La plupart des médias ne veulent voir dans les débats de la gauche radicale que des intérêts de boutique.
Les médias manifestent une curiosité inhabituelle envers la gauche antilibérale ou radicale. Il ne faut certainement pas s’en plaindre. Après sa percée électorale à l’élection présidentielle de 2002 et son rôle moteur dans le succès du non de gauche au référendum constitutionnel de 2005, cette autre gauche s’impose comme acteur et enjeu significatif du champ politique. Mais sa visibilité ne se traduit pas par un effort de compréhension des questions d’orientation refoulées au profit du jeu des images et des rivalités de personnes. Dans cette foire médiatique aux ego, l’âge, le sexe, le look comptent davantage que les idées. À l’heure de la marchandisation du monde, le spectacle – stade suprême du fétichisme – dévore la politique : par une heureuse coïncidence du calendrier, 2007 sera aussi l’anniversaire de la première publication du Capital de Marx (1867), et de la parution, un siècle plus tard, de la Société du spectacle de Debord !
On s’est livré à des calculs savants pour savoir combien, dans les collectifs unitaires, Marie-George, Clémentine, José, Yves ou Patrick recueillaient de suffrages, sans beaucoup de soucier du contenu de la campagne et de la clarification sur les alliances gouvernementales et parlementaires à venir. Elle est pourtant nécessaire. Entreprendre le rassemblement d’une gauche alternative pour la noyer aussitôt dans une gauche plurielle recomposée autour du PS synthétisé (derrière sa majorité ouiste), ce serait jouer les Pénélope : détricoter ce qui a été péniblement tricoté la veille.
La plupart des commentaires médiatiques ne veulent voir dans les controverses au sein de la gauche radicale que des jeux d’appareil ou des intérêts de boutique. Comme s’ils étaient une exclusivité des petites organisations et non des grandes firmes supposées au-dessus de ces mesquineries. Et comme si n’existaient pas aussi des intérêts médiatiques, symboliques, narcissiques, de toutes sortes. Les partis, mouvements, organisations qui défendent avec conviction des projets différents défendent tous des intérêts. L’important, c’est de savoir lesquels, ceux de quelles catégories ou de quelles classes sociales.
Dans le mépris envers les partis, et le dénigrement de la politique qui souvent l’accompagne, se profile une idée de la démocratie où le plébiscite sondagier permanent l’emporterait sur la controverse, la cooptation médiatique sur le contrôle collectif de porte-parole élus, la dictature vénale de l’opinion sur une conception active de la citoyenneté. L’innovation des adhérents à 20 euros du Parti socialiste – qui ne cotisent plus pour militer, mais achètent le droit de vote – est un pas dans cette direction. Au sein des collectifs pour une candidature unitaire, la confusion des votes en l’absence d’accord préalable sur les questions qui fâchent et de règles démocratiques définies est aussi révélatrice d’un malaise. Comme tout droit, une procédure élective implique un certain degré de formalisme. Le traitement médiatique aura largement contribué à éluder le débat d’orientation dans la gauche radicale. Il finira inévitablement par s’imposer à l’approche des échéances électorales. Mais, au terme du poker menteur des dernières semaines, la confusion, la frustration et l’amertume risquent fort de compromettre un avenir qu’une franche explication aurait préservé. C’est un effet collatéral de la victoire de la « démocratie médiatique » sur la « démocratie républicaine », du jeu des images sur la confrontation des idées.
Marianne, 23 décembre 2006 au 5 janvier 2007
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