« Ce jour-là, les Français ont franchi la frontière qui sépare la nuit de la lumière. ». À relire, vingt ans après, les discours de Jack Lang en 1981, on croirait que l’élection présidentielle du 10 mai a cassé en deux l’histoire de France, si ce n’est l’histoire du monde : l’accession de François Mitterrand à la présidence de la République aurait « aboli l’ordre naturel des choses », ni plus ni moins. Victoire définitive, donc de la culture sur la nature et de l’esprit sur la chair ?
L’élévation du slogan situationniste de mai 1968 – « l’imagination au pouvoir » – au rang de programme de gouvernement s’inscrivait dans ce contexte euphorique. Vingt ans (dont quinze de gouvernance socialiste) après, l’effusion lyrique s’est dissoute dans la gestion prosaïque. Le pouvoir de l’imagination est devenu imaginaire. Acquis au recyclage écologique des idées usagées, les conseillers en communication d’une grande banque, l’ont même enrôlée au service des nouveaux produits financiers : « L’imagination dans le bon sens » !
Ce glissement progressif et sans plaisir de l’ambition héroïque à la vertu prudente de l’épargne boursière résume bien deux décennies de reniements et de renoncements. Sans doute, l’alliance revendiquée entre le pouvoir et l’imagination, portait-elle d’emblée en germe cette conversion acrobatique. L’imagination prétendait prendre le pouvoir, le pouvoir l’a prise. Cruelle leçon dialectique, toujours recommencée. Il fallut, décidément, toute la virtuosité verbale de Jack Lang pour oser proposer un « ministère de l’imagination » ou un « ministère de l’intelligence ».