Je ne recevrai plus tes lettres
J’ai prises toutes celles qui me restaient
et j’en ai fait une boule serrée
comme un ballon
car ensemble nous aimions jouer
Ainsi ce matin le soleil roule
dans le caniveau comme un ballon
Mais nous en avons l’habitude
notre partie est infinie
et nous reconstituons chaque jour
notre équipe avec de nouveaux joueurs
que nous ne connaissons pas
Nous jouons sans spectateurs pour nous applaudir
Sans calendrier
Sans récompense
Sans cris et sans sifflet
Sans coupe ni trophée
Les cages de buts sont toujours là
Jamais on ne les enlève
même si nos stadium sont souvent remplis
de nos camarades fusillés
Mais nous jouons partout
dans les rues et les usines
Notre espérance est souvent un ballon crevé
et nous n’avons presque jamais gagné
une seule partie
et quand nous la gagnons
on nous dit que nous ne l’avons jamais gagnée
Mais camarade crois moi
si tu n’es plus là
tu fais toujours partie de l’équipe
car la particularité de cette équipe
est d’être composée
qui n’existent plus
de joueurs
qu’on voit et de joueurs
qu’on ne voit pas
Tu appartiens désormais
à cette dernière catégorie
qui est la plus forte
C’est toi qui fais passer maintenant
la balle dans nos pieds
jusqu’au dernier but
L’équipe adversaire est composée uniquement
d’arbitres qui changent les règles du jeu
chaque fois que nous marquons
et que dans notre camp
nous avons parfois des joueurs qui tombent
ou qui quittent le terrain
C’est pour cette raison
que ta présence à nos côtés
est toujours indispensable pour gagner la partie
car les arbitres ne te voient pas
et que c’est nous seulement qui te voyons
C’est notre force à nous :
voir les morts qui nous donnent la main
pour marquer le dernier but
même si la cage des buts
recule sans cesse chaque fois que nous avançons[/rouge]
Serge Pey
Poème pour Sophie Oudin-Bensaïd
écrit le jour de sa mort
le 21 novembre 2018