Le Capital, on le sait depuis Marx, est un fétiche automate. Il est aussi ventriloque. Dans les crises, la scission qui le hante, sa double vie, son dédoublement généralisé (entre valeur d’échange et d’usage, travail concret et travail abstrait, production et circulation), « devient folie ». Alors, « l’argent crie son désir d’un domaine où il puisse être valorisé en tant que capital1 ». Le vice-consul de Duras (superbe Michel Lonsdale) hurlant son amour pour Anne-Marie Stretter dans les jardins du consulat représente depuis longtemps pour moi cette image convulsive du désir et du manque.
Mais le capital ne se contente pas de crier, dans les moments paroxystiques de la crise où il cherche à rétablir son identité brisée. Il parle aussi, au quotidien, un langage tellement familier qu’on en oublie l’auteur.
Les vertus cardinales de l’air du temps sont la vitesse (le mouvement, le bouger, l’éphémère, l’urgent, l’instantané, le quick, le fast) et la mobilité dans l’espace (le portable, le nomade, le mobile, le global, le réseau). Ce double impératif d’accélération et de mobilité est, dans une large mesure, la conséquence vécue de la logique intime du capital : de la reproduction élargie et de la rotation accélérée censées conjurer l’arythmie qui le mine.
La mondialisation marchande élargit son domaine spatial, dévore les territoires, fait marchandise de tout, réalise à sa manière une universalité abstraite, inégalitaire, mutilée. Son discours est, dans une large mesure, un détournement/récupération de l’aspiration internationaliste à une émancipation universelle, sous la forme d’une ingérence humanitaire et militaire « sans frontières2 ».
Documents joints
- 1 Marx K., Manuscrits de 1857-1858, Éditions sociales, tome I, p. 209 et 356.
- Voir, pour illustration, le récent film avec Christian Van Damme, Universal Soldiers.
- Les fameux fonds de pension exigent pour leurs placements un « Return on Equity » (ROE) d’au moins 15 %.
- Voir Petrella R., « La dépossession de l’État », Le Monde diplomatique, août 1999.
- Milton Friedman, « La troisième voie est sans issue », Le Monde, 20 juillet 1999.
- Je m’en explique plus longuement dans un livre, Contes et légendes de la guerre éthique, à paraître en novembre 1999 aux éditions Textuel (D.B.).
- Alain Madelin, Le Droit du plus faible, Paris, Laffont, 1999.
- Pour un plaidoyer en bonne et due forme sur les vertus de la puissance, voir Nicolas Tenzer, directeur de la revue Le Banquet : « Notre capacité à vivre de manière prospère, c’est la puissance qui l’assure », Le Monde, 10 septembre 1999.
- Michel Surya, De la domination, Farrago, 1999.
- Le Monde, 30 juin 1999.