À propos du livre de Jean François Kahn Tout était faux1.
Tout était faux ! Tout était faux ? Jean-François Kahn est au premier abord fidèle au rôle d’imprécateur iconoclaste qu’il s’attribue volontiers. On trouve pêle-mêle, dans son dernier livre, de pertinentes impertinences, des formules qui font mouche, mais aussi de vigoureux enfoncements de portes ouvertes.
Là où la plupart des observateurs du train du monde sont borgnes et ne veulent voir que la débâcle du « communisme réel » ou le triomphe définitif de la puissance marchande, il souligne, tout au long du siècle, l’interaction, le conditionnement réciproque, le jeu de bascule entre les deux. Il en conclut que le projet néolibéral, désormais livré à lui-même, privé de l’alibi de son autre, est bien capable de ressusciter par ses outrances une tentation néostalinienne. Il y a encore quelques années, lorsque la Russie libérée apparaissait à Jean-Marc Sylvestre comme la terre de la grande promesse des profits et des dividendes, la thèse serait apparue originale. Elle l’est beaucoup moins en pleine débâcle eltsinienne.
Mais l’ambition de cet « adieu au siècle du mensonge » en forme de bilan va bien au-delà. Il prétend tirer la morale de l’histoire, dire le dernier mot et baisser le rideau. On est alors surpris de voir le pourfendeur de la pensée unique se livrer à la construction rétrospective d’une histoire unique : le régime stalinien était le seul socialisme possible et « sa soi-disant dérive n’était que l’expression de sa nature ». Toute l’histoire tumultueuse du siècle devient ainsi, sinon le périple de l’idée hégélienne, du moins le déploiement d’une nature programmée. Ainsi, « le seul qui avait vu juste » – que le communisme n’était pas viable sans la terreur – « c’était Staline », incarnation de cette implacable nature à l’instar du Napoléon équestre incarnant l’esprit du monde sous les fenêtres du philosophe de Iéna !