Projet de synopsis

Walter Benjamin et l’école de Francfort

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Le mur renversé. Berlin réunifié. Explosion de joie. Porte de Brandebourg.

Installés depuis un demi-siècle dans un paysage continental qui se voulait immuable, avec ses clôtures et ses murs mitoyens, nous étions habitués à percevoir le fragile bricolage de l’architecture européenne d’après-guerre comme une géographie naturelle et éternelle. Bouleversement général en moins de deux ans de l’ordre bancal, des faux équilibres, des compromis boiteux issus du massacre. Il y a un peu plus de cinquante ans, Walter Benjamin s’était arrêté, infiniment las, au seuil de la catastrophe, pressentant peut-être qu’il n’y avait plus place pour lui dans le monde mal taillé qui en sortirait.

I. Berlin : une jeunesse berlinoise

Une enfance berlinoise. Utilisation du texte et de Sens unique pour situer la ville architecturalement, politiquement, culturellement. Benjamin dans les mouvements de jeunesse. Groupe de jeunes juifs de culture allemande, conscients de leur identité juive et allemande. Horizon de la Mitteleuropa. En 1915, rencontre Scholem-Benjamin.

1915. Sous le coup de la guerre, rupture avec Wyneken et le militarisme allemand : « C’est à l’État, l’État qui vous a tout pris, que finalement vous avez sacrifié la jeunesse. » Constante méfiance de l’État bureaucratique et militaire. Puis rencontres avec Buber, Bloch, Lukacs, et correspondance avec les Viennois (Hoffmanstahl, Kraus). En 1923, départ de Scholem pour la Palestine et création de l’Institut de recherche philosophique, sociologique et politique. Difficultés financières et travaux de traduction (Baudelaire, Proust, Perse…)

II. Moscou : la révolution introuvable

1924 : Lecture de Lukacs, rencontre de Asja Lacis : « J’ai fait la connaissance d’une révolutionnaire russe de Riga, l’une des femmes les plus exceptionnelles que j’aie rencontrées. » 1926-1927, le voyage à Moscou et le Journal de voyage. Sur Moscou, utiliser le Journal et les « Paysages urbains » (dans Sens Unique). Benjamin quitte Moscou en pleurant, sa valise sur les genoux, les rendez-vous doublement manqués, avec Asja et avec la Révolution libératrice de son messianisme libertaire.

Dès 1926, Werner Scholem (le frère) « a été éloigné du parti » (lettre de Walter Benjamin, janvier 1926). À Moscou, la révolution est glacée : « la Russie d’aujourd’hui n’est pas seulement un état de classe, c’est un État de caste » (« Paysages urbains »). « Moscou telle qu’elle se présente maintenant, révèle toutes les possibilités : surtout celles de l’échec et du succès de la révolution ». Les portes du possible sont encore entrouvertes. Se joue le tableau du siècle. Benjamin se promène. Rues, jouets, théâtres… Découvre la nouvelle religiosité d’État, son esthétique monumentale, les mots d’ordre qui tournent à vide. Et pourtant, « cette reconstruction de toute une puissance de domination rend la vie extraordinairement pleine de sens ».

Élan vers le communisme suspendu par la rencontre avec le stalinisme en pleine ascension. Walter Benjamin n’adhérera jamais, laissant l’éventualité de cette expérience au hasard. Il n’en revendique pas moins ses nouvelles convictions face aux critiques de Scholem.

1929 : rencontres et discussions avec Brecht.

III. Jérusalem : l’année prochaine… ou le voyage impossible

1928-1929 : Walter Benjamin entreprend l’étude de l’hébreu et envisage sérieusement d’aller s’établir en Palestine avec l’aide de Scholem. Comme pour Kafka, c’est pourtant le voyage impossible. Il avait donné à S[cholem] l’assurance de venir en Palestine au printemps 1929, « et je ne le fais pas, et je reporte une seconde fois cette venue ».

Le judaïsme de Walter Benjamin est un judaïsme européen, des Lumières et de la diaspora, universaliste. Il ne peut pas se retrouver dans le projet réducteur d’un État ou d’un territoire.

Les années 1930-1933, années noires, de dépression devant la double impasse du stalinisme et du sionisme, les deux attractions de Benjamin, la révolution et le judaïsme (leur affinité messianique), se brisent sur le mur de l’État triomphant ou en gestation. Solitude de l’outsider devant la montée du nazisme : « mon être juif m’ouvrait par privilège l’ordre de la plainte et du deuil ». Suicidaire : « … ma disposition grandissante à me suicider… un sentiment de répulsion croissant, un manque de confiance aussi à l’égard des chemins où je vois les hommes, dans la même position et de la même espèce que moi, s’engager en Allemagne… ». Tentative de suicide en 1932 ?

1933 : prise du pouvoir par Hitler. « Brecht, Kracauer, Bloch sont partis à temps… » L’Allemagne est devenue le pays où il est interdit de nommer le prolétariat. L’année suivante Staline célébrera le congrès des vainqueurs.

Au moment de l’exil, Walter Benjamin referme définitivement la porte de Jérusalem : « Y a-t-il là-bas pour moi, vu ce que je puis faire et ce que je sais, plus d’espace qu’en Europe ? S’il n’y en pas plus, il y en a moins. Cette phrase n’a besoin d’aucune explication. Et pas davantage cette dernière : « si je pouvais accroître là-bas ma science et mes capacités sans perdre mon acquis, je ne manquerais pas de m’y résoudre. » Walter Benjamin est rivé à l’Europe, même si elle doit devenir inhabitable.

IV. Paris capitale du XIXe siècle ou les Passages murés

Mars 1933, Walter Benjamin quitte Berlin via Ibiza-Paris. Travail sur le Livre des passages. Contact avec les membres de l’école de Francfort émigrés aux États-Unis. Projet de livre sur Kafka.

1934 : séjour au Danemark et conversations avec Brecht.

Années de galère à Paris. Le travail sur les Passages. « Dans ce travail, je vois la véritable, sinon l’unique raison de ne pas perdre courage dans la lutte pour la vie. L’écrire… je ne le puis qu’à Paris, du premier au dernier mot ». Baudelaire et Blanqui. Déchiffrer dans le passé l’énigme du présent. Redonner leur chance aux vaincus de toujours.

1936 : Lettres d’Allemands, hommage à une Allemagne disparue.

Lucidité devant l’approche de la catastrophe. Ce qui « semble terrible dans le cas de l’Autriche comme dans le cas de l’Espagne, c’est que le martyre n’est pas subi au nom de la propre cause, mais au nom d’une proposition de compromis : que ce soit le compromis de la précieuse culture autrichienne avec une économie et un État infâmes, ou le compromis de la pensée révolutionnaire espagnole avec le machiavélisme des dirigeants russe. » Il assiste sans illusions à l’avortement des fronts populaires où « tous sont accrochés au fétiche de la majorité de gauche et ne se trouvent pas gênés que celle-ci mène la politique avec laquelle la droite provoquerait des insurrections. »

1939 : Début de la guerre, pacte germano-soviétique, pressentiment de la Shoah. Thèses sur le concept d’histoire.

V. Port-Bou : la fin d’un monde

Walter Benjamin, conduit par le hasard, rebrousse un chemin qui ne menait plus nulle part, qui butait sur un passage muré ou sur une porte refermée. Le 26 septembre 1940, suicide dans sa 49e année. « Il n’y a pour les hommes tels qu’ils sont aujourd’hui, qu’une nouveauté radicale, et c’est toujours la même : la mort. » Mort sans sépulture. Manuscrit inachevé et disparu. « Efface tes traces. »

Sa route finissait là. Au cœur du labyrinthe, chemin de celui qui appréhende d’arriver au but. Aux confins d’un monde finissant qui allait emporter avec lui le continent englouti du yiddishland révolutionnaire.

Un autre monde viendrait. Capitulation et division de l’Allemagne. Yalta. Retour des émigrés. Création de l’État d’Israël. Effondrement du stalinisme. Résurgence des conflits nationaux et du refoulé européen.

Quelle Europe ?

Lieux de tournage : Berlin, Paris, Moscou, Jérusalem, Port-Bou

Archives personnelles, novembre 1989

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