Depuis 1981, le Brésil subit la récession1. En 1982, il devra débourser 26 milliards de dollars pour le service de la dette : 10 milliards d’intérêts, 9 milliards d’amortissements de prêts et 7 milliards de déficit de la balance. En 1974, le revenu de l’exportation de café couvrait encore 84 % du service de la dette ; en 1982, il n’en couvrira plus que 12 %.
La récession a déjà entraîné une forte augmentation du chômage. Dans les grandes villes, près de 23 % de la population active se trouve au chômage ou dans une situation de sous-emploi (8,4 % dans le premier cas et 14,4 % dans le second). En 1981, 140 000 travailleurs de l’industrie automobile ont perdu leur emploi et à Sao Bemardo, phare de la lutte de classe dans la banlieue de Sao Paulo, le nombre de métallurgistes est passé de 130 000 au moment de la grande grève de 1980 à 105 000 au début de l’année 1982.
Il semble maintenant assuré que la récession se poursuivra en 1982, avec un taux de croissance de 2 % dans le meilleur des cas et une inflation mensuelle de 8 % en moyenne.
C’est dans ce contexte difficile qu’auront lieu à l’automne 1982 les élections municipales, sénatoriales et législatives. Tous les instituts de sondage s’ingénient à peser l’avenir de l’« ouverture ». Dans leurs études, la « fermeture » apparaît de loin comme l’hypothèse la plus probable : renforcement de la répression, mise en place d’un exécutif musclé appuyé sur les forces de sécurité, réduction des importations, blocage des salaires et croissance minimum pour maîtriser l’inflation.
La poursuite de l’« ouverture », avec le renforcement du pouvoir législatif et la préparation d’élections présidentielles directes pour 1984, n’est plus envisagée qu’avec scepticisme. Elle supposerait des concessions sociales substantielles, d’où l’accélération de l’inflation et une nouvelle détérioration de la situation économique pouvant déboucher sur un nouveau coup d’État dans le coup d’État.
La vie peut se révéler plus nuancée que tous ces scénarios, qui donnent cependant le ton. Les états d’âme de Tancredo Neves, leader du Parti populaire (PP), qui vient de fusionner avec le Parti du Mouvement démocratique brésilien (PMDB) pour contourner les obstacles de la législation électorale, vont dans le même sens : « Le processus d’ouverture a connu trois phases sous le gouvernement Figuereido. La première commence avec son serment de « faire de ce pays une démocratie », et va jusqu’à la mort de Petronio Portella. La seconde va de la mort de Petronio Portella à la démission de Goldbery. Et la troisième, qui est sa phase d’agonie, a commencé avec la démission de Goldbery et va jusqu’à la publication du pacote… L’« ouverture » est tombée dans le coma… Le pacotao a démontré une fois pour toutes que le gouvernement d’« ouverture » a mis fin à ses activités. Ou du moins qu’il s’est mis en congé2. »
Le fait est qu’en interdisant les coalitions entre partis et en imposant un vote bloqué, sur une même liste, pour les élections de sénateurs, de gouverneurs, de députés et de conseillers municipaux, le gouvernement a obligé le PP à fusionner avec le PMDB. Cette fusion, consommée en février 1982, ne fait que mettre en évidence le caractère bourgeois du nouveau parti unifié : les militants du Parti communiste brésilien (PCB) – qui participait au PMDB – s’y retrouvent désormais au côté des banquiers et des instigateurs directs du coup d’État de 1964.
L’effet en retour a évidemment été de renforcer l’image du Parti des travailleurs (PT) comme seul parti de classe réellement indépendant de la bourgeoisie. Ainsi, des regroupements de syndicalistes connus, comme celui de la municipalité de Monlevade, qui restaient dans la mouvance du PMDB, se sont-ils décidés à rallier le PT.
De son côté, le PT lui-même a répondu à la nouvelle situation en renforçant l’affirmation de son caractère de classe et en réfutant vigoureusement les pressions sur le thème du « vote utile » et celles pour « l’unité des oppositions » auxquelles il a été soumis.
« Donner a des milliers de gens la conscience qu’ils forment une classe »
Ainsi, le sociologue Francisco Weffort, membre de la direction nationale du PT, écrivait dès janvier 1982 dans une tribune pour le quotidien Folha de Sao Paulo : « II serait temps de reconnaître qu’il y a plus d’une manière d’être contre le gouvernement… Il serait temps de reconnaître qu’il y a deux droites dans le pays, une primitive avec le Parti démocrate-social (PDS) et une autre un peu plus moderne sous la conduite du PP et du PMDB. Et il faut reconnaître aussi qu’il y a au moins deux gauches, une avec le PMDB, qui reste attaché aux vieilles politiques de subordination de classe, et une autre qui, en construisant le PT, cherche la voie de l’indépendance politique des travailleurs3. »
De même, après sa désignation comme candidat gouverneur de l’État de Sao Paulo, Luis Inacio da Silva, Lula, le populaire dirigeant des métallurgistes de Sao Bernardo et président du PT, déclarait dans une interview à la revue Em Tempo : « Maintenant, ce que je pense – et je l’ai dit à beaucoup de camarades – c’est que le ton de notre campagne ici, à Sao Paulo, doit exprimer la profonde et criante différence de classe qui existe dans le pays : c’est le salarié contre le patron ! Notre campagne, ça doit être cela : les humbles contre les privilégiés, les paysans contre les latifundistes, les travailleurs contre les patrons. Bref, les exploités contre les exploiteurs. Nous devons donner au peuple, aux millions et millions de gens qui sont la majorité des Brésiliens, la conscience qu’ils forment une classe sociale distincte4. »
Cette affirmation générale s’est concrétisée par la décision du PT de présenter ses propres candidats, indépendants des partis bourgeois, à tous les niveaux et à toutes les charges électives. Cette décision, amplement soutenue par les congrès régionaux du parti qui se sont déroulés entre janvier et mars pour préparer la convention nationale du 28 mars, a finalement été ratifiée par cette réunion suprême du parti. Mais elle figurait déjà dans le manifeste « Pour l’unité des travailleurs ! », approuvé par la direction nationale du parti dès le 30 janvier : « Il y a une division de la société, et ce n’est pas nous qui l’avons inventée. La maison de maître du grand propriétaire terrien n’est pas la case du journalier agricole. Le festin de l’industriel n’est pas le casse-croûte de l’ouvrier. Le bénéfice du banquier n’est pas le salaire de l’employé de banque. Le quartier riche du grand commerçant n’est pas la banlieue périphérique où vit l’employé de banque. Si nous sommes séparés socialement et économiquement, comment pourrions-nous être unis politiquement ? Pour nous, au PT, il ne suffit pas que quelqu’un se proclame dans l’opposition. Le banquier, le propriétaire terrien, le latifundiste, le grand commerçant, indépendamment du parti auquel ils appartiennent, exploitent le travailleur. Pour nous, être dans l’opposition, c’est lutter pour changer de régime politique et en même temps lutter pour changer la situation sociale et économique qui opprime la majorité du peuple. Il ne suffit donc pas de remplacer une figure au gouvernement par une autre. Ce n’est pas seulement celui qui les exploite qui est contre les travailleurs, mais aussi celui qui les trompe. Du côté des travailleurs se trouvent ceux qui luttent pour la transformation de la structure politique et en même temps pour la transformation des structures sociales et économiques qui maintiennent la majorité dans une grande misère… Travailleur, vote pour un travailleur ! Gagner les élections, c’est voter PT5 ! »
Une tentation réformiste sous couvert d’anti-électoralisme
La convention nationale du PT a rassemblé, les 27 et 28 mars à Sao Paulo, environ 300 délégués venus de tout le Brésil et représentant plus de 300 000 affiliés. L’ordre du jour était des plus chargés, allant de l’élaboration de revendications particulières à l’organisation concrète de la campagne électorale, en passant par les problèmes de recrutement et de presse. La question de la tactique électorale (la présentation de candidats indépendants) était largement acquise avant même l’ouverture de la convention.
En revanche, les discussions sur la plate-forme nationale du PT pour la campagne électorale avaient été des plus animées dans les congrès régionaux. La plupart de ces congrès avaient en effet adopté un projet de plate-forme de leur cru, et la direction nationale avait pour tâche de parvenir à une synthèse.
Il ne s’agissait pas d’une simple formalité. Le congrès régional de Sao Paulo, réunissant le 23 janvier quelque 1 000 délégués représentant environ 100 000 adhérents, avait été le théâtre d’une vive polémique.
Le document soumis par la direction régionale et qui obtint une majorité dans le congrès était en effet bâti sur une argumentation boiteuse. Sous prétexte qu’on ne peut conquérir le pouvoir par les élections, les défenseurs du texte concluaient qu’il ne fallait pas poser la question du pouvoir à l’occasion des élections. C’étaient les termes mêmes de leur projet de plate-forme : « Travailleurs, en ce moment, le renversement de la dictature qui nous opprime et garantit notre exploitation n’est pas à l’ordre du jour. Nous devons donc la laisser de côté et ne pas nous préoccuper de la lutte pour son renversement. Nous devons emprunter pour le moment un autre chemin : renforcer notre organisation à la base, présenter nos revendications à l’État et exercer sur lui une pression à travers nos syndicats et associations, revendiquer un contrôle populaire sur tout. En même temps, tout en laissant la dictature où elle est, nous construirons un nouveau gouvernement pas à pas, de la base au sommet. Dans l’avenir, nous lutterons pour le socialisme. » Il s’agissait donc de couvrir, par une argumentation de gauche anti-électoraliste (on ne prend pas le pouvoir par les urnes…), une campagne strictement revendicative, économiste et apolitique, ne posant même pas la nécessité du renversement de la dictature.
De nombreux délégués soulignèrent que cette démarche était en contradiction avec les documents antérieurs du PT, et surtout que la plate-forme restait bien en deçà des résolutions adoptées en août 1981 par le congrès national de la classe travailleuse (Conclat), dans une conférence préfigurant la formation d’une Centrale unique des travailleurs (Cut). Le Conclat avait en effet approuvé non seulement des mots d’ordre politiques, tel que « renversement de la dictature ! » et « convocation d’une Assemblée constituante libre et souveraine ! », mais il avait aussi défini des moyens de lutte, en lançant notamment une campagne d’agitation sur le thème de la grève générale. La plate-forme présentée par la direction au cours du congrès régional de Sao Paulo obtint cependant 60 % des suffrages contre 40 % aux différentes motions d’opposition.
Ce vote majoritaire exprimait fondamentalement deux choses. D’abord, de la part de nombreux délégués syndicalistes indépendants, ce vote exprimait un soutien à la direction locale du parti face à une opposition fragmentée, apparaissant davantage comme une somme de groupes politiques constitués au sein du parti que comme une tendance organique au parti, née de ses structures et appuyée sur ses noyaux de base.
Ensuite, ce vote exprimait une méfiance envers les mots d’ordre politiques (en particulier la Constituante) perçus comme des préoccupations politiciennes et modérées… Cette réserve était d’autant plus vive que, parallèlement, le PMDB utilise aussi le mot d’ordre de constituante, sans lier sa convocation au renversement de la dictature : c’est la revendication de « Constituante avec Figuereido »… Ces mêmes délégués se sont montrés par ailleurs sensibles à la définition d’une plateforme reprenant une somme de revendications concrètes sur le logement, les transports, la santé, les conditions de travail, qui sont leurs préoccupations quotidiennes.
Pour critiquer de manière convaincante l’« économisme » de la proposition majoritaire à ce congrès régional, l’opposition aurait donc dû faire un effort particulier d’explication sur le sens des revendications démocratiques et transitoires, pour ne pas apparaître comme un mauvais symétrique de la position majoritaire : une opposition « politiste », surtout préoccupée des institutions et des grandes questions gouvernementales.
Fait positif cependant, la plupart des délégués qui avaient exprimé des critiques convergentes de la plate-forme majoritaire se retrouvaient à la fin du congrès pour signer en commun une lettre, lue à la tribune par Gilson Menezes, dirigeant syndical (suspendu) de Sao Bernardo et président du PT de la banlieue ouvrière de Diadème. Cette lettre reprenait les principales critiques adressées à la plate-forme et condamnait en outre les modalités dépolitisantes d’organisation du débat.
Double victoire
Le déroulement des autres congrès régionaux, jusqu’à la convention nationale elle-même, devait confirmer une fois de plus que Sao Paulo, au sein du PT, est l’exception et non la règle : ce n’est pas la première fois que la direction régionale de Sao Paulo se trouve à la droite de la majorité du parti.
Ainsi, le congrès du PT du Rio Grande do Sul réunissait-il, le 9 janvier à Porto Alegre, 176 délégués représentant environ 20 000 adhérents. Ce congrès approuvait sans problème la perspective d’un gouvernement des travailleurs et décidait à une large majorité, de 99 délégués contre 43, d’incorporer le mot d’ordre d’Assemblée constituante libre et souveraine à la plate-forme électorale. Après avoir désigné Olivio Dutra, vice-président national du PT, comme candidat au poste de gouverneur, et Raul Pont, animateur du journal Em Tempo, comme candidat sénateur, le congrès était levé après qu’il ait adopté par acclamations une motion de solidarité avec les travailleurs polonais de Solidarnosc dans leur lutte contre le coup de force militaire de la bureaucratie.
La plate-forme proposée par la direction régionale du PT du Minas Gerais introduisait sous la formule « fin de la dictature militaire ! » les mots d’ordre de « Constituante libre et souveraine ! », de « gouvernement des travailleurs ! » et de « grève générale nationale ! ».
Enfin, le congrès régional de Rio de Janeiro rassemblait, le 6 février, 519 délégués représentant 42 000 affiliés. À la différence de la plate-forme proposée par la direction de Sao Paulo, celle proposée par la direction de Rio de Janeiro mettait l’accent sur le renversement de la dictature : « Nous luttons pour que les travailleurs soient la force motrice du renversement de la dictature et pour que soit jeté à terre, non seulement le gouvernement militaire, mais aussi ses lois et sa justice, et aussi la base économique qui le soutient. » Le congrès décidait de ne pas se prononcer sur le mot d’ordre d’Assemblée constituante, faute de discussion suffisante, et d’organiser une telle discussion.
Nous publions ci-dessous pratiquement l’intégralité de la plate-forme nationale finalement adoptée par la convention nationale des 27 et 28 mars. On remarquera que cette plate-forme constitue une amélioration qualitative par rapport à la plate-forme de Sao Paulo. Toute la plate-forme est orientée, dès le premier point, par la nécessité du renversement de la dictature. C’est ce qui lui permet de lier les revendications démocratiques et économiques immédiates à des perspectives politiques d’ensemble. La plate-forme marque également un pas en avant dans la définition du PT en faveur du socialisme et dans l’affirmation de positions internationalistes.
Le refus d’intégrer un mot d’ordre tel que l’Assemblée constituante souveraine témoigne cependant d’une confusion persistante sur le rôle des mots d’ordre démocratiques. Il laisse au PMDB le monopole de ce slogan et prive le PT d’une réponse concrète à la question inévitable : renverser la dictature par la grève générale, oui, mais par quoi la remplacer ? Il est vrai que le cours même de la lutte de classe peut bouleverser les termes de la question. Mais, pour l’heure, il n’existe pas de conseils ouvriers, et la seule alternative démocratique d’ensemble qui puisse être avancée est bien celle d’une Assemblée souveraine élue au suffrage universel.
Il n’en demeure pas moins, cette faiblesse mise à part, que la décision de présenter aux élections de cette fin d’année des candidats indépendants de la bourgeoisie, et l’adoption d’une plate-forme de lutte de classe solide, constituent deux nouvelles victoires d’envergure sur la voie de la conquête de l’indépendance de classe au Brésil, deux nouvelles victoires à l’actif du PT, trois ans à peine après ses premiers pas.
27 avril 1982
Travail, terre et liberté
Plate-forme nationale du PT pour les élections de 1982
La campagne électorale du Parti des travailleurs (PT) est bien différente de toutes celles auxquelles nous, travailleurs, avons participé jusqu’à ce jour. Elle est différente parce que nous avons maintenant notre propre parti et que nous choisissons nos propres candidats. Parce que le PT combat l’achat des voix, le clientélisme et les promesses démagogiques.
La campagne électorale du PT est différente parce qu’elle est, avant tout, une grande campagne de mobilisation et d’organisation des travailleurs à partir des principales revendications du mouvement populaire. La campagne électorale du PT est une campagne de lutte, c’est-à-dire une campagne qui s’engage aux côtés de toutes les luttes des travailleurs.
Notre drapeau national est : Travail, Terre et Liberté !
En défendant les principales revendications des travailleurs des villes et des campagnes, nous luttons pour en finir avec la faim et le chômage, pour de meilleurs salaires et pour une terre pour semer et se loger, pour que nos droits soient respectés, pour sortir de l’oppression des requins.
1. En finir avec la dictature : sans liberté la vie ne va pas changer !
Aujourd’hui, les puissants disent que la dictature est déjà terminée et que tout a changé avec l’ouverture octroyée par le gouvernement. Pourtant, la violence, la corruption et l’arrogance sont toujours le lot quotidien des travailleurs […].
Les généraux contrôlent toujours la vie du pays comme si nous étions en guerre et comme si les travailleurs des villes et des campagnes étaient les ennemis du Brésil. Les puissants disent que tout a changé pour que tout continue comme avant.
À toute heure du jour ou de la nuit, des travailleurs sont emprisonnés et soumis aux pires vexations policières. Les dirigeants syndicaux sont accusés de subversion s’ils luttent pour de meilleures conditions de travail et de salaire. Les Noirs sont traités comme des marginaux […].
Cela ne peut plus durer. Le PT sait que les véritables auteurs des crimes contre le pays, les pires voleurs et criminels ne prennent pas les autobus bondés, n’habitent pas dans les favelas et les quartiers populaires, ne sortent pas de chez eux à quatre ou cinq heures du matin. Ce sont des citoyens au-dessus de tout soupçon, dont la plupart circulent dans des voitures officielles […].
L’oppression qui pèse sur la vie des travailleurs brésiliens est directement liée au régime militaire qui nous gouverne encore et défend les intérêts des banquiers, des spéculateurs, des capitalistes et des grands propriétaires terriens. Nous ne voulons pas seulement des libertés contrôlées au compte-gouttes. Nous voulons supprimer tout ce système d’oppression et garantir des libertés réelles pour le peuple. Pour cela, nous sommes conscients qu’il faut avancer dans la construction, à partir de la base, de structures représentatives qui renforcent et unifient les luttes populaires contre la dictature. Dans la lutte pour une société où le pouvoir soit exercé par les travailleurs, nous défendons dès à présent la liberté politique et syndicale complète pour le peuple. Il faut que la structure syndicale soit autonome de l’appareil d’État qui doit cesser de mettre son nez dans la vie syndicale et se contenter de reconnaître les structures représentatives comme la Centrale unique des travailleurs (Cut) et l’Union nationale des étudiants (UNE).
Il faut abroger immédiatement la loi sur la grève, la loi de sécurité nationale (LSN), le code du travail, la loi sur la presse, la loi sur les étrangers, le code des télécommunications et toutes les législations arbitraires. Il faut supprimer le Conseil de sécurité nationale, les organismes de renseignement et de police politique, le Conseil supérieur de la censure et tous les organismes mis en place pour réprimer le peuple tout en protégeant les requins.
Nous luttons pour la tenue d’élections libres et directes à tous les niveaux, avec droit de vote pour les soldats, les marins et les analphabètes qui sont des Brésiliens comme nous […].
Nous voulons en finir avec la dictature militaire. Si tu es d’accord, allons ensemble de l’avant !
2. Dans un pays aussi riche, il est possible d’en finir avec la faim
Chaque fois que tu sors de chez toi pour faire des courses, tu es abasourdi par la hausse des prix. Un de ces jours, ton salaire ne suffira même plus pour un misérable kilo de haricots. […] Et si tu es paysan, c’est tout aussi difficile. Tu te tues à planter et, quand tu vas vendre ce que tu as produit, il ne te reste pas de quoi couvrir tes dépenses. […] Mais c’est encore pire si tu es un des innombrables chômeurs de ce pays. Tu as alors dépensé beaucoup de ta sueur pour un patron qui, un beau jour, t’a renvoyé. Maintenant, sans salaire, tu n’as même plus de quoi faire vivre la maison.
Le PT propose :
– un salaire minimum réel unifié garantissant une vie décente à la classe travailleuse, réajusté tous les trois mois en fonction de l’inflation ;
– la stabilité de l’emploi et une allocation-chômage ;
– la création d’un panier de base d’aliments à prix fixes que l’État (et non les grands intermédiaires) serait chargé d’acheter à la campagne et de vendre à la ville ;
– la réduction de la semaine de travail à 40 heures sans réduction de salaires.
3. Travailleurs des campagnes : la terre et de meilleurs salaires
Une réforme agraire contrôlée par les travailleurs de la campagne eux-mêmes ne peut plus attendre. Il faut garantir la propriété de la terre à ceux qui la travaillent et non aux grands propriétaires et aux profiteurs qui spéculent sur les titres de propriétés qu’ils n’ont même jamais visitées […].
Nous devons lutter pour la distribution de la terre aux petits producteurs et pour l’intervention dans les grandes entreprises agricoles afin d’orienter la politique agricole en fonction des intérêts des travailleurs. Nous devons garantir aux paysans un crédit bon marché pour l’achat de matériel et d’engrais. Les intermédiaires doivent être combattus par la mise sur pieds d’un réseau national de silos, de magasins et d’entrepôts frigorifiques à la charge du gouvernement. Nous devons assurer à tous les salariés de la campagne des conditions de rémunération, de transports et de soins dignes.
En bref, il nous faut un gouvernement qui se situe fermement du côté de ceux qui travaillent la terre et non ce gouvernement compromis avec les multinationales.
4. Ce n’est pas faute de tuiles que les travailleurs n’ont pas de toit
Il faut d’urgence une réforme radicale de la politique et de la législation immobilières pour en finir avec la honteuse spéculation sur l’achat et la vente des terrains et des maisons dans nos villes. Nous devons promouvoir un vaste programme de construction d’habitations populaires. Il faut pour cela un impôt progressif frappant lourdement les terrains laissés en friche à des fins spéculatives.
Il faut choisir des lotissements urbains d’accès facile et les équiper d’infrastructures de santé et de loisirs. Il faut, pour rendre viable un tel programme, contrôler la production et la distribution des matériaux de construction pour les adapter à ces besoins. Il faut assurer la possession de la terre aux habitants des favelas et programmer la construction de lotissements populaires décents […].
5. Dans ce pays, il y a peu de santé et beaucoup de profits sur la maladie
La grande majorité de la population vit aujourd’hui dans des conditions sanitaires désastreuses. Cette situation ne pourra être dépassée par des mesures partielles. Il est vrai que l’assistance médicale est lamentable. Mais la santé n’est pas seulement le résultat d’une bonne assistance médicale. On éviterait des milliers de morts s’il existait un service de voirie dans les quartiers populaires. Si les eaux que le peuple boit n’étaient pas contaminées. Si la pollution était combattue. Si les travailleurs avaient voix au chapitre dans l’usine sur les accidents de travail. La maladie est aussi un produit de la mauvaise alimentation, des logements humides, du manque de loisirs.
Toute politique en la matière doit commencer par en finir avec le profit. Il n’est plus supportable que l’on gagne de l’argent sur le dos de la maladie. Les cliniques, hôpitaux, médicaments et équipements hospitaliers doivent être entre les mains de l’État, qui doit contrôler les industries chimiques et pharmaceutiques. Ces services doivent être contrôlés directement par la population et les travailleurs du secteur.
La seule façon de garantir la même assistance à tout citoyen c’est d’offrir une assistance médicale publique et gratuite. […] Cette assistance doit être prodiguée sur les lieux d’habitation et de travail.
6. L’éducation et la culture sont un droit et non un privilège de classe
[…] L’éducation non plus ne peut être matière à profits. L’enseignement doit être public et gratuit à tous les niveaux […].
7. Assez de discriminations : nous sommes tous égaux
Le Brésil que nous voulons, ce n’est pas seulement pour le peuple de quoi manger, se loger, se soigner, se vêtir et s’éduquer. La vie que nous souhaitons doit être avant tout fondée sur des rapports profondément humains, fraternels et égalitaires entre les personnes, sans aucune sorte de discrimination.
Les femmes sont traitées comme des êtres de seconde catégorie. Les pires emplois et les plus petits salaires sont pour elles, alors qu’elles sont soumises à la double journée de travail et supportent toutes les tâches ménagères. À tout moment, elles sont humiliées, non seulement comme travailleuses, mais aussi comme femmes.
Les Noirs n’ont pas les mêmes droits que les Blancs et ils sont considérés comme suspects et marginaux. Les Indiens sont traités comme des débiles mentaux et massacrés, physiquement et culturellement, sans même respecter leurs réserves. Le préjugé de couleur est réel.
Les homosexuels sont humiliés et victimes de discriminations, traités comme des malades ou de cas relevant de la police.
Nous exigeons l’égalité dans les lois qui régissent la famille, le travail et la société. Le droit au travail, à la formation professionnelle et l’extension des droits du travail à toutes les travailleuses, comme les employées domestiques. Le respect du droit à un salaire égal pour un travail égal.
Les femmes doivent avoir les moyens de choisir si elles veulent ou non avoir des enfants, ce qui implique la reconnaissance de la fonction sociale de la maternité, la distribution de moyens contraceptifs sûrs et une assistance médicale permanente.
8. Personne ne peut mettre la main sur l’argent du peuple
[…] Pour nous, la question de l’énergie ne sera pas résolue par le Plan alcool (carburant à base d’alcool de canne à sucre) et encore moins par la construction de centrales nucléaires. La priorité doit être donnée à l’utilisation immédiate des ressources hydrauliques. Il faut en plus encourager la recherche sur les énergies solaire et éolienne, et une meilleure utilisation du charbon national.
Pour mettre l’économie au service des travailleurs, il faut en finir avec cet empire d’agioteurs que devient le pays. Les banques, les agents de change, les assureurs, les parasites en tout genre, trafiquent sur les titres de la dette publique et font des bénéfices sur la simple circulation de l’argent. L’État doit prendre en charge le monopole de toutes les opérations financières et orienter les ressources de l’épargne populaire conformément aux intérêts de la majorité de la population et non en fonction du profit. C’est donc l’étatisation du système financier sous le contrôle des travailleurs qui s’impose.
Il faut aussi en finir avec le contrôle que les grands monopoles exercent sur l’économie brésilienne. Les intérêts de la majorité du peuple justifient un combat sans trêve contre l’action néfaste des grands monopoles sur notre économie.
Enfin, quiconque arrivera au gouvernement se retrouvera devant l’énormité de la dette extérieure accumulée. Le pays ne peut pas se saigner à payer une dette qui représente toujours plus de bénéfices pour les banquiers internationaux. Nous proposons une enquête approfondie pour savoir à quoi sont utilisées les ressources provenant de la dette. Il faut suspendre son paiement et étudier, cas par cas, les conditions de rééchelonnement, de renégociation, de blocage, jusques et y compris le non-paiement. Pour un meilleur contrôle de cette situation, la nationalisation du commerce extérieur s’impose également.
9. Avec les contrats de risque, les requins risquent peu et gagnent gros
Nous proposons la fin des contrats de risque, un combat contre la dénationalisation du sous-sol, de l’industrie énergétique et minière. […] Nous luttons pour que les municipalités et les gouvernements d’État aient l’autonomie pour décider de la fermeture des industries polluantes, attribution aujourd’hui réservée au président de la République. […] Nous proposons l’interdiction de la vente de larges portions du territoire au capital étranger et l’annulation immédiate de l’accord entre l’Allemagne fédérale et Nuclear Brasil […].
10. Le pouvoir aux travailleurs et au peuple
Mettre l’économie et l’administration publique au service du peuple est l’un des principaux buts du PT. Mais il ne sera pas atteint par la simple étatisation des activités productives. Cela, pris séparément, ne ferait que renforcer le pouvoir des technocrates et des bureaucrates. Nous n’avons confiance que dans la mobilisation des travailleurs. Cette mobilisation doit créer les conditions pour que tous les problèmes d’intérêt public soient soumis au contrôle populaire.
Les écoles devront être contrôlées par les parents, les maîtres, les élèves et les fonctionnaires. Les dispensaires devront être contrôlés par la population, et les instances supérieures du système de santé devront être contrôlées par les syndicats et les associations.
Les travailleurs doivent s’assurer le droit de regard sur la comptabilité des entreprises et intervenir sur les décisions concernant l’emploi, les prix et les salaires. Les syndicats doivent pouvoir parler fort dans tout ce qui concerne la planification de l’économie nationale. Les commissariats de police doivent être surveillés et contrôlés par les associations et les conseils d’habitants.
Nous luttons pour que les travailleurs renversent la dictature militaire et mettent par terre non seulement ses lois et sa fausse justice, mais aussi la base économique sur laquelle elle repose. Il n’y aura pas de changements décisifs pour le peuple brésilien tant que les monopoles financiers (qui réalisent en pleine crise des bénéfices de 700 % par an !) continueront à commander l’économie du pays, tant que les monopoles commerciaux continueront à contrôler la circulation des marchandises, et les monopoles industriels la production nationale.
Nous réaffirmons notre engagement à construire un pouvoir nouveau, fondé sur la classe ouvrière et la mobilisation de tous ceux qui vivent de leur propre travail, pour construire une société sans exploiteurs ni exploités. C’est de cette société que rêvent les travailleurs et c’est elle que notre lutte prépare aujourd’hui.
11. La lutte des travailleurs est la même dans le monde entier
Au niveau international, nous sommes solidaires de tous les peuples qui luttent pour leur libération. Actuellement, cette lutte prend une importance particulière en Amérique centrale et en Afrique noire, de même que la lutte du peuple palestinien pour la reconquête de sa terre.
Le PT soutient la lutte des travailleurs du monde entier. Il faut accorder une attention particulière en ce moment à la lutte des travailleurs de Pologne pour l’approfondissement du socialisme et pour la démocratisation des mécanismes de décision dans ce pays.
Nous sommes conscients que la libération de notre peuple dépend aussi de la lutte internationale des travailleurs. Nous défendons une politique extérieure indépendante avec l’établissement de relations avec tous les pays socialistes. Nous sommes contre le fait que le Brésil maintienne des relations diplomatiques avec un État raciste comme l’Afrique du Sud et comme la dictature du Salvador, et se refuse à entretenir des relations avec Cuba, l’Albanie, le Vietnam ou la Corée du Nord.
Les travailleurs et les peuples opprimés du monde entier luttent contre l’oppression et l’exploitation. Pourtant, la libération ne sera effective que concrétisée par la construction du socialisme.
12. Seul le socialisme résoudra pour de bon nos problèmes
Depuis sa fondation, le PT s’est engagé à construire une société sans exploités ni exploiteurs. Cela veut dire un engagement à construire un Brésil socialiste. C’est ainsi parce que, né de la lutte des travailleurs, le PT a compris dès le commencement que les moyens de production devaient devenir propriété sociale, et non pas servir les intérêts individuels de tel ou tel propriétaire. Nous voulons une société dans laquelle les hommes aient une valeur et où il soit impossible à quiconque d’exploiter le travail d’un autre. Nous voulons une société où tous et chacun aient les mêmes chances de réaliser leurs potentialités et leurs aspirations.
Les mesures présentées ci-dessus ne sont toutefois pas suffisantes pour que notre peuple se développe dans cette direction et évolue ainsi vers un stade de civilisation supérieur. Mais elles constituent sans aucun doute un premier pas important vers le socialisme que nous voulons.
Les relations d’amitié que le Brésil doit entretenir avec tous les peuples qui luttent pour la démocratie et pour le socialisme ne signifient cependant pas que nous puissions importer de l’un de ces pays une formule de socialisme toute faite. Notre socialisme sera défini par tout le peuple. Il ne naîtra pas de décrets, ni de nous ni de personne : il se définira dans les luttes de chaque jour et sera synonyme d’émancipation des travailleurs et de tous les opprimés.
C’est nous qui décidons !
Le PT est venu pour changer le Brésil. Commençons dès maintenant. Là où le PT peut emporter des municipalités ou des gouvernements d’État, ces postes seront mis au service de la mobilisation et de l’organisation des classes travailleuses. Face aux fonctions exécutives, le PT cherchera dès maintenant à créer les conditions d’une participation populaire organisée et autonome, avec pouvoir de décision sur son action politique et administrative. À cette fin, il aura recours à des référendums, à des assemblées populaires, à des conseils de quartier et de travailleurs, et à toute autre forme que pourra inventer le mouvement populaire.
Aie confiance en toi, vote pour le PT !
Convention nationale du Parti des travailleurs (PT)
Sao Paulo, 28 mars 1982.
Inprecor n° 126 du 17 mai 1982
Documents joints
- Lire A. Jos, « Brésil, l’heure des huissiers », Inprecor spécial économique, n° 94-95, du 16 février 1981 ; et A. Jos, « Brésil, le grand malade des Amériques », Inprecor spécial économique, n° 124, du 23 avril 1982.
- Istoe, 16 décembre 1981.
- <em>Folha de Sao Paulo</em>, 24 janvier 1982.
- Em Tempo, 3 mars 1982.
- Em Tempo, 11 février 1982.