Candidatures unitaires

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Les deux textes reproduits ci-dessous reflètent les débats qui se poursuivent entre militants de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) sur la question des candidatures unitaires, à la veille de la campagne présidentielle française de 2007.

Antoine Artous, Jean Pierre Debourdeau, Michel Husson, Stathis Kouvelakis,
Michael Löwy, Jean-Marc Rosenfeld, Catherine Samary, Josette Trat

Présidentielle : la Ligue doit rejoindre le processus unitaire

Nous ne voulons pas ajouter une nouvelle contribution à un débat déjà fort nourri, mais lancer une alarme et tenter de conjurer l’irréparable. La campagne du « non » de gauche a été rendue possible par ce qu’il convient de caractériser comme l’émergence d’un mouvement politique : un rassemblement inédit de forces multiples, surmontant certains contentieux historiques pour converger dans une bataille contre le libéralisme, qui s’est combiné à une mobilisation des classes populaires et de la jeunesse. À son tour, la victoire sur laquelle a débouché cette campagne le
29 mai a rendu possible une perspective ambitieuse, qu’est venue conforter la victoire de la jeunesse contre le CPE : un changement de la donne politique à gauche. Et ce, par la formation durable d’un rassemblement antilibéral. Ouvrant la voie à une recomposition des rapports de forces face au libéralisme et au social-libéralisme, et par la capacité à proposer pour 2007 une alternative au face à face mortifère entre Sarkozy et Royal. Une possibilité qui pour se concrétiser suppose une puissante mobilisation sociale et démocratique en rupture avec le social libéralisme porté par le PS. Elle ouvrirait à son tour la possibilité de fonder enfin un nouveau type d’organisation anticapitaliste pluraliste et à caractère de masse. Nous en sommes encore loin – et c’est sans doute, en substance, ce qui fait douter une partie de la LCR sur la portée et la solidité réelle du regroupement en cours.

La direction de la LCR a donc considéré qu’il n’était pas possible de donner une traduction politique unitaire aux mobilisations sociales ayant marqué ces derniers mois, et estimé que dans une situation ainsi bloquée la seule orientation envisageable pour la LCR est d’engager la candidature d’Olivier Besancenot pour la présidentielle de 2007 en la centrant sur une exigence et un message de rupture avec les politiques passées. Dans ces conditions elle a centré son intervention sur l’interpellation de la direction du PCF quant à la participation à un éventuel gouvernement dominé par le Parti socialiste. Cette clarification politique légitimement exigée apparaît aujourd’hui à la majorité des militants des collectifs comme ayant été satisfaite, et le PCF comme s’étant engagé. On peut douter de la réalité et de la stabilité des choix du PCF et de l’issue des déchirements internes que produirait le rejet d’une candidature Buffet par les collectifs unitaires. Mais nul ne peut nier les avancées et clarifications, tant des textes rédigés que des positions dominantes dans les collectifs, ébranlant le PCF. Du coup, la fixation sur ce point, maintenu comme un préalable à l’implication de la LCR, renverse la charge de la preuve : c’est la LCR qui apparaît pratiquer le double langage et le procès d’intention – ou, en tous les cas, elle apparaît comme souhaitant que le PCF soit simplement le premier à rompre l’unité en construction.

Notre souci n’est pas de déterminer les erreurs d’analyse qui peuvent expliquer cet état de fait. Il est de souligner que la LCR se trouve dans une situation périlleuse, pour elle et pour tous ceux dont nous nous réclamons. Non seulement la direction de la LCR s’est mise en extériorité par rapport au processus engagé, mais elle apparaît de plus en plus lui être hostile. Nul ne sait si ce processus débouchera positivement, comme il faut l’espérer. Mais tout le monde peut mesurer les effets catastrophiques résultant du fait que nombre de militants investis dans ce mouvement pourraient considérer que la LCR porte une part de responsabilité dans son échec. La LCR en serait gravement divisée et discréditée.

Il n’est pas possible de laisser s’installer le soupçon que la LCR pourrait laisser ses propres intérêts organisationnels devenir déterminants dans ses choix politiques alors même que « l’intérêt organisationnel » de la LCR et la popularité de Besancenot sont organiquement associés à notre capacité à favoriser l’unité pour consolider le rapport de force entre les classes.

Il faut redresser la barre, se réinsérer pleinement dans le processus unitaire, avec la volonté d’appliquer réellement les mandats fixés de lever les obstacles à des candidatures unitaires. L’attente est telle par rapport à la LCR au sein des collectifs qu’il apparaît tout à fait possible pour sa direction d’opérer ce tournant, sans difficultés majeures ni hostilité de la part de ces militants qui l’attendent impatiemment, et à juste titre l’espèrent comme une condition de réussite pour le mouvement dans son ensemble.

9 novembre 2006
 

Daniel Bensaïd et Samy Johsua

Ce que serait le vrai tournant de la campagne

« Ils ont endurci leurs oreilles, et ils ont fermé leurs yeux. »
Évangile selon saint Mathieu

Dix camarades viennent de publier un document affirmant avec force « La LCR doit rejoindre le processus unitaire ». Ils paraissent persuadés que « la direction de la LCR a donc considéré qu’il n’était pas possible de donner une traduction politique unitaire aux mobilisations sociales ». Nous ne discutons au contraire que de ça : quelles sont les conditions qui pourraient rendre cette traduction politique possible ?

Les conditions sont-elles réunies à ce jour ? Voilà la seule question en discussion. Oui, disent les camarades. Comment se fait-il qu’ils en soient si convaincus ? C’est en réalité l’interrogation la plus intrigante à nos yeux.

Il y a sans doute deux réponses à cette énigme. On n’ose penser que des militant-e-s si chevronné-e-s se laissent emporter par les arguments avancés en boucle par tant de naïfs et de faux naïfs. Pourtant, c’est bien dans leur texte que l’on peut lire : « Mais nul ne peut nier les avancées et clarifications ». On reste stupéfait de cette tendance persistante, propre à notre mouvement, à considérer qu’au début était le Verbe, et que le texte et sa glose sont plus forts que la réalité.

Que les camarades sortent des réunions où ces textes sont discutés à la virgule ! Qu’ils aillent, oh pas bien loin, par exemple dans les pages de L’Humanité ou dans les meetings de M.-G. Buffet. Ou même qu’ils aillent lire d’autres textes, comme ceux votés par la direction du PCF. Ils y verront deux éléments incontestables : que l’évolution est loin des « avancées » qu’ils croient voir ; et que le PCF considère, comme nous, que la divergence stratégique qui sépare nos deux organisations est avérée, et porte exactement sur les rapports au PS, point que balaient d’un revers de main les camarades comme effet d’une « fixation » de notre part. Or le PC affirme que ceci est réglé en sa faveur par le texte de Saint-Denis. L’ambiguïté est donc réelle, pour le moins, ce qui justifiait notre refus de le soutenir. Mais – que le PC ait raison ou tort dans son interprétation du texte – cela montre que cette question décisive nous sépare toujours. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, il suffirait de céder à notre « fixation » en adoptant les formules sur lesquelles nous n’avons pas varié depuis des mois. Que cela s’avère impossible malgré les innombrables déclarations affirmant, comme les camarades, que l’affaire est réglée sur le fond, devrait les interroger. Ajoutons les invraisemblables salades contenues dans le texte du 10 septembre, et reprises jusqu’à plus soif par la direction du PC, sur « la gagne », et la possibilité que nous arrivions en tête de la gauche, argument martelé pour justifier que la clarification que nous demandons ne serait ni juste, ni fausse, simplement inutile.

Nous respectons trop les camarades pour supposer une seule seconde qu’ils font partie de ceux qui ne voient pas ce qui relève pourtant de l’évidence : la divergence est patente avec le PCF. L’élection de Bordeaux est un signe qui n’a pas pu leur échapper : elle montre à quel point le PCF a choisi la soumission électorale au PS. Peut-on faire comme s’il était une force parmi d’autres, secondaire ou subalterne ? À ceux qui l’ont imaginé un moment, la direction du PC est en train d’administrer la preuve que les pratiques bureaucratiques ne sont pas mortes. Sans soulever apparemment la moindre émotion des camarades, alors que Raoul Marc Jennar a fait de la multiplication de collectifs manipulés une raison pour quitter le processus, décision appuyée aussi sur la soumission aux desiderata du PCF sur la politique étrangère et sur la manière d’envisager le second tour. Sur tout ceci le constat devrait nous être commun. Si les camarades font comme s’ils ne le partageaient pas, c’est qu’ils « ont endurci leurs oreilles, et fermé leurs yeux ». À cette étape, mieux vaut jouer cartes sur table. Il est tout à fait clair que si les positions du PC et les nôtres restent en l’état sur les relations au PS, le processus aura le plus grand mal à aboutir. Il n’y a rien d’infamant à considérer dans ces conditions que l’unité possible vaut bien un abandon de notre bataille (notre « fixation ») et que « la dynamique » poussera le bouchon ultérieurement de notre côté. C’est une discussion sérieuse qui vaut la peine d’être menée franchement, mais pas sous le camouflage d’« avancées » fictives. Nous sommes triplement en désaccord avec une telle orientation.

– Un, ce serait tuer la logique de la bataille menée en commun lors du référendum qui a vu s’opposer concrètement gauche du oui et gauche du non, et que nombre des protagonistes, dans le PS comme dans le PC, ont déjà commencé à relativiser, voire à escamoter. Or, la question européenne reviendra sur le tapis dès 2008 et probablement avant.

– Deux, l’environnement international proche conduit à la plus grande prudence sur l’effet de ces compromis : nous avons tous en tête les déclarations enflammées de Bertinotti aux FSE de Florence et Saint-Denis et les choix qui l’ont conduit ensuite à être président de l’Assemblée de Prodi.

– Trois, et c’est le principal, nous ne pensons pas que « la dynamique » permette de remonter la pente en peu de temps si l’on cédait aux injonctions du PC.

Le plus rageant dans tout ceci est que les camarades affaiblissent la bataille même qu’ils souhaitent mener en faisant comme si tout était réglé et en concentrant le tir contre la direction de la LCR. D’ici le 23 novembre au maximum, le PS aura fait son choix. Tout le monde sera alors au pied du mur dans la gauche antilibérale parce que, comme dit l’autre, on sera sortis du virtuel. Si, comme on le lit dans la presse, il est souhaité « que Besancenot revienne », il faut dire clairement, à la veille de la désignation du candidat socialiste – quel qu’il soit puisque tous ont confirmé leur accord avec le projet socialiste – qu’on ne peut pas gouverner avec le PS ou soutenir une majorité parlementaire du même type. Ce serait là le vrai tournant de la campagne depuis
six mois.

11 novembre 2006
www.danielbensaid.org

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