Je me méfie des romans « contemporains ». Par préjugé classique sans doute (bien qu’il ne manque pas de raisons tout à fait honorables à une telle prévention). Mieux vaut relire Stendhal, Flaubert, Proust, Lowry… en attendant qu’ils aient subi l’épreuve du temps. Au rayon nouveautés, les bonnes surprises sont rares. Le Voleur de nostalgie en est une. Excellente. Il est d’autant plus étonnant qu’elle ait échappé à la vigilance des chroniqueurs de Rouge.
Quel rapport entre la cuisson des spaghettis, la restauration des Noces de Cana, et la quête amoureuse ? Le même qu’entre la tendresse sensuelle éprouvée par l’enfance dans les rituels de la cuisine, et les jeux sophistiqués de la séduction impossible. Le même qu’entre les voluptés promises du sexe et la stratégie incertaine des sentiments. Entre les deux, le livre d’Hervé Le Tellier est une petite merveille d’équilibre. Au fur et à mesure que l’on progresse, mené par le bout du nez, dans son ingénieux jeu de piste épistolaire, on explore un paysage intérieur d’une sincérité douce-amère. On se sent le cœur gonflé d’un gros chagrin inconsolable. Comme si nous étions tous un peu victimes des détrousseurs de rêves. Et, tandis que les Noces de Cana retrouvent leurs couleurs, le piège se referme. La mélancolie peint le présent gris sur gris. C’est superbe et superbement écrit.
Rouge s’est épargné le petit jeu dérisoire du livre de fin d’année. Tant mieux et foin des hit-parades, des classements littéraires compèt-compèt. Il suffit de dire et de faire savoir que Le Voleur de nostalgie est l’un des grands plaisirs de lecture romanesque de l’année écoulée. Il n’est jamais trop tard pour bien lire.
Rouge