Les élections présidentielles brésiliennes auront lieu en novembre prochain. Délicate échéance pour les classes dirigeantes : les plans cruzados, de rétablissement de la monnaie, ont fait faillite et l’inflation repart de plus belle, la question agraire reste explosive, le fardeau de la dette continue de peser sur les exploités. Comme dans les autres pays issus d’une dictature, l’ouverture démocratique, loin d’être consolidée demeure en sursis, l’armée et les corps répressifs se sont repliés en bon ordre dans leurs quartiers, sans être remis en cause aussi vigoureusement qu’en Argentine et en Uruguay.
Les différences sont cependant tout aussi notoires. D’une part, le Brésil est le pays dépendant d’Amérique latine dont le développement industriel propre est, sans commune mesure, le plus avancé. La bourgeoisie y est socialement beaucoup plus consistante que dans les pays andins et politiquement plus agile qu’au Mexique. Enfin, résultat de la forte expansion des années soixante-dix, un mouvement social et ouvrier indépendant s’est constitué et consolidé au cours de la transition « démocratique », concrétisé par la formation de la Centrale unique des travailleurs (Cut) et du Parti des travailleurs (PT).
Face à l’usure accélérée des deux grands partis bourgeois majoritaires et de leur personnel après une législature à la tête des municipalités et des gouvernements locaux, le PT a connu aux élections municipales de novembre 1988 un succès spectaculaire, atteignant des scores supérieurs à 30 % dans certaines grandes villes et remportant des mairies comme celles de Sao Paulo, Porto Alegre, Vitoria, et des banlieues ouvrières de Sao Paulo (voir Inprecor, n° 280 et 285 des 23 janvier et 3 avril 1989). Sur sa lancée, le PT a décidé de présenter Luis Inacio da Silva, appelé Lula, comme candidat aux prochaines élections présidentielles. Les sondages le créditent aujourd’hui de scores oscillant entre 20 et 30 %, ce qui le placerait en seconde, voire en première position d’un scrutin à deux tours, comparable au système français.
La droite désemparée
La droite n’a plus que six mois pour trouver un candidat crédible et d’envergure nationale. Pour l’heure, Lionel Brizola, ancien gouverneur de Rio et chef de file du Parti démocrate travailliste (PDT), héritier du populisme brésilien traditionnel et affilié à l’Internationale social-démocrate, apparaît comme le seul candidat charismatique face à Lula.
Ses handicaps, cependant, ne sont pas mineurs. D’une part, s’il dispose d’implantations locales significatives à Rio et dans l’État du Rio Grande do Sul, il ne peut pas compter sur un appareil rodé et implanté à l’échelle nationale, ce qui, dans un pays de la dimension du Brésil est décisif. D’autre part, ancien banni de la dictature, il compte, à droite, de tenaces ennemis et aura du mal à rassembler sur son nom, au deuxième tour, tous les morceaux de cette mosaïque.
Enfin, pour se présenter comme un candidat anti-Lula efficace et donner les gages nécessaires à la droite, il est obligé, bien que déclarant se désister en faveur de Lula dans l’hypothèse d’un deuxième tour entre Lula et la droite, de radicaliser son discours contre le PT, et à travers lui contre les revendications et les mouvements sociaux. Ce qu’il a commencé à faire dans sa précampagne, au risque d’en payer le prix électoral.
Nouvelles responsabilités pour le PT
Le PT, investi de responsabilités nouvelles, entre aussi dans une étape enthousiasmante mais difficile de son histoire. Il doit à la fois diriger des mouvements sociaux explosifs (luttes agraires, grève générale récente), démontrer une capacité de gestion différente à la tête de municipalités monstrueuses comme Sao Paulo, et participer avec détermination à la campagne présidentielle, avec une chance minime, mais non nulle, de succès.
Il ne peut le faire avec cohérence que sur la base d’un programme de rupture démocratique et anti-impérialiste : non-paiement de la dette qui étouffe les budgets sociaux, réforme agraire radicale, indexation des salaires, réforme urbaine… Au-delà, sa capacité à tenir tête aux chantages prévisibles, aux menaces, et au sabotage dépendrait avant tout de la solidité de ses liens avec les mouvements sociaux et du prestige acquis auprès des autres peuples d’Amérique latine.
Outre la question du programme, se posera celle du désistement ou non, au second tour, dans l’éventualité d’un duel entre Brizola et la droite (la réapparition d’un vieux cheval de retour comme Janio Quadros n’est pas exclue). Dans cette hypothèse la tentation du vote « du moindre mal » sera forte, y compris dans les rangs du PT, bien que l’agressivité de la campagne brizoliste exacerbe plutôt, dans l’immédiat, le patriotisme « pétiste ».
Toutes ces questions seront débattues et probablement tranchées lors de la convention extraordinaire du PT, prévue en juin, pour donner le véritable coup d’envoi de la campagne.
Inprecor n° 286 du 17 avril 1989