L’internationalisme en refondation permanente

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Par Jean Birnbaum

Le nouvel internationalisme. Contre les guerres impériales et la privatisation du monde, de Daniel Bensaïd, Textuel, « La discorde », 192 pages

Un monde à changer, mouvements et stratégies, de Daniel Bensaïd. Textuel, « La discorde », 192 pages

Dans les urnes et dans la rue, rajeunie et métamorphosée, la gauche radicale est bel et bien de retour, et elle se déploie désormais spontanément à l’échelle planétaire, sans QG mondial ni discipline centralisée, de Seattle à Bangkok en passant par Gênes ou le Larzac.

À ce jour, néanmoins, on peut affirmer que ses perspectives demeurent assez floues. Elle peut toujours faire entendre le refus du monde actuel et de sa globalisation marchande, il lui faut aussi proposer un véritable horizon d’espérance, sans se contenter d’un simple ravalement de façade – le glissement des étiquettes, par exemple, de l’« anti » à l’« alter » mondialisation…

Or, de ce point de vue, tout reste à faire, ou presque : « Les débats en assemblée générale, la circulation de l’information, les forums de discussion permanents sont autant d’expériences qui peuvent contribuer à consolider les actions, à les structurer […] et à favoriser l’émergence de pratiques politiques nouvelles », notent ainsi les sociologues Michel Vakaloulis et Jean-Marie Vincent, et l’ancien directeur de L’Humanité Pierre Zarka, dans un livre « écrit à six mains » et intitulé Vers un nouvel anticapitalisme (éditions du Félin). Mais cette « contribution au nécessaire débat sur la refondation d’une politique d’émancipation » demeure souvent prisonnière d’une grille de lecture étroitement nationale, impropre à rendre compte des profondes mutations en cours.

Plus stimulant est l’apport de Daniel Bensaïd, qui a bâti – avec les éditions Textuel – un double dispositif dévolu à ce même chantier intellectuel : la revue Contretemps, d’une part, et la collection « La Discorde », d’autre part, dont l’objectif commun est d’accueillir les réflexions inédites nées dans le creuset de l’altermondialisation, en croisant traditions militantes d’hier et d’aujourd’hui.

Avec Le Nouvel Internationalisme, le philosophe inscrit les révoltes contemporaines dans le long terme des mobilisations sans frontières : cosmopolitisme des Lumières, internationalisme ouvrier ou engagement tiers-mondiste. Ainsi peut-il décrire cette « grande nébuleuse » en ses différents pôles (syndicats, ONG…) comme à travers ses divers thèmes unificateurs (contrôle des capitaux, dette du tiers-monde, défense des services publics, féminisme, écologie radicale, pacifisme…) ou dans ses multiples tensions internes (rapports aux partis, « tentations nationalistes »…).

Étrange mystique

Soucieux de tirer le bilan des expériences passées, Daniel Bensaïd rappelle « le traumatisme des pratiques staliniennes ». Dans Un monde à changer, il affirme la nécessité de « renouer les fils d’un débat stratégique enseveli sous le poids des défaites accumulées », pour transformer la contestation en force de proposition : « Si nous refusons que le monde soit une marchandise, il nous faudra bien en venir à la négation de la négation, et dire ce que nous souhaitons qu’il soit. » En ce sens, le philosophe propose d’examiner à nouveaux frais des enjeux aussi cruciaux que la propriété sociale, les affiliations culturelles ou la guerre impériale, et polémique avec d’autres penseurs de la mouvance altermondialiste.

Contre ceux qui « troquent une politique révolutionnaire introuvable contre une étrange mystique sans transcendance » (il vise ici le « populisme régressif » de Toni Negri et Michaël Hardt, et le « zapatisme imaginaire » d’un John Holloway), Daniel Bensaïd pose l’urgence d’une vraie discussion sur « la grande question du but et des voies du changement ». Celle du parti, donc, de la prise du pouvoir aussi, et d’une démocratie propre à « briser le cercle de fer du fétichisme et de la domination ».

Le Monde, 5 septembre 2003


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