires face au stalinisme. En conséquence, il est compréhensible que de telles organisations aient capté et canalisé d’authentiques énergies révolutionnaires, chez les jeunes en particulier. Qu’aujourd’hui, en envisageant fusion et unification, une de ces organisations accepte d’entrouvrir la cuirasse, c’est une preuve supplémentaire du rapport de forces nouveau dans le mouvement ouvrier national et international. Les révolutionnaires ne peuvent plus vivre de leur auto préservation théorique et organisationnelle. Ils doivent s’intégrer aux luttes, assumer le rôle qui leur est dévolu. Il en résulte que la politique reprend le pas sur le moralisme.
Enfin, il est significatif que dès la phase préliminaire des discussions entre LO et la Ligue, il soit acquis que la fusion éventuelle se fera dans le cadre de la IVe Internationale. C’est là une preuve supplémentaire de ce qu’aujourd’hui le problème de la construction d’un Parti révolutionnaire en France n’est pas envisageable indépendamment du problème de la construction d’une Internationale qui nous transmet l’héritage vivant de la révolution d’Octobre et de l’Opposition de gauche au stalinisme. Dans la phase de clarification que nous connaissons au sein de l’avant-garde internationale, cette idée doit être défendue plus vigoureusement que jamais. Il est encourageant qu’en ce qui nous concerne nous en soyons déjà à la mise en pratique de cette conviction.
Rouge, 4 janvier 1971
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