Manifestation antifasciste

Le 4 juillet au cirque d’Hiver de Paris : échec à Marcellin

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La première chose qu’il faut dire du rassemblement de 10 000 personnes répondant à l’appel du Collectif pour la défense des libertés au cirque d’Hiver, c’est qu’il représente un cuisant camouflet pour Marcellin, la sanction de sa principale erreur.

Marcellin avait misé sur les divisions du mouvement ouvrier en espérant les aggraver. La réponse n’a jamais été aussi unitaire, même si les exclusives demeurent. Et Marcellin n’imaginait pas cette succession d’orateurs, porte-parole du PS, du PCF, de la CGT, de la Fen, du PSU, de la CFDT, prenant tous la défense de la Ligue dissoute et réclamant la libération d’Alain Krivine.

Pourtant, le PCF était resté ferme sur un point : aucun responsable de la Ligue dissoute ne devait prendre la parole. C’eût été dépasser les limites du tolérable, légaliser les « gauchistes » en les côtoyant à la tribune.

Existence au rabais ?

Ainsi, on put voir Daniel Meyer, président du meeting, répondre à ceux qui réclamaient « la parole à la Ligue », que l’union de tous est le seul moyen de lui donner la parole. Curieuse logique : comme si le mouvement ouvrier ne pouvait imposer le droit à la parole de ses composantes, en lui offrant tout simplement ses tribunes.

Cette contradiction ne pouvait que multiplier les malaises et les faux-fuyants. René Buhl, parlant de la Ligue, au nom de la CGT, affirmait sans fléchir : « Nous estimons que cette organisation a le droit d’exister. » C’est bien, mais le problème au sein du mouvement ouvrier reste entier : exister comment ? En économiquement faible ? En parent pauvre ? En muette et paralytique ? Exister, c’est parler, c’est agir, c’est manifester. On n’existe pas à moitié. Et si aujourd’hui, face au pouvoir, le PCF, la CGT reconnaissent à la Ligue dissoute le droit d’exister, ils devraient en toute logique reconnaître à ses militants le droit de militer dans le mouvement ouvrier. Sinon, ce droit à l’existence restait une liberté formelle, défendue pour la circonstance et niée dans la pratique.

Le PCF se garde a gauche

L’Humanité, qui rend compte du meeting au cirque d’Hiver, sent bien le problème. Présentant Jacques Duclos, elle le qualifie de « prestigieux dirigeant ouvrier révolutionnaire ». Duclos lui-même commence ainsi son intervention : « Parlant au nom du PCF, le grand parti révolutionnaire de notre temps, j’élève une vigoureuse protestation contre l’arrestation d’Alain Krivine et contre la dissolution de la Ligue communiste dont chacun sait que nous n’approuvons ni la politique ni les plans d’action qu’elle préconise. »

Il y a du révolutionnaire dans l’air. Et c’est compréhensible. Lorsque le PCF s’adresse aux démocrates, il se veut plus démocrate qu’eux. En revanche, au moment où il prend la défense d’une organisation révolutionnaire, et par-là même risque de reconnaître une présence à sa gauche, il a besoin de se présenter comme le grand parti révolutionnaire.

Nous sommes au cœur même de la contradiction. Car c’est pour les mêmes raisons que le PCF a toujours refusé de reconnaître la Ligue communiste, c’est pour les mêmes raisons qu’il dénonçait un certain 1er mai les « casseurs » gauchistes de l’arrière. Aujourd’hui, il demande pour la Ligue le droit à l’existence. Mais la première chose qu’il faut dire c’est que, si le PCF n’avait pas maintenu ses exclusives contre les organisations et les groupes révolutionnaires, Marcellin n’aurait jamais pu courir le risque de dissoudre la Ligue !

Et si le 20 juin avait eu lieu le 21 ?

Enfin, il faut revenir à propos de ce meeting sur une question politique importante. Plusieurs orateurs ont fait allusion aux méthodes d’action de la Ligue qu’ils ne partageaient pas. Ils visaient par là les actions minoritaires dont participe à leurs yeux la contre-manifestation du 21 juin.

Il faut donc rappeler une fois encore que la Ligue avait appelé à manifester le 20 juin à la différence du PS et de la CFDT, par exemple, parce qu’une riposte de masse au durcissement du régime lui paraissait justifiée. La véritable question, c’est aux organisateurs et aux absents du
20 juin qu’il faut la poser

Et si le 20 avait eu lieu le 21 en riposte à la provocation fasciste ? Si l’unité, même partielle, qui s’est manifestée contre la répression au cirque d’Hiver s’était réalisée le 21 ? La Ligue ne serait probablement pas dissoute, ni Krivine et Rousset en prison. Mais surtout, l’ensemble du mouvement ouvrier aurait été alerté contre l’utilisation des fascistes par le pouvoir. Et il n’est pas sûr que des nervis auraient osé attaquer la fête du PC à Clamart ou assassiner le travailleur portugais Fernando Ramos à Ivry.

Ce sont des leçons qui méritent d’être méditées.

Rouge 6 juillet 1973
www.danielbensaid.org

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