Inventer l’inconnu

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Le hasard de l’édition fait qu’en cette fin 2008, deux maisons différentes, La Fabrique et Science marxiste, ont choisi de ressortir les textes de Marx et Engels concernant l’expérience de la Commune. Le cœur du livre de La Fabrique est constitué par un ouvrage fondamental en raison de son influence ultérieure, ici soigneusement republié, à savoir La Guerre civile en France dans son édition allemande de 1891, incorporant donc le texte écrit par Marx au lendemain de l’écrasement de la Commune ainsi que les deux « Adresses sur la guerre franco-allemande » rédigées en 1870, sans oublier une introduction d’Engels rappelant l’historique des événements et les limites de l’action des communards, leur préservation de la Banque de France en particulier. On ne peut, à la lecture des Adresses, qu’être toujours frappé par la prescience de certaines analyses prévisionnelles, en particulier l’hypothèse d’une alliance franco-russe et d’une nouvelle guerre avec l’Allemagne… Ces deux Adresses, en plus d’annoncer également la fin du Second Empire et de saluer la République comme un progrès, renvoient dos à dos les classes dirigeantes françaises et allemandes au profit de la paix par l’union des classes ouvrières, contre « la politique de conquête » et les intérêts dynastiques, en faisant toute leur part aux intérêts nationaux du prolétariat (p. 39). Quant à La Guerre civile en France, écrit dans un style incisif et cassant, on en retiendra surtout les avancées de ceux qui sont allés « à l’assaut du ciel », ce gouvernement de la classe ouvrière soutenu par la petite bourgeoisie : séparation entre les églises et l’État ; remplacement de l’armée par le peuple en armes, et de la bureaucratie administrative par des fonctionnaires élus, responsables et révocables en plus d’être non privilégiés ; idéal économique coopératif.

Le mélange complémentaire est particulièrement copieux. La partie correspondance comprend en effet plusieurs des lettres de Marx et d’Engels, ainsi que des articles et des résolutions de l’Association internationale des travailleurs (AIT) rédigées par leur soin, le tout s’échelonnant de 1866 à 1894. Surtout, Daniel Bensaïd introduit tous ces textes par des « Politiques de Marx » occupant pas moins d’une centaine de pages. Il y propose une réflexion sur la trilogie marxienne constituée par Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, Les Luttes de classes en France et La Guerre civile en France, en faisant justice une fois de plus de la fausse orthodoxie marxiste d’une politique strictement déterminée par l’infrastructure, au profit d’une politique vue comme règne du contretemps, de la « discordance des temps » (sic). Il insiste évidemment sur les leçons de la Commune, alternative à l’État bureaucratique moderne, véritable « féodalisme industriel » (p. 34), et la nécessaire destruction qui s’ensuit de cet État bourgeois. Mais on le sent plus laborieux pour justifier l’inadaptation actuelle de l’expression « dictature du prolétariat »… Quant à la postérité de la Commune, son évocation de l’expérience russe le voit endosser les critiques de Rosa Luxemburg à l’égard des bolcheviques.


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