L’année écoulée apparaîtra rétrospectivement comme un tournant qui ne se réduit pas à l’événement inaugural du 11-Septembre. Depuis l’attentat contre les tours jumelles de Manhattan, deux autres piliers du temple libéral se sont écroulés à grand fracas : l’économie argentine (hier encore montrée en exemple par le FMI !), et la firme géante Enron.
Au lieu de prendre la mesure de ces changements, le débat franco-français – actualité éditoriale aidant – s’intéresse davantage à la querelle en trompe-l’œil entre américanophobes et américanophiles. Je ne me sens personnellement pas plus antiaméricain que je n’aurais été antiboche. Me réclamant à la fois du cosmopolitisme des Lumières et de l’internationalisme du mouvement ouvrier, je ne conçois pas les appartenances nationales comme des blocs monolithiques.
D’un point de vue de classe, les lignes de front n’épousent pas le tracé des frontières. Elles traversent les nations ou les ethnies. Elles fendent les identités closes. Il y a l’Amérique esclavagiste, celle du Ku Klux Klan, d’Hiroshima, de la guerre du Vietnam, des coups tordus en Amérique latine, celle de Bush père et fils, de Dick Cheney et de l’intégrisme évangélisateur. Et le mouvement contre la guerre du Vietnam, du free-jazz et du Black Power, des manifestants de Seattle et de Washington. Les intellectuels qui, depuis le 11-Septembre, s’opposent à la nouvelle croisade impériale s’inscrivent dans cette tradition et leurs textes témoignent en faveur de cette Autre Amérique1.
Anti-impérialisme des imbéciles, l’antiaméricanisme relève des nationalismes frustrés, des nostalgies cocardières et des ambitions ressentimentales. Il se nourrit de l’américanomania tout aussi stupide qui nous proclame « tous américains ».