Sur la langue occitane

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Nous ne savons pas si ce courrier, non daté, a fait l’objet d’une quelconque parution.

Cher ami,

Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour votre enquête. Malheureusement, bien que natif de Toulouse, je dois avouer mon incompétence sur les questions que vous posez. En réalité, depuis les débats animés des années soixante-dix (lorsque nous publiions les Cahiers Occitanie rouge à Montpellier), je n’y ai guère réfléchi. Aussi ai-je pensé dans un premier mouvement décliner votre proposition. Mais je craindrais de faire preuve ainsi de mauvaise volonté envers votre projet. C’est pourquoi je vous communique brièvement mes « réactions » spontanées au questionnaire, tout en précisant que je ne serais nullement choqué, si ces quelques lignes devaient aller au panier.

1. Plutôt qu’une vision de la culture et de la langue occitane, j’en ai d’abord un vécu. Celui de mon enfance. Autrement dit la mémoire d’un étonnement devant ces irruptions de mots et d’expressions qui venaient trouer soudain, de leur étrangeté musicale, la monotonie de la langue ordinaire. Il y avait là le parfum et l’enchantement, de quelque chose qui résistait à la perte et à l’oubli. Une réminiscence d’authenticité rebelle à la marchandisation galopante de la culture et des mots.

Une langue est aussi un concentré d’histoire. Il fallait être Staline et ne rien comprendre, ni au langage ni à l’internationalisme, pour passer ses années de prison à apprendre l’espéranto ! C’était prétendre remplacer l’échange vivant par le cosmopolitisme abstrait d’un vocabulaire sans histoire. La langue vit de métissage. Que le gascon ou l’occitan aillent donc où le français ne peut aller.

Quant à savoir si son sort relève du musée ou de la création… Qui sait ? L’histoire récente nous a appris à nous méfier de l’illusion du sens unique et des tendances dites inéluctables. Dans les années cinquante, l’euskera semblait voué à dépérir. Il revit. Je connais mal le mouvement culturel occitan, mais il me semble que des expériences comme celle du théâtre de la Carrière témoignent d’une possible vitalité.

2. Ici commence le problème et, je le reconnais, mes contradictions. Un mouvement culturel ne suffirait pas à faire revivre une langue sans fonctionnalité sociale. Si l’euskera ou le catalan ont repris leur souffle, c’est en rapport avec un mouvement social, une revendication nationale, une redéfinition de l’espace étatique (statut d’autonomie), une politique scolaire, etc.

Est-il possible de faire vivre l’occitan sans une revendication politique et sociale ? Qui le parlera dans ce cas, en dehors de certaines populations universitaires ou rurales ?

Inversement, comment faire en ces temps de particularismes exclusifs et de nationalismes sectaires pour qu’une revendication nationale ne bascule pas dans la pétrification étatique et la définition de frontières ? Peut-il exister un mouvement d’autonomie culturelle (avec des revendications spécifiques sur le terrain de l’école ou des médias), sans visées étatiques. Je le souhaite. Mais c’est surtout à vous d’y répondre.

3. Quant aux moyens politiques et institutionnels, il me paraîtrait vain et quelque peu démagogique de faire de grandes proclamations décentralisatrices, sur les moyens budgétaires ou les programmes scolaires. C’est au mouvement d’en bas de définir ses objectifs. Quant à leur satisfaction, elle nous entraînerait sur un terrain plus vaste, difficilement abordable dans l’espace de votre tribune : celui d’une démocratie effective, décentralisée, autogestionnaire, dont la crise actuelle des institutions et de la représentation parlementaire atteste le manque.

Amicalement.

PS : J’ai trouvé cet été chez un bouquiniste d’Aix un livre de Cladel que j’ai aussitôt acheté et pu découvrir grâce à vous.

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