Le deuxième volume des mémoires de Jean-Marc Rouillan est très justement sous-titré : Le Deuil de l’innocence : un jour de septembre à Barcelone1. Il est construit comme une remémoration organisée, à la manière d’une tragédie classique ou d’un rituel de corrida (le thème de la corrida revient de façon lancinante en contrepoint du récit), autour d’une unité de temps et de lieu : le jour fatidique de septembre 1973 où Salvador Puig Antich, « El Metge », est tombé à Barcelone. Ce jour fait écho à un autre jour tragique de la semaine précédente, le 11 septembre 1973 à Santiago du Chili.
Introduit par la complainte d’un prisonnier à la mémoire de Puig Antich, chaque chapitre évoque une séquence de la journée (l’aube, le matin, midi, l’heure du repas, l’après-midi, le rendez-vous, la nuit) qui s’écoule vers un dénouement annoncé : « En septembre 1973, seule la terminologie tauromachique décrit exactement la situation du combat. Nous sommes rendus au troisième tercio de lidia, celui de la faena, rythmé par la muleta agile et palpitante. Chaque jour, chaque seconde est peut-être notre jour, notre seconde. Déjà, nous nous habillons de lumière » (p. 19). Jusqu’au temps du duende, et jusqu’à l’heure du descabello (p. 135).
Ce qui nous parle encore, près de quarante ans plus tard, c’est l’innocence intacte de ces jeunes gens rebelles, réunis pour une conjuration minuscule contre l’ordre établi. Ils ont entre vingt et vingt-trois ans, et un culot monstre. Au début des années 1970, contrairement aux personnages du film inspiré de Jorge Semprun (futur ministre de Felipe Gonzales) La Guerre est finie, pour eux comme pour nous, la guerre civile espagnole n’était pas finie. Elle continuait. La dictature franquiste était toujours là. Les exécutions (de Julian Grimau en 1962) et les procès (Burgos en 1970) continuaient. Cela faisait moins de dix ans que les derniers guérilleros étaient tombés les armes à la main, Quico Sabaté en 1960, Caraquemada en 1963.
Documents joints
- Jean-Marc Rouillan, De mémoire (2). Le deuil de l’innocence : un jour de septembre 1973 à Barcelone, Agone, 2009.
- Les cinq derniers militants assassinés par la dictature franquiste, en 1975, ont été fusillés.