Du 17 au 20 décembre 1981, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a tenu son Ve congrès. L’objectif de ce congrès était de définir l’orientation et les perspectives de la LCR dans la nouvelle situation ouverte par la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles du 10 mai dernier et celle du Parti socialiste (PS) et du Parti communiste (PCF) aux élections législatives du 21 juin.
Un accord unanime s’est dégagé du congrès quant aux perspectives qui découlent de cette victoire : il ne s’agit pas d’une stabilisation des institutions de la Ve République et du commencement d’une ère de stabilité social-démocrate.
La victoire électorale des partis qui se réclament de la classe ouvrière crée une situation sans précédent. La nouvelle majorité dispose de la présidence de la République et d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, sans avoir besoin d’une alliance avec les partis bourgeois. Elle n’a donc aucun prétexte ni aucun alibi pour se dérober devant les exigences de la classe ouvrière, qui attend que le changement électoral se traduise maintenant par un véritable changement social face à la crise.
L’horizon est donc celui d’affrontements majeurs entre les classes, dont les conséquences vont bien au-delà de la situation française.
Le gouvernement composé de ministres socialistes et communistes, et de quelques ministres de groupuscules bourgeois, est sans aucune ambiguïté un gouvernement bourgeois. Mais les travailleurs le regardent pour l’instant comme leur gouvernement, alors que la bourgeoisie, tout en multipliant les pressions sur lui pour négocier, ne lui accorde aucune confiance. Non qu’elle doute de la loyauté du PS et du PC envers l’ordre établi, mais parce qu’elle n’est pas sûre de leur capacité à encadrer le mouvement ouvrier aussi bien que pendant le Front populaire de 1936 où à la Libération en 1944.
Il est vrai que la victoire du 10 mai, et aujourd’hui le coup d’État militaro-bureaucratique en Pologne, vont accélérer les processus de recomposition déjà en cours dans le mouvement ouvrier français. À la différence de 1936, les partis réformiste et stalinien sont arrivés au gouvernement après trois années de division politique et syndicale. En trois ans, le premier syndicat, la Confédération générale du travail (CGT), a perdu la moitié de ses effectifs. Et la victoire électorale ne s’est même pas traduite par un mouvement d’adhésion massif vers les partis victorieux.
On assiste au contraire au développement de courants d’opposition dans les syndicats, et notamment à la CGT, aussi bien sur la question de l’unité et de la démocratie interne que sur des questions d’orientation face à la crise ou sur le problème de la Pologne. Parallèlement, les différenciations au sein du PCF s’approfondissent et atteignent l’appareil.
Dans ces conditions, pour les marxistes-révolutionnaires, la clé de la situation est la construction d’une organisation indépendante fortement enracinée dans les secteurs industriels de la classe ouvrière et active dans les courants d’opposition syndicale.
La tâche immédiate ne consiste pas dans une opposition frontale au gouvernement pour le renverser, mais dans une bataille systématique pour que les partis ouvriers majoritaires rompent tous les liens qui les enchaînent à la bourgeoisie et répondent aux exigences de la classe ouvrière. Cette bataille passe par la dénonciation de tous les liens avec l’impérialisme (soutien à l’implantation des missiles Cruise et Pershing-II en Europe), du respect des institutions et de la Constitution de la Ve République, des cadeaux faits à la hiérarchie militaire, de la présence des ministres bourgeois au sein du gouvernement.
Dans l’immédiat, cette bataille se concentre sur l’épreuve de force avec le patronat, pour lui faire payer le prix de la crise. La LCR est notamment engagée dans une campagne pour la semaine de travail des 35 heures tout de suite, sans diminution de salaires et avec les embauches correspondantes.
Parallèlement, la question de l’unité de combat de la classe ouvrière n’est pas résolue par la formation de la coalition gouvernementale. Il n’y a pas d’unité d’action entre le PS et le PC, et surtout la division syndicale demeure un obstacle majeur à la mobilisation. L’unité ouvrière, l’unité syndicale, le front unique demeurent donc l’axe de riposte à la politique de coalition et de collaboration avec la bourgeoisie combinée à la division maintenue des rangs ouvriers.
Les thèses politiques et organisationnelles présentées par la majorité sortante du comité central ont obtenu 77 % des voix des délégués au congrès. Celles présentées par la tendance minoritaire issue de la minorité du comité central ont obtenu 21 % des voix. La discussion a duré trois mois. Un bulletin de discussion a été publié tous les quinze jours. Chaque position a été présentée dans les conférences et les congrès de ville. Le nouveau comité central a été élu à la proportionnelle des votes obtenus sur les documents d’orientation.
Paris, le 1er janvier 1982
Inprecor n° 116 du 11 janvier 1982