Stratégie, sujet et contretemps chez Daniel Bensaïd
Par Ludivine Bantigny
Daniel Bensaïd a toute sa vie été un militant, loyal, tenace, fidèle à ses idées ; ce qui frappe, c’est d’abord d’ailleurs cette continuité dans le temps. Philosophe, il est aussi le penseur intempestif du « contretemps ». Le mot lui est cher ; il l’emprunte à Marx et à son « zeitwidrig », opposé au temps dominant ordonné par l’oppression et l’exploitation1. « Éloge de la résistance à l’air du temps », le travail philosophique et politique de Daniel Bensaïd est pétri d’un rapport fort à l’histoire. Il refuse le mécanisme, le déterminisme, une sorte d’objectivité sans sujet. Au contraire, pour lui l’histoire est ouverte, pleine d’incertitudes et de tâtonnements ; elle n’est pas linéaire et ne se déroule pas dans le confort des gestionnaires. Surtout, elle est faite par la volonté d’hommes et de femmes qui s’engagent, se lancent, ont du courage et se font sujets. Daniel Bensaïd le rappelle : « le temps ne fait rien à l’affaire. Et il n’a pas de mains ». Ce n’est pas lui qui rend la justice, ce n’est pas lui qui panse les plaies. « Il y faut le doigt de l’événement2 » ; donc, l’action et la volonté.
Daniel Bensaïd voit l’histoire comme exercice d’une liberté et d’une responsabilité. Selon Razmig Keucheyan, Daniel Bensaïd est « le plus stratège des penseurs critiques contemporains »3. La stratégie est bien un art du temps, de son rythme, des moments à saisir, des cadences. On ne s’étonne pas de l’attrait qu’exerce sur lui l’oxymore forgé par Georges Steiner : une « lente impatience4 ». La politique aussi est un art, l’art des possibles et plus encore l’art de leur « actualisation5 ». Elle est stratégique en ce qu’elle analyse les lignes de front, les protagonistes en présence et les rapports de force, les alliances et la conflictualité – contre une vision consensuelle qui masque toujours au fond les rapports de domination. Mais la politique est aussi un mode de vie et une éthique – une fidélité. On aurait pu intituler ce texte « Être et temps », si Bensaïd n’était pas en tous points opposé à Heidegger. Mais c’est en partie de ça qu’il s’agit : comment être un sujet, comment inscrire la lutte dans le temps, comment penser stratégiquement, sans jamais craindre d’être à contre-courant.
Sauter le pas
Tout commence par un massacre d’État, une colère, un chagrin immense. Le 8 février 1962 à Paris, la police charge avec une violence inouïe les manifestant-es qui marchent pour la paix en Algérie. Cette charge brutale, insensée, fait neuf victimes. Insensée, dans l’absolu seulement : pour la police et le pouvoir, elle prend tout son sens dans le cycle de répression où ils se sont inscrits6. Cette tragédie avait été précédée d’une autre, bien plus sanglante encore, le 17 octobre 1961, avec le meurtre de plusieurs dizaines d’Algériens venus manifester dans la capitale à l’appel du FLN, pacifiquement et sans armes. « Les morts de Charonne me révoltèrent et me firent sauter le pas », écrira Daniel Bensaïd dans son autobiographie. À 16 ans, il adhère à la Jeunesse communiste, dans la promotion « Daniel Féry », du nom de l’adolescent mort à Charonne7. L’entrée en engagement est ici un hommage aux martyrs. Plus tard, en lisant Walter Benjamin, Bensaïd travaillera sur l’idée que « les morts en appellent aux vivants ». Certes, il y avait déjà pour lui un ancrage familial. Dans le petit café tenu par son père sur la route de Narbonne, à la sortie de Toulouse, on « chantait rouge ». Le Bar des Amis « accueillait une clientèle populaire, mêlant réfugiés espagnols, maçons portugais, antifascistes italiens, ouvriers de l’Onia (la future AZF) ou de la poudrerie, postiers et cheminots, mécaniciens auto et petits commerçants ». Enfant, Daniel Bensaïd écoutait les récits de la révolution espagnole et ceux de la MOI : autour de lui, on avait tutoyé l’histoire8.
« Notre guerre n’était pas finie », expliquera-t-il. Là se noue la particularité d’une génération de jeunes communistes révolutionnaires d’origine juive dont les parents avaient immigré en France pour fuir les persécutions antisémites et génocidaires. L’engagement peut être le fruit d’une conversion de la colère, de la haine et d’une soif de vengeance en puissance d’agir politique, transfert d’un désir de représailles individuel à un projet politique, en l’occurrence émancipateur et internationaliste9. Edwy Plenel, engagé lui aussi à la Ligue communiste révolutionnaire, a décrit a posteriori ces impressions entremêlant rapport à l’histoire et sentiment d’être en dette : « Car notre éducation politique ne fut pas faite de victoire, mais de défaite. Nos héros étaient morts vaincus et, loin de nous lamenter et de les pleurer, nous pensions que leur sacrifice avait valeur de promesse ». Cette culture puisant aussi à la mémoire des morts devait devenir « principe actif, supplantant parfois la logique plus froide et sèche des raisonnements politiques10 ».
Le Parti communiste essuie alors des critiques radicales, sur la bureaucratie, les chars envoyés à Budapest lors du soulèvement populaire de Hongrie, sa position pendant la guerre d’Algérie (non l’indépendance mais la paix). Il faut partir. Mais quitter le Parti est plus qu’une déchirure : une blessure. « Nous étions suspects de désertion, sinon de trahison11 ». La fondation de la Jeunesse communiste révolutionnaire en 1966 ouvre cependant de nouveaux horizons, d’autant que de nouveau et désormais, le fond de l’air est rouge : « l’histoire finit par se rebiffer12 ».
Mai-Juin 1968 : l’histoire se rebiffe
Car la révolution paraît à portée de main : à beaucoup, elle s’envisage pour demain. Des peuples, un peu partout dans le monde, en réalisent l’espoir concret, de la Chine à Cuba, de l’Algérie au Vietnam. Daniel Bensaïd est à Berlin-Ouest lors des journées des 17 et 18 février 1968, consacrées à la lutte anti-impérialiste et à la solidarité avec le Vietnam en guerre. L’extraordinaire en cours apparaît révolutionnaire. « La jeunesse de la révolte à la révolution » : c’est le slogan du meeting de la JCR organisé le 9 mai à la Mutualité, auquel Daniel Bensaïd participe dans une perspective internationaliste : il est au côté du militant allemand Peter Brandt, des Italiens Massimo Goria et Paolo Flores d’Arcais, et du dirigeant de la Quatrième Internationale Ernest Mandel13. Surgissent la grève générale, les occupations d’usines, bureaux, commerces, gares, postes, ports, théâtres, lycées, universités… La revue Quatrième Internationale publie dans la conscience de l’urgence un supplément qui dit notamment : « les barricades de mai 1968 ont fait justice d’un conte que bourgeois et réformistes avaient beaucoup répété et même fini par croire : dans notre société moderne, la révolution est impossible ». Elle paraît sortir de la cage de fer dans laquelle on l’avait tenue prisonnière et revient dans le champ du réel : l’impossible sort du dictionnaire14. Avec la grève généralisée, il y a blocage de fait et c’est ce qu’évoque André Barjonet, dirigeant démissionnaire de la CGT : les mécanismes économiques et sociaux comme les administrations sont hors d’état de fonctionner ; c’est « objectivement une situation révolutionnaire ». Le vice-président de l’UNEF, Jacques Sauvageot, arrive mot pour mot à la même conclusion : des comités se sont créés partout, dans les usines, les facultés et les quartiers, les entreprises sont occupées ; « il n’y a plus de légalité. Objectivement, la situation est donc révolutionnaire15 ». Le temps est en suspens. Le 24 mai, quatre membres du Mouvement du 22 Mars né à Nanterre participent à un meeting à l’Université libre de Bruxelles, parmi lesquels Daniel Bensaïd, qui a franchi illégalement la frontière belge16. Échanges d’expériences, comparaison de situations, conseils et soutiens émaillent ces circulations, comme des invitations au voyage chez des protagonistes d’autant plus fervents que tous mesurent la dimension mondiale de l’événement.
Daniel Bensaïd cite volontiers l’ancien résistant, militant et essayiste Dionys Mascolo pour qui « la révolution est un lent et long mouvement d’impatience, patient lui-même », à la mesure de « la lenteur révolutionnaire »17. Dans cet oxymore se loge la discordance des temps. Telle est la caractéristique de cette période si on la considère à l’aune de l’aspiration révolutionnaire et des courants qui la défendent : un mélange d’accélération, comme si l’époque pressait le pas et se précipitait, et d’attente déçue, de temps étiré, d’espoir frustré. La pression de l’urgence et le sentiment qu’il faut prendre des initiatives décisives, faute de quoi l’occasion passera sans revenir, invitent certains protagonistes au volontarisme politique. Ce temps singulier, c’est le kairos des Grecs, le moment opportun qui va fuir si on ne l’attrape et l’agrippe. Daniel Bensaïd reviendra sur cette notion, puisant aussi à la philosophie de Machiavel : le kairos comme point de rencontre entre l’occasion (l’opportunité de la conjoncture) et la volonté (« la force de l’âme »)18. En attendant, sur la proposition d’André Barjonet, Alain Geismar, Alain Krivine et Jean-Pierre Vigier, un Comité d’initiative pour un mouvement révolutionnaire se constitue le 1er juin 1968. Il se fixe pour objectif de fédérer les comités d’action, les comités de grève et les comités de quartier dans un Conseil provisoire de la révolution. Le but est de tenter d’instaurer une situation de double pouvoir et un rapport de force susceptible d’ébranler l’ordre en place. C’est donc une façon de tracer un horizon stratégique pour ne pas laisser le mouvement à sa seule spontanéité au risque de sa défaite s’il n’est pas mieux coordonné. Surtout à un moment où les forces liées au pouvoir se structurent quant à elles et s’organisent avec la les « Comités de défense de la République » et la grande manifestation pro-gaulliste du 30 mai sur les Champs-Élysées. En somme, c’est « ce qu’il faut tout de suite et nous avons un retard de huit jours19 ». Car les jours ici se comptent et sont comptés : le temps est un acteur politique décisif. Et il presse. Mais le clivage politique n’est pas aboli : les anarchistes demeurent opposés à toute idée de coordination/centralisation, parce qu’elle ne respecterait pas l’autonomie des comités à la base, voire l’entraverait. Le projet échoue. Les temps des organisations, en raison de leurs traditions, ne concordent pas.
La crise révolutionnaire : une heure de vérité
En juin 1968, du point de vue de l’espoir révolutionnaire, l’heure est au reflux. « Élections pièges à cons » certes, mais elles closent de fait l’événement. Alors que faire ? D’abord, construire pas à pas une organisation : un parti, qui a plusieurs fonctions : l’élaboration théorique mettant continuellement à jour l’analyse des contradictions de la société capitaliste, les conflits d’intérêts qui fissurent le bloc au pouvoir, ses points faibles ; mais aussi une mémoire, qui garantit la survie du mouvement durant les périodes creuses. Il s’agit de ne pas figer la théorie en doctrine, à la manière du catéchisme, une fois pour toutes : ne pas la pétrifier dans une anhistoricité. Continuer de militer pour creuser des brèches dans le temps. Et garder fidélité aux espoirs venus de loin, venus d’avant : pour que « l’avenir du passé » ne sombre pas dans l’oubli du présent20.
Car on ne peut pas tourner la page après une telle intensité. Daniel Bensaïd termine à l’été 1968 un mémoire de maîtrise en philosophie sous la direction d’Henri Lefebvre, à l’université de Nanterre, consacré à « la notion de crise révolutionnaire chez Lénine21 ». Il y souligne qu’une crise peut affecter une formation sociale déterminée, mais ne devient révolutionnaire que si « un sujet œuvre à son dénouement en s’attaquant à l’État, cible stratégique, vérin par lequel sont maintenus en place les rapports de production capitalistes rendus étriqués par le développement des forces productives ». Il y est beaucoup question de la construction du parti, conçu comme organisation d’avant-garde, capable de nouer l’objectif et le subjectif, la critique radicale de la formation sociale capitaliste et la conscience de classe révolutionnaire. Mais sur l’organisation elle aussi, la crise peut agir comme un révélateur : elle « colore ses tares et délimite la fraction capable de conclure la crise par la révolution. Elle sert de patron sur lequel l’organisation provisoire se découpe et s’ajuste à la mesure de sa tâche historique ». Le temps de la crise révolutionnaire apparaît comme une « heure de vérité ».
Près de quarante ans plus tard, Daniel Bensaïd synthétisera les questions qui taraudent ce mémoire de philosophie politique : « Comment échapper à l’éternité morbide des structures ? Comment s’extraire des nappes voluptueuses de la longue durée ? Comment mettre en perce le cercle vicieux de l’infernale répétition ? Comment entrouvrir la porte étroite par laquelle pourrait surgir un jour un spectre souriant ou un messie intempestif ? Comment articuler théoriquement l’événement révolutionnaire à ses conditions historiques ? » Avec néanmoins cette autocritique, par-delà les années, vis-à-vis d’un texte jugé par endroits trop « gauchiste » ; cela avait cependant « le mérite de secouer les chaînes de la fatalité structurale et d’interpeller la responsabilité de chacune ». Mais le Bensaïd de 2004 jugera surtout son mémoire – et son courant politique avec lui – trop empreint de la certitude que le parti à lui seul constitue le « sujet pratique », permettant au « sujet théorique » – le prolétariat – d’advenir comme une force « pour soi » : autrement dit, faire du parti « l’équivalent de l’esprit absolu hégélien »22…
Courants chauds. Contre Althusser
Il faut du moins se préparer au prochain grand soulèvement populaire, si tant est que Mai ait été « une répétition générale ». À l’automne 1968, avec Henri Weber, Daniel Bensaïd insiste sur « le rôle du sujet » et le refus de « s’agenouiller et démissionner devant les conditions dites objectives23 ». Ici, le PCF est visé – et en son sein Louis Althusser. Dans son mémoire de maîtrise, Bensaïd se montre d’ailleurs extrêmement critique à l’égard du Parti communiste français. L’allusion est mordante : « Mai 68 en France illustre encore la façon dont l’idéologie bourgeoise et celle du PCF se sont rendues mutuellement hommage en s’absorbant dans la contemplation passive du même ordre établi, présenté comme inamovible ». Pour la JCR et d’autres groupes de la gauche révolutionnaire, le PCF s’est détourné de la révolution. Son marxisme théorique n’empêche pas un réformisme en pratique, un renoncement, considéré souvent comme une trahison. La stratégie adoptée par la direction du Parti en 1968, sa ligne modérée pour un « programme social avancé », sa critique virulente à l’égard des groupes se réclamant de la révolution, son ralliement à la solution électorale proposée par de Gaulle, ne peuvent que creuser ce fossé. Les chars venus d’URSS, de RDA, de Bulgarie, de Pologne et de Hongrie pour écraser le soulèvement antibureaucratique de Tchécoslovaquie, en août 1968, enterrent avec les victimes ce qui pouvait demeurer encore d’association entre les partis communistes et l’espérance révolutionnaire. Un intellectuel pourtant, au sein du Parti, se distingue par la production théorique originale qu’il propose : Louis Althusser. Althusser polarise l’attention en raison de l’étendue du spectre étudié, du Jeune Marx au Capital, de la linguistique au structuralisme et à la psychanalyse. Beaucoup y voient un renouvellement décisif, dans un contexte de déstalinisation et d’intense production théorique.
Néanmoins, le fond de cette théorie comme les contradictions de son concepteur sont vivement critiqués au sein de la LCR. Daniel Bensaïd, Jean-Marie Vincent, Ernest Mandel, Jean-Marie Brohm, Denise Avenas, Alain Brossat, Sami Naïr et Catherine Colliot-Thélène publient en 1975 leur Contre Althusser. Il s’agit de défendre le volontarisme révolutionnaire contre l’objectivisme scientiste, le marxisme du sujet contre les agents abstraits que sont chez Althusser les rapports de production, l’initiative révolutionnaire contre la mécanique des structures. À leurs yeux, Althusser dissocie beaucoup trop le marxisme du mouvement ouvrier. Son aggiornamento théorique est en outre tout à fait coupé de la politique réelle du Parti, qu’Althusser laisse faire, lui pour qui le stalinisme est une simple « déviation théorique » et qui approuve la stratégie du « socialisme dans un seul pays ». Ce qui est en cause ici, comme le souligne Jean-Marie Vincent, c’est que, avec une vision de l’histoire comme « procès sans sujet », « l’horizon du communisme recule à l’infini ». Daniel Bensaïd bataille en particulier ce qu’il perçoit chez Althusser comme « un marxisme glacial, sans style ni passion, ramené à un objectivisme scientifique sans subversion critique » : un marxisme réduit à l’état de squelette endossant les habits des dogmatismes divers24. Althusser est associé à un marxisme évidé de l’engagement révolutionnaire, ramené à des rapports de production présentés en agents abstraits, des structures sans sujet. Son antihistoricisme, son « dédain de l’histoire charnelle » lui permettraient d’édifier une sorte de « paradis conceptuel », l’empêchant de mener une véritable critique de l’autoritarisme bureaucratique25. La pensée althussérienne est critiquée comme un objectivisme mécaniste, fétichisant et réifiant les structures et les forces productives, au mépris de la place des individus dans les processus révolutionnaires. Au contraire d’une histoire vue comme un procès sans sujet, la LCR entend donner toute sa place à l’initiative révolutionnaire26.
En ce sens, Daniel Bensaïd soutient une vision unifiée du monde contre le cloisonnement des luttes et des secteurs d’intervention, une totalisation contre la juxtaposition que formeraient les combats proprement ouvrier, féministe, écologiste, anti-raciste… Incarnées dans des lieux — une bourse du travail conçue non pas comme maison des syndicats mais comme « local des comités de soldats, maison des femmes et centre culturel du mouvement ouvrier » —, ces dimensions « transversales, entrelacées » de l’engagement militant conçoivent la société comme un tout organique pour penser en retour une autre société, radicalement autre car radicalement révolutionnée27. Parmi les gauches révolutionnaires, la LCR se distingue par une certaine ouverture politique, rétive au sectarisme, et se caractérise comme un « courant chaud » du marxisme, pour reprendre la formule d’Ernst Bloch28. À cette époque, la volonté de penser la transition révolutionnaire s’y mène donc avec une subjectivité assumée – une place essentielle accordée aux sujets historiques par-delà le poids des déterminismes économiques.
S’organiser et penser stratégiquement
Durant les « années 1968 », dans les courants communistes révolutionnaires, la conviction est forte que la révolution est imminente ou en tout cas qu’elle surgira à moyen terme, dans cinq ou dix ans en Europe. La formule de Bensaïd restera : « L’histoire nous mord la nuque ». Il y a donc lieu de s’y préparer et d’en penser les bases. La Quatrième Internationale propose, dans cette conjoncture et partant d’elle, une réflexion renouvelée sur les structures du capitalisme. Dès 1969, le constat est fait de l’exacerbation que revêt la concurrence inter-impérialiste, avec l’amorce d’une compression du taux de profit29.
Celles et ceux qui ont fondé la Jeunesse communiste révolutionnaire puis la Ligue communiste et enfin la Ligue communiste révolutionnaire ne sont qu’une poignée. Les « événements » de mai-juin 1968 provoquent évidemment un fort accroissement militant : 1 000 environ à l’été 1968, 1 300 l’année suivante, 2 800 au printemps 1971 et jusqu’à 3 800 en 1976. Ces chiffres bruts ne rendent toutefois pas compte d’un turn over important : le nombre de personnes engagées dépasse de beaucoup les statistiques, muettes sur le sujet. La faiblesse relative des effectifs a trait à la nature même de leur implication, à contre-courant de l’idéologie dominante. Dans une telle organisation, militer n’est pas simplement adhérer : l’engagement se déploie presque à plein temps. Cette situation de marginalité objective est analysée avec une certaine lucidité dans l’organisation, pour éviter qu’elle devienne une marginalité subjective. Daniel Bensaïd et Henri Weber s’interrogent longuement sur ces risques et insistent sur quelques remèdes possibles : tout l’enjeu à leurs yeux est que l’organisation ne se transforme pas en secte30. Il s’agit par conséquent de s’implanter dans les entreprises et les quartiers, de s’impliquer dans des associations et des syndicats, bref de se lier avec la réalité pour ne pas la contourner31. Se familiariser à exercer des responsabilités, s’accoutumer à décider pour soi : la méthode de la « démocratie ouvrière » que propose la culture communiste révolutionnaire fait resurgir « la vieille question sans cesse actualisée » : « comment une classe exploitée et dominée peut-elle poser sa candidature au pouvoir ?32 »
Mais il ne s’agit pas de soulever cette question du pouvoir, du contrôle des travailleurs et de la réappropriation à la seule échelle de l’entreprise, mais aussi du côté de l’écologie, du rapport à la consommation et dans bien d’autres domaines : contrôle de la population sur l’environnement et l’urbanisme notamment, auto-réductions dans les supermarchés, « marchés rouges », « crèches sauvages », réquisitions des logements, refus collectif des loyers trop élevés, actions directes dans les transports avec jonction entre les travailleurs du secteur et les usagers. Le choix n’est donc pas entre « centralisation bureaucratique » et « autogestion décentralisée » : la Quatrième Internationale s’affirme partisane d’une autogestion démocratiquement centralisée ou d’une autogestion planifiée : non pas par idéal de la centralisation, mais parce qu’il s’agit d’une nécessité objective qui correspond à la réalité de la vie économique. « Si la centralisation ne se fait pas de manière consciente, c’est-à-dire planifiée, délibérée, alors elle se fera de manière spontanée, anarchique, derrière le dos des travailleurs et des producteurs33 ». L’organisation met aussi en avant le droit de regard et de contrôle des organisations ouvrières dans l’enseignement et dans les casernes, la syndicalisation des soldats pour qu’ils exigent leurs droits de travailleurs sous l’uniforme, la levée des clauses de secret professionnel ou de devoir de réserve qui lient les personnels de l’État. Toutefois, « il ne s’agit pas d’investir l’État mais de peser sur ses contradictions pour en briser les rouages34 ».
Controverse stratégique : échanges avec Poulantzas
La question fondamentale de la subjectivité révolutionnaire est abordée en particulier dans la discussion avec Nicos Poulantzas au même titre que les contours des classes sociales en général et de la classe ouvrière en particulier, la nature de l’État et l’intervention à y mener, donc le pouvoir et les modalités de sa conquête. Cet échange théorique renvoie à une pensée stratégique, jamais déconnectée de l’histoire qui se fait.
C’est dès 1968 qu’apparaissent les premières traces de réception et d’utilisation de concepts et définitions avancés par Nicos Poulantzas. Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste vient tout juste d’être publié chez Maspero ; Daniel Bensaïd y puise aussitôt des éléments pour sa propre réflexion. Bensaïd estime que Poulantzas complète Lénine dans la manière même d’évoquer la politique qui pour Poulantzas correspond à trois critères : son objet (« la conjoncture »), son produit (« la transformation de l’unité d’une formation sociale ») et surtout son objectif stratégique : l’État. Il insiste encore sur ces apports neufs dans l’article coécrit avec Sami Naïr pour la revue Partisans, en décembre 196835. À ce stade, les emprunts sont considérés comme enrichissant la réflexion théorique. Aucun désaccord ne se dessine encore. Le changement s’opère en 1970 avec la publication par Poulantzas de Fascisme et dictature. Daniel Bensaïd prend en charge la critique du livre. Même si Fascisme et dictature propose une réflexion politique de nature historique, en particulier sur la Troisième Internationale face au fascisme, il lui est reproché d’être, dans le sillage d’Althusser, trop structuraliste et d’évacuer la subjectivité révolutionnaire. Selon Bensaïd, Poulantzas ne prête qu’une attention réduite à la lutte de classes dans l’analyse de la montée du fascisme. Ensuite, l’auteur de Fascisme et dictature n’accorde pas suffisamment d’importance à la « faillite subjective du mouvement ouvrier », en l’occurrence la direction de la Troisième Internationale sous Staline et l’absence de riposte révolutionnaire à l’ascension du fascisme. Faute de se pencher suffisamment sur l’histoire faite par les individus et les classes sociales, Poulantzas serait ainsi « prisonnier des carcans académiques de l’althussérianisme », tout en s’efforçant de les dépasser36.
La critique s’aiguise avec l’ouvrage de Poulantzas consacré à la situation politique extrêmement intense de la période : La Crise des dictatures : Portugal, Grèce, Espagne (1975). Une même question s’avère centrale : la place occupée par la subjectivité révolutionnaire et donc par la lutte de classes. Les luttes proprement ouvrières y sont trop négligées selon Bensaïd – ce qui renverrait chez Poulantzas à une « erreur fondamentale de méthode » qui « n’est pas innocente37 ». Le désaccord n’est pas que théorique : il est fondamentalement stratégique. Parce qu’il se focalise sur les contradictions internes à la bourgeoisie sans insister suffisamment sur la conflictualité centrale entre bourgeoisie et prolétariat, Poulantzas privilégie une alliance tactique avec la fraction la plus démocratique de cette bourgeoisie mais en oublierait la perspective ouvrière – au sens politique du terme. Il cherche un équilibre entre la stratégie classique du « double pouvoir » – démocratie directe et auto-organisée sous la forme de conseils, combinée à une démocratie représentative de type parlementaire – et la stratégie dite « italienne » dont Poulantzas juge qu’elle « est, à la limite, une stratégie uniquement fixée à l’intérieur de l’espace physique de l’État38 ». Cette tentative de trouver une ligne médiane appelle deux critiques pour les théoriciens de la LCR. La nature de classe de la démocratie représentative reste impensée chez Poulantzas, attaché à une démocratie « formelle » et somme toute assez abstraite. Pour Daniel Bensaïd et Antoine Artous, Poulantzas occulte les conditions sociales de formation de la « volonté générale » en démocratie représentative39. Comment se nouent les deux formes de démocratie qui coexistent chez Poulantzas ? Cette articulation est trop impensée. Dans le sillage classique de Lénine, D. Bensaïd estime qu’à terme, dans cette forme de démocratie combinée, la place des conseils/soviets risque d’être subordonnée à la forme parlementaire.
Cette crainte n’est pas abstraite ni déconnectée de la situation historique. Au contraire, elle est étayée par des exemples récents et brûlants. Au Chili, les comités de ravitaillement ont rapidement été liquidés au nom de la démocratie parlementaire, tout comme les noyaux révolutionnaires dans l’armée ou les conseils de travailleurs. Au Portugal, la souveraineté de la Constituante a pris le pas sur les commissions ouvrières. De tels échecs fondent la crainte de voir la démocratie directe peu à peu rognée et finalement abolie au nom de la démocratie parlementaire. Or, la démocratie directe n’est pas « une forme démocratique parmi d’autres » : elle en est une « forme supérieure ». Daniel Bensaïd y insiste : « comme Gramsci l’avait lucidement perçu dès l’expérience de Ordino Nuovo, à travers les comités, conseils ou soviets, le travailleur surmonte la fracture de l’homme et du citoyen, le dédoublement entre l’homme privé et l’homme public, la lésion entre l’économique et le politique40 ».
La temporalité politique est un autre objet de réflexion, sinon suscitée, du moins stimulée par le débat avec Poulantzas. La révolution n’est pas forcément le « grand soir », trop fétichisé et caricaturé. À la notion de « processus long » avancée par Poulantzas, Bensaïd répond qu’en effet, la déchirure du consensus social et de l’ordre établi se mènera à l’issue d’une accumulation d’expériences et qu’il s’agira bel et bien d’un processus. Pour autant, il n’y a pas lieu d’effacer la perspective de la rupture, et en particulier l’hypothèse stratégique de la grève générale insurrectionnelle auto-organisée : c’est là « un fil à plomb pour une pratique révolutionnaire quotidienne tendue vers un but final au lieu de flotter au fil des improvisations41 ». Mais par-dessus tout, l’intensité de la discussion constitue, pour Daniel Bensaïd, un « témoignage de l’actualité de la révolution ».42
Inquiétudes militantes : militer sans mythologie
Dans la LC/LCR, au début des années 1970, surgissent des interrogations sur l’« optimisme révolutionnaire » voire le « triomphalisme » qui prévalaient jusqu’à présent. Des textes internes concèdent que « l’affrontement avec la bourgeoisie » sera « prolongé » ; son dénouement est désormais reporté à un avenir indéterminé43. Comment alors être des révolutionnaires s’il n’y a pas de révolution ? On imagine les affects nés d’une telle situation, vécue intensément et parfois dramatiquement. Si la LCR gagne des militantes et militants – par centaines –, elle en perd aussi – par centaines. Dès lors se développe dans le parti le thème de « l’inquiétude militante », une expression utilisée par Daniel Bensaïd pour clore son livre paru en 1976, La Révolution et le pouvoir. Pudiquement, et donc brièvement, il fait état des suicides dans l’extrême gauche, de ce désespoir qui parfois étreint et, pour la première fois, des « déchirements intimes du militant ». Contrastant avec le style généralement assuré de la production théorique, l’ultime chapitre de l’ouvrage aborde « la vie quotidienne du militant », faite davantage d’« inquiétudes » que d’« intouchables vérités ». Le doute saisit le vif, désormais. Le « manteau du mode de vie flotte, trop ample, sur le robuste squelette de la théorie », ainsi mise à nue face au surgissement de ces fragilités. S’incruste aussi la peur des tendances autoritaires, comme si le spectre du totalitarisme hantait les consciences et faisait naître la peur du basculement dans une nouvelle oppression, qui cette fois serait l’œuvre même de la révolution. « Le militant redoute de découvrir le visage de ce pouvoir qui tremble au bout de ses actes. Il porte en lui son goulag intérieur, qui ne cesse de l’interpeller ».
Pour autant, ces questions demeurent encore peu abordées, car le « surmoi pèse comme une coupole » : l’idéal révolutionnaire, la révolte contre l’ordre existant laissent peu de poids aux questionnements sur l’engagement et aux états d’âme militants44. « Militer sans mythologie45 » signifie éviter toute mystification et toute réification du militant, en somme éradiquer la fiction du « romantisme révolutionnaire ». Il faut alors être « conscients du rôle sécurisant que peut jouer l’organisation »46. D. Bensaïd énonce ces « satisfactions » procurées par le parti : satisfactions « de voir se recomposer le puzzle de sa vie », « de le voir prendre image et sens », « de vaincre l’écartèlement de l’homme éclaté et divisé » par le système capitaliste. Le plaisir est bel et bien présent, mais il est pensé politiquement : c’est l’« élection d’un certain plaisir », l’« indéniable fierté de ne pas baisser la tête », « de ne pas s’engloutir dans l’humiliation », « d’arracher son existence aux routines dominantes »47.
Moi, la Révolution. Contre les commémorations
S’en arracher s’avère désormais et plus que jamais un défi quand l’air du temps est à un capitalisme néolibéral sans freins ni retenues. Les années 1980 sont à bien des égards réactionnaires : réaction aux années de contestations et d’espoirs forgés dans la décennie précédente, réaction au sens politique de reculs sociaux et de retours en arrière. La gauche au pouvoir mène rapidement une politique de droite. L’heure est aux hommes d’affaires poussant la chansonnette à la télévision. Elle est au « C’est comme ça », à l’acceptation et la résignation. Même la Révolution paraît instrumentalisée au point qu’on lui enlève les nerfs.
En 1989, Daniel Bensaïd vitupère un Bicentenaire figé pour une Révolution momifiée. Dans Moi, la Révolution, il la fait parler à la première personne. La voilà, qui dit « je ». Elle ne veut pas se laisser commémorer, c’est-à-dire au fond embaumer, qu’on la fête une bonne fois et qu’on n’en parle plus, comme une vieille chose révolue. Elle, au contraire, elle se sent vivante, toujours active et actuelle, toujours agissante. Elle cavalcade, fait des bonds dans le temps, embrasse l’avenir en serrant le passé dans ses bras. Elle n’entend pas qu’on la célèbre, Bicentenaire ou pas. Elle refuse que l’État tente de l’apprivoiser. Elle n’est pas une « affaire non classée », rejette le « tourbillon des marchands du temple et des trafiquants de reliques », repousse de tout son être l’« entreprise de dépolitisation méthodique ».
Daniel Bensaïd fait le choix de la raison sensible. Il fait de la Révolution une personne vivante, qui murmure, proteste, s’indigne, tantôt tête basse, tantôt révoltée. Le livre court à corps perdu dans les années révolutionnaires. Le livre n’est pas une glorification de la Révolution française, il n’escamote rien des limites ou des souffrances. La Révolution, cette allégorie charnelle et passionnée, en pleure parfois : « C’était la guerre. On sacrifia les principes à l’urgence. On enferma cette Constitution dans une arche de cèdre, aux pieds du président de la Convention. Jusqu’à la paix… J’en avais les larmes aux yeux. D’émotion et de rage ». Pourquoi ce style, ce registre, cette écriture ? Pourquoi cet autre « je » qui n’est pas celui de l’auteur, pas même celui du narrateur ? Ce « je » est un refus d’enterrement, le strict opposé du permis d’inhumer. Daniel Bensaïd refuse que la Révolution française ne soit plus qu’une belle morte – morte ET enterrée.
« Expulsée du lexique, la Révolution ! Vous n’avez plus à la bouche que le mot de “mutation” : une mutation, ça a l’air savant, et, surtout, ça ne se fait pas, ça marche tout seul, ça mute en temps voulu, sans qu’on y touche ; ça n’engage jamais à rien. »48
François Furet, le « roi du Bicentenaire », celui du moins que le Nouvel Observateur avait appelé ainsi, l’avait dit – et Napoléon Ier puis Guizot avant lui : « La Révolution est terminée ». Bensaïd n’aime pas « ce suaire d’anniversaire » ; il veut continuer de faire vivre l’espérance révolutionnaire, sans rien cacher des effrois ni des regrets.
Retrouver la vie des ancêtres asservis. Bensaïd et Benjamin
« La manière dont on honore le passé en en faisant un héritage est plus funeste que ne le serait sa pure et simple disparition.49 » Le constat est de Walter Benjamin. En ce début des années 1990, Daniel Bensaïd travaille sur son œuvre et sa perspective politique. On ne s’en étonne pas : Benjamin s’insurgeait contre « les chaînes despotiques de la temporalité mécanique50 » ; c’est aussi ce à quoi Bensaïd a toujours tenu. Benjamin s’en prend à la continuité supposée de l’histoire, au dogmatisme du progrès, à la linéarité certifiée. Il leur oppose un temps ouvert, qualitatif et sensible, « un temps des possibles » contre celui de la nécessité51. Marxiste, il critique la vision stalinienne aussi bien que la social-démocratie de son temps pour leur exaltation du « progrès » ; à ses yeux, cette téléologie candide empêche d’agir dans l’histoire, en se berçant d’illusions sur la certitude automatique d’un avenir meilleur. Pour Daniel Bensaïd lisant Benjamin, « sociaux-démocrates et staliniens ont fredonné ensemble les berceuses ensommeillées des lendemains chantant et les hymnes à la classe ouvrière libératrice des générations à venir non par erreur d’orientation mais par volonté délibérée de déminage » ; ils ont une confiance en un temps « somnolent », linéaire, mécanique, dogmatique, complètement extérieur à la perspective d’événements : de soulèvements populaires et révolutionnaires52. « Ce que Benjamin reproche à la social-démocratie d’inspiration néo-kantienne, explique aussi Michael Löwy, c’est avant tout son attentisme, le calme olympien avec lequel elle attend, confortablement installée dans le temps vide et homogène comme un courtisan dans l’antichambre, l’événement inéluctable de la “situation révolutionnaire”53 ». Au contraire, chez Benjamin, « renoncer au progrès signifie repenser complètement l’action politique, et singulièrement le projet révolutionnaire54 ».
Bien loin de faire table rase du passé, c’est vers lui qu’il se tourne, non pour l’instrumentaliser mais pour le sauver. Car si l’ennemi triomphe, « même les morts ne seront pas en sûreté55 ». L’enjeu est historique et fondamentalement politique : « les projets des laissés-pour-compte de l’histoire restent vivants dans leur échec en tant que possibilité ou exigence de justice.56 » L’une des inquiétudes lancinantes de Walter Benjamin est de voir mourir le passé et avec lui les vaincus de l’histoire, sous la domination de ses triomphateurs. Il faut le soustraire à la complaisance des célébrations57.
Des divergences dans la conception du rapport à l’histoire et au temps ont toujours traversé la pratique révolutionnaire. Dans ses Mémoires, Louise Michel confiait : « En révolution, l’époque qui copie est perdue. Il faut aller de l’avant ». Tout mimétisme est à bannir comme un frein possible au futur. Un passage de Marx dans Le Dix-Huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte est demeuré célèbre : « La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. » L’obsession de l’histoire serait une manière de fuir le vertige de la nouveauté qu’ouvre toute situation révolutionnaire. Le risque est de parodier le passé. L’équilibre est donc difficile à trouver, entre fidélité à l’histoire et liquidation des superstitions, en laissant « laisser les morts enterrer leurs morts58 » et peut-être en faisant table rase du passé. Pour Walter Benjamin au contraire, il faut répondre à son appel, ce « rendez-vous tacite entre générations » « Rien de ce qui eut lieu n’est perdu pour l’histoire », écrit-il. Benjamin parle d’une « constellation », rencontre sous la forme d’un choc, d’une collision, entre Autrefois et Maintenant59. Dans ces rencontres, constellations temporelles formées comme des étincelles, le passé devient actuel : il n’est plus neutralisé. L’engagement est tourné vers les vaincus de l’histoire, par « la reviviscence insoutenable des ancêtres asservis60 », selon la formule que Bensaïd a pour lui.
Intempestif : le mort n’est pas si mort.
En 1993, à contre-courant des modes de pensée dominants qui ont cru pouvoir enterrer Marx – « Marx is dead » avait titré Time dès 1977 –, Jacques Derrida publie Spectres de Marx. Il affirme croire « à la vertu politique du contretemps ». Selon Derrida, « le mort n’est pas si mort » et vient de toute évidence hanter encore les consciences. Lui ne veut en aucun cas se lancer dans une exégèse apaisée du corpus marxien qui le neutraliserait et finirait par l’anesthésier ; il refuse de l’« énerver » au sens strict du terme : lui retirer les nerfs, la force révolutionnaire. Toutefois, Derrida ne retient de Marx ni l’analyse des modes de production, ni la lutte de classes, ni l’organisation. Parallèlement, puis plus tard en dialoguant avec Derrida61, Daniel Bensaïd travailler sur Marx l’intempestif. « Audacieux passeur du possible », Marx incarne un contretemps, une brèche. « Loin de s’effacer dans son sillage, le passé continue à hanter le présent ». Ce présent peut revêtir des travestissements, des noms d’emprunt. Ici, la référence est psychanalytique : dans l’inconscient, passé et présent ne sont pas forcément consécutifs ; ils coexistent. Comme le dit Jean-Bertrand Pontalis, « le temps ne passe pas62 ». Dans Marx l’intempestif, Bensaïd fait allusion à l’« archéologie freudienne » : Freud avait imaginé l’espace psychique à la manière de la Ville éternelle, celle où tant de strates historiques font plus que voisiner mais cohabitent ; Rome, cité des temps multiples, formerait la plus belle image de ces temps entremêlés. Mais le travail de Bensaïd reste évidemment et avant tout politique. Or pour lui, « la politique est très exactement le point de rencontre entre ces temps désaccordés ». Il faut revenir à Marx – et ce mort n’est pas si mort.
Inactuel ou intempestif parce qu’il oppose à l’idéologie et aux pratiques dominantes de son temps, Marx pense le contretemps et le conflit de classes « dans les failles et les fractures de cette discordance des temps ». Pour Daniel Bensaïd, c’est une nouvelle fois, dans ce livre, une manière de s’en prendre aux visions de l’histoire mécanique et linéaire, à l’optimisme trop confiant sur « la fin des temps ». Marx, justement, « ne marche pas aux promesses finales et au jugement dernier ». Il faut penser au présent et non au futur antérieur : dit autrement, ne pas se contenter de grandes envolées sur la société telle qu’elle serait ou bien sera, mais continuer de lutter ici et maintenant, poursuivre le travail stratégique dans et par la lutte63. Bensaïd polémique aussi avec le philosophe marxiste Jon Elster sur les enjeux de la révolution. Celle-ci ne doit pas se concevoir comme l’aboutissement assuré d’un temps où l’on aurait bien vérifié que toutes les conditions sont réunies pour la mener. Non : il y a toujours, dans la révolution, une imprudence, un élan qui ne se calcule pas tactiquement. Mais cette imprudence elle-même est créatrice. « Une révolution “juste à temps”, sans risques ni surprises, serait un événement sans événement, une sorte de révolution sans révolution. Actualisant un possible, la révolution est par essence intempestive et, dans une certaine mesure, toujours “prématurée” ». La révolution, il faut la voir logée dans deux temporalités imbriquées : celle du temps long, où se transforment lentement la morale, l’éthique et les modes de vie, et celle du surgissement de l’événement, « dans l’étonnement de sa propre irruption64 ».
Daniel Bensaïd livre alors une réflexion sur le temps du capital et de l’exploitation, dans les pas de Marx qui scrutait « avec une attention horrifiée ce despotisme temporel dont les rapports et enquêtes de fabrique dévoilent le rituel » : temps réglé sur l’horloge publique, sur celle du chemin de fer, sur la cloche de l’usine. La logique du capital exige de convertir la durée en intensité. « Temps mécanique de la production, temps chimique de la circulation, temps organique de la reproduction s’enroulent et s’emboîtent ainsi, en cercles de cercles, jusqu’à déterminer les motifs énigmatiques du temps historique, qui est celui de la politique ». Sous le poids de l’exigence capitaliste, on assiste à la réduction de l’être au temps. Le taylorisme en est la marque de fabrique, avec son rapport implacable au temps machinal de la montre et à l’automatisation. C’est l’essence même de l’aliénation, comme une étrangeté à soi-même.65
Ce sera long…
Daniel Bensaïd vient alors de fonder la Société pour la résistance à l’air du temps, avec l’éditeur François Maspero, les écrivains de polars Jean-François Vilar, Thierry Jonquet et Didier Daeninckx. Les études sur Marx comme les usages de Marx, peu à peu, se revitalisent. « Mille marxismes », peut-être selon l’expression d’Immanuel Wallerstein reprise par André Tosel. Et avec eux un anticapitalisme réaffirmé.
C’est encore ce qu’il défend dans son Éloge de la résistance à l’air du temps, long entretien avec le journaliste Philippe Petit. Il ironise sur « la fin de l’histoire » et autre « fin des idéologies » – dont on sait combien la proclamation est en soi idéologique. En réalité, « toutes ces fins n’en finissent pas de finir »… Discutant des thèses défendues par Alain Badiou, Toni Negri et Jacques Rancière sur leurs philosophies respectives de l’événement, Bensaïd en défend l’intransigeance, leur « refus de se rendre aux raisons dominantes ; de se plier à la logique du consensus, de l’apaisement et de la réconciliation générale ; de sacrifier à l’adieu aux armes post-soixante-huitard ». Pour autant, il critique ce qu’il perçoit comme une réduction à l’événement, ne laissant pas assez de place à l’entre-deux, au temps d’entre les flamboyances, le temps long des intermittences. Cela pourrait bien être selon lui au fond une approche trop esthétique, peut-être trop philosophique : un évitement du politique. D. Bensaïd entend laisser place au contraire aux processus, aux déploiements ; il renvoie à la notion de « révolution permanente » qui permet le lien entre l’événement et la durée, rupture et continuité. « Sans ce lien, il n’y a plus que l’opportunité de l’instant, la tactique au fil de l’eau, sans boussoles ni principe. » Daniel Bensaïd retrouve une part du messianisme lorsqu’il cite, non sans ironie, le prophète Jérémie… Avec cette phrase toute simple mais lourde d’un horizon où sera plus que jamais nécessaire la lente impatience : « Ce sera long »… Tant il est vrai qu’en cette fin des années 1990 semblent s’imposer « un cimetière d’espérances », « un champ de ruines ». « C’est de là qu’il faut bien repartir.66 »
« Elle a bon dos, la vie. Il a bon dos, le vent.67 » Daniel Bensaïd ne peut ni ne veut évidemment cacher son mépris pour les justifications apportées aux retournements, revirements, reniements, les autosatisfactions repues de quelques anciens de Mai, y compris ceux qui furent de proches camarades, comme Henri Weber, sénateur désormais. Ils aiment à dire qu’eux n’ont pas changé, que c’est la vie, le vent, l’air du temps. À cet air du temps supposé, celui des conformismes et des conformités, à tous les « c’est comme ça », Daniel Bensaïd aura à cœur de résister. Jusqu’au bout. Jusqu’au bout.
Mai-Juin 1968 avait dessiné « d’extraordinaires brouillons de futur68 ». Il a fallu en rabattre ensuite sur cet imaginaire et les projets révolutionnaires. Mais ils ne se tarissent jamais tout à fait et reviennent à rythme régulier ; ils ne s’enfouissent pas dans le temps comme de l’eau versée sur du sable ; ils se retissent doucement. C’était une conviction pour Daniel Bensaïd. Le titre de son dernier livre le dit avec simplicité : « Tout est encore possible69 ». Et ce possible, il est toujours temps non de le voir arriver – ce qui renverrait à une fatalité qu’il récusait –, mais de le faire advenir.
Donc, une résistance à l’air du temps : voilà bien un projet incarnant tout ce à quoi Daniel Bensaïd a tenu toute sa vie de théoricien, de philosophe et militant. Il fallait, comme il le disait, ne pas céder à l’injonction des vainqueurs, ne pas se rendre à leur victoire, ne pas rentrer dans leurs rangs. Quitte à être parfois à contre-courant et même à contretemps. La temporalité a été un enjeu majeur de sa réflexion, ancrée dans un raisonnement stratégique où la subjectivité révolutionnaire apparaît nécessaire. Car Daniel Bensaïd était avant tout un stratège, s’efforçant, sans relâche, de rendre le marxisme évolutif, intempestif et vivant. Marx à ses yeux était un passeur du possible toujours audacieux, attentif à la subjectivité des femmes et des hommes faisant l’histoire. Dans cette lignée, Bensaïd défendait un volontarisme révolutionnaire contre l’objectivisme ; il travaillait à un marxisme du sujet, préoccupé par le kairos, moment propice à saisir comme une matrice de l’histoire à faire ; contre la mécanique des structures, il prônait l’initiative révolutionnaire. Il réfléchissait à l’histoire, aux temps, à la révolution qui n’est pas seulement un « grand soir » mais un travail de longue durée même s’il est, également, un événement. Et c’est sur des enjeux stratégiques qu’il a toujours eu à cœur de se pencher, tous appuyés sur l’« auto » de l’autonomie, de l’auto-organisation, de l’auto-activité sociale et politique, refusant la résignation et la passivité : assemblées générales souveraines, comités de grève et de quartier, collectifs de riverains, comités de contrôle des prix, assortis d’un front unique de la base au sommet. Il soutenait une perspective socialiste forte d’une planification démocratique : en somme, une démocratie soviétique, non au sens d’un stalinisme pétrifié et meurtrier, mais de conseils-comités vivants et agissants. Soucieux d’une lutte antibureaucratique acharnée, Daniel Bensaïd n’a eu de cesse de rappeler ce qu’il est permis d’espérer : « un monde où le droit à l’existence l’emporte sur le droit de propriété, le pouvoir populaire sur la dictature marchande, la logique des besoins sur celle des profits, le bien public sur l’égoïsme privé70 ».
Ludivine Bantigny
- Daniel Bensaïd, Éloge de la résistance à l’air du temps. Conversation avec Philippe Petit, Paris, Textuel, 1999, p. 21. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif. Grandeurs et misères d’une aventure critique (XIXe-XXe siècles), Paris, Fayard, 1995, ↩︎
- Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, La découverte/ Zones, 2010 rééd. 2013, p. 369. ↩︎
- Georges Steiner, Proofs and Three Parables, trad. fr. Épreuves, Paris, Gallimard, 1993. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Éloge de la résistance à l’air du temps, op. cit., p. 14-15 et p. 35. ↩︎
- Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anatomie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Paris, Stock, 2004, p. 48-49. ↩︎
- Ibid., p. 39. ↩︎
- Florence Johsua, « “Nous vengerons nos pères…”. De l’usage de la colère dans les organisations politiques d’extrême gauche dans les années 1968 », Politix, 2013/4, n° 104, p. 203-233. ↩︎
- Edwy Plenel, Secrets de jeunesse, Paris, Stock, 2001, p. 144-145. ↩︎
- Une lente impatience, op. cit., p. 57-58. ↩︎
- Ibid., p. 112. ↩︎
- Avant-Garde Jeunesse. Journal de la Jeunesse communiste révolutionnaire, n° 12, mai 1968. ↩︎
- Supplément au n° 29 de La Quatrième Internationale, 3 juin 1968, La Contemporaine F delta 137 Rés/1968/1. ↩︎
- André Barjonet, La Révolution trahie de 1968, Paris, Les éditions John Didier, 1968, p. 6 ; Jacques Sauvageot, « Les ouvriers réclament avec nous un gouvernement populaire », Le Nouvel Observateur, n° 185, 30 mai 1968. ↩︎
- Service des Renseignements généraux, 27 juin 1968, Archives départementales du Pas-de-Calais, 1W44493. ↩︎
- Daniel Bensaïd, La Discordance des temps. Essais sur les crises, les classes, l’histoire, Paris Éditions de la Passion, 1995 ; Dionys Mascolo, Le Communisme, Paris, Gallimard, 1953, p. 332 (cité ibid., p. 9) ; Une lente impatience, op. cit., p. 29. ↩︎
- Éloge de la résistance à l’air du temps, op. cit., p. 18. ↩︎
- « Les impératifs actuels de l’action révolutionnaire », 2 juin 1968, La Contemporaine F delta RES 578/2. ↩︎
- « C’est en quelque sorte l’avenir du passé qui est en question. » (Paul Valéry, Variétés, II, Paris Folio, 1998, p. 336) (cité in Une lente impatience, op. cit., p. 19). ↩︎
- Daniel Bensaïd, La notion de crise révolutionnaire chez Lénine, mémoire de maîtrise, université de Nanterre, 1968. http://danielbensaid.org/La-notion-de-crise-revolutionnaire ↩︎
- Une lente impatience, op. cit., p. 112-117. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Henri Weber, Mai 1968 : une répétition générale, Paris, Maspero, 1968, p. 171-172. ↩︎
- Une lente impatience, op. cit., p. 111. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « Les intellectuels du PCF dos au stalinisme », in Contre Althusser, Paris, 10/18, 1974, p. 297-299 (« Althusser et la “déviation stalinienne” »). ↩︎
- Jean-Marie Brohm, « Louis Althusser et la dialectique matérialiste », ibid., p. 27, 54 et 57. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « Grève générale, front unique, dualité de pouvoir », Critique communiste, n° 26, janvier 1979, p. 72. ↩︎
- Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche, op. cit., p. 315. ↩︎
- Ligue communiste, Bulletin rouge de discussion « Le contrôle ouvrier », novembre 1969, La Contemporaine Q pièce 8316. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Henri Weber, Mai 1968 : une répétition générale, op. cit., p. 53-55. ↩︎
- Alain Krivine écrira à ce sujet que, pour avoir une « compréhension lucide du danger qui le guettait », le basculement dans le sectarisme, le courant se devait de nouer des liens avec les « organisations de masse » : « un syndicat, une association de locataires, un comité antiraciste ou un groupe féministe. Bref, un regroupement où l’on pouvait côtoyer des gens normaux… » (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Paris, Flammarion, 2006, p. 84-85). ↩︎
- Daniel Bensaïd, « Grève générale, front unique, dualité de pouvoir », Critique communiste, n° 26, janvier 1979, p. 72. ↩︎
- Ernest Mandel, « L’autogestion socialiste », Conférence ouvrière du Front communiste révolutionnaire et des groupes Taupe rouge, 1er-3 juin 1974, archives La Contemporaine non classées. ↩︎
- Idem ↩︎
- Daniel Bensaïd, Sami Naïr, « À propos de la question de l’organisation : Lénine et Rosa Luxemburg », Partisans, n° 45, décembre 1968-janvier 1969, p. 11. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « À propos de “Fascisme et dictature”. Poulantzas, la politique de l’ambiguïté », Critiques de l’économie politique, n° 11-12, avril-septembre 1973, p. 268 sq. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « Nicos Poulantzas, La Crise des dictatures : Portugal, Grèce, Espagne », Critique communiste, juin-juillet 1975, p. 127. ↩︎
- Nicos Poulantzas, Henri Weber « L’État et la transition au socialisme », entretien cité, p. 19. ↩︎
- Antoine Artous et Daniel Bensaïd, « À l’Ouest, questions de stratégie », Critique communiste, n° 65, 1987, p. 20. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « Grève générale, front unique, dualité de pouvoir », Critique communiste n° 26, janvier 1979, p. 55 sq. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « Eurocommunisme, austromarxisme et bolchevisme », art. cité, p. 194. ↩︎
- Daniel Bensaïd, « À propos de “Fascisme et dictature” », art. cité, p. 281. ↩︎
- Bulletin intérieur, texte des bureaux des cellules SNCF et Dassault, 1970, La Contemporaine, F delta 427. ↩︎
- Daniel Bensaïd, La Révolution et le pouvoir, Paris, Stock, 1976, p. 415-428. ↩︎
- Frédérique Vinteuil, « Militer sans mythologie », Critique communiste, n° 11-12, décembre 1976-janvier 1977, p. 63-71. ↩︎
- Maud, Prisca, Hoffmann, Madras, « Vie quotidienne et action communiste. Texte de travail de la T3 », s. d. [octobre 1976], La Contemporaine F delta 427. ↩︎
- Daniel Bensaïd, La Révolution et le pouvoir, op. cit., p. 414-418. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Moi, la Révolution. Remembrances d’une bicentenaire indigne, Paris, Fayard, 1989, notamment p. 46 sq et p. 280. ↩︎
- Walter Benjamin, Gesammelte Schriften, I, 3, cité in Stéphane Mosès, L’ange de l’histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem, Paris, Seuil, 1992, p. 152. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Walter Benjamin. Sentinelle messianique à la gauche du possible, Paris, Plon, 1990, p. 92. ↩︎
- Stéphane Mosès, L’Ange de l’histoire. Rosenzweig, Scholem, Benjamin, Paris, Seuil, 1992, p. 23. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Walter Benjamin, op. cit., p. 59-61. ↩︎
- Michael Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire, Paris, PUF, 2001, p. 116. ↩︎
- Antoine Chollet, Les Temps de la démocratie. Incertitude et autonomie du présent, doctorat de science politique, dir. par Marc Sadoun, Institut d’études politiques de Paris, 2009, p. 419. ↩︎
- Walter Benjamin, « Über den Begriff der Geschichte » (1940) trad. fr. « Sur le concept d’histoire », Œuvres, III, Paris, Gallimard, 2000, p. 431. ↩︎
- Reyes Mate, Medianoche en a istoria. Comentarios a las Tesis de Walter Benjamin « Sobra el concepto de historia », 2006, trad. fr. Minuit dans l’histoire. Commentaire des thèses de Walter Benjamin « Sur le concept d’histoire », Paris, Mix, 2009, p. 20. ↩︎
- À ce propos voir notamment Hannah Arendt évoquant la « force inquiétante de s’installer par bribes dans le présent » que Benjamin confiait au passé (Walter Benjamin 1892-1940, 1968, éd. fr. Paris, Allia, 2007, p. 87) ; Rolf Tiedemann commentant chez Benjamin la « construction d’un passé chargé d’à-présent » (Études sur la philosophie de Walter Benjamin, 1973 trad. fr. Paris, Actes Sud, 1987, p. 156 ↩︎
- Karl Marx, Le Dix-Huit Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte (1852), Paris, Flammarion, 2007, p. 20 sq. ↩︎
- « L’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. […] car tandis que la relation du présent au passé est purement temporelle, la relation de l’Autrefois avec le Maintenant est dialectique » (Walter Benjamin, Paris capitale du 19e siècle. Le Livre des passages, Paris, Cerf, 1989, p. 479-480). ↩︎
- Daniel Bensaïd, Walter Benjamin, op. cit., p. 60. ↩︎
- Jacques Derrida, « Du marxisme. Dialogue avec Daniel Bensaïd » (1999), Sur parole. Instantanés philosophiques, Paris, Editions de l’Aube, 1999, rééd. 2005, p. 121. ↩︎
- Jean-Bertrand Pontalis, Ce temps qui ne passe pas, Paris, Gallimard, 1997, p. 13. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif. Grandeurs et misères d’une aventure critique (XIXe-XXe siècles), Paris, Fayard, 1995, p. 35, p. 12 sq, p. 26. ↩︎
- Idem, p. 69-71 et p. 112. ↩︎
- Idem, p. 95-97. ↩︎
- Éloge de la résistance à l’air du temps, op. cit., p. 76. ↩︎
- Une lente impatience, op. cit., p. 107. ↩︎
- La Révolution et le pouvoir, op. cit., p. 14. ↩︎
- Daniel Bensaïd, Tout est encore possible. Entretiens avec Fred Hilgemann, Paris, La Fabrique, 2010. ↩︎
- ↩︎