Une gauche en état d’urgence

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Les élections régionales et cantonales ont précipité la crise ouverte de la droite. Plus lente et rampante, celle de la gauche gouvernementale n’en est pas moins annoncée.

Crise du politique ? Malaise dans la représentation ? Discrédit des partis ?

Les causes sont multiples et profondes. La déchirure sociale d’abord, qui exclut non seulement de l’emploi mais de la cité une part croissante de la population. La soumission des responsables politiques ensuite qui, à force de se soumettre aux mystérieux marchés financiers, vident d’enjeu le débat démocratique et laissent la politique à Mégret. La polarisation de classe qui reprend vigueur, ruine le mythe d’une « classe moyenne » quasi unique (à quelques privilégiés et marginaux près), et percute les « centres ».

Résultat, on parle d’autant plus de citoyenneté qu’elle devient introuvable, d’autant plus de « méthode » que les programmes se ressemblent ou se réduisent comme peau de chagrin.

Après les ravages des quatorze années de mitterrandisme (le chômage pour 3 500 000, l’exclusion et la pauvreté pour plus de 7 000 000, Tapie ministre de la Ville, le Front national à 15 %, et les affaires qui continuent), la gauche a eu en juin 1997 une deuxième chance, grâce entre autres au soulèvement populaire contre le plan Juppé et au soulèvement civique contre les lois Debré.

Lionel Jospin en campagne promettait de « changer l’avenir ».

Concrètement, c’eut voulu dire inverser la logique du chômage, changer la République, et changer d’Europe. Un an après, la société reste ligotée, et les concessions sur la loi des 35 heures risquent de rendre la mesure inefficace. La République reste confisquée, et rien ne sert de vanter le pacte républicain, lorsque l’espace public se vide en faveur du privé, de privatisations en menaces sur l’éducation nationale. Quant à l’Europe, Amsterdam a confirmé Maastricht et Dublin, et le pouvoir des banquiers et des régents s’installe. De génuflexions en agenouillements, cette politique d’accompagnement social du libéralisme va dans le mur.

Tandis que la gauche gouvernante et bourgeoisante se reconnaît désormais à ses genoux meurtris, le Front national, qui a commencé à ronger la droite traditionnelle par sa base de notables, fait son miel. Il tire l’ensemble du jeu politique de son côté : la droite de la droite court derrière les électeurs du FN, le centre de la droite court après la première pour la retenir, la droite de la gauche court après le centre hypothétique qui lui offrirait le cas échéant une majorité de rechange. Résultat, la procession marche vers l’abîme.

Contre le Front national, un antifascisme œcuménique sans contenu, servant de prétexte à tous les reniements et toutes les unions sacrées, ne constitue qu’un rempart de papier. La confusion électorale des programmes et des drapeaux au nom d’une union sacrée républicaine ne peut que désorienter le peuple de gauche sans freiner les dérives de la droite. L’expérience deux fois répétée de Dreux est là pour le rappeler. Toute mobilisation démocratique, la plus unitaire, sans exclusives, sur des questions concrètes (sociales, culturelles, racisme) est en revanche bienvenue.

La première nécessité de la lutte contre la menace frontiste reste donc bien celle d’une autre politique sans concession, front contre front, et coup pour coup, sur l’emploi d’abord, par une radicalisation de la loi sur les trente-cinq heures (abaissement du seuil des entreprises concernées, forte majoration des heures supplémentaires, blocage des licenciements massifs annoncés) ; par le refus de toute concession sécuritaire au chantage xénophobe sous prétexte de « ne pas faire le jeu de Le Pen » (argument de plus en plus fréquent chez Jospin, Chevènement, Allègre) ; par le refus de ratifier en l’état le traité d’Amsterdam afin d’exiger une renégociation préalable sur l’Europe sociale.

Cette réorientation est incompatible tant avec le social-libéralisme dominant dans la majorité plurielle, qu’avec les tentations d’un prétendu front républicain, dont les glissements nationalistes et chauvins sont déjà perceptibles.

Le fil rouge des solidarités de classe doit passer avant le fil bleu de la République version Chevènement, car la République désormais sera sociale ou ne sera plus.

Pour imposer une autre politique, il faut changer la gauche elle-même.

Il faut une vraie gauche, 100 % à gauche, dans la gauche. Elle existe aujourd’hui à l’état virtuel, dans les mouvements sociaux d’abord, partiellement dans les composantes de la gauche plurielle, dans l’extrême gauche. Des liens ont été tissés au fil des mobilisations contre la guerre du Golfe, contre Maastricht, contre le plan Juppé et les lois Debré, dans le soutien aux sans-papiers et aux chômeurs : ils tracent en pointillé les contours de la force motrice dont nous avons un urgent besoin. Mais l’écart reste encore trop important entre le renouveau du mouvement social et l’immobilisme relatif de la recomposition politique.

Il s’agit désormais d’œuvrer à le réduire, dans les luttes syndicales et associatives d’abord, par des initiatives unitaires et des campagnes directement politiques ensuite, dont l’indépendance sans concession envers la politique gouvernementale actuelle conditionne la crédibilité.

Futurs, avril 1998 (parution et date incertaines)

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