Le mardi 30 avril, la Confédération générale des travailleurs (CGT) argentine organisait des manifestations à Buenos Aires et dans plusieurs villes du pays (Mendoza, Jujuy, Cordoba, Rosario) contre la politique économique de la dictature et pour le retour à la démocratie.
Les forces armées quadrillaient les lieux de rassemblement. Malgré cette menace, les manifestants convergeaient en nombre vers les lieux de rassemblement. Cette combativité confirmait la montée de l’exaspération face à la crise économique et aux brutalités de la dictature, déjà perceptible lors des grèves et manifestations de juillet 1981. Bravant l’état de siège, les manifestants scandaient : « Va acabar, va acabar, la dictatura militar ! » (Elle va finir, la dictature militaire !). La répression fut d’une extrême brutalité.
Bilan : plusieurs morts et de nombreux blessés, à Buenos Aires et à Mendoza notamment ; plus de 2 000 arrestations à Buenos Aires seulement, parmi lesquels le secrétaire de la CGT, Saul Ubaldini.
Débarquement aux Malouines
Deux jours plus tard, une opération de débarquement des trois armes argentines était déclenchée aux îles Malouines, occupées depuis 150 ans par la Grande-Bretagne. Le drapeau argentin flottait sur Port Stanley (Falkland), aussitôt rebaptisé Puerto Rivero (Malvinas).
Pendant quelques heures, l’opération des militaires argentins a paru réussir. Les scènes de liesse populaire en Argentine même ont été largement exagérées par la propagande officielle et par la presse à sensation. Il n’en demeure pas moins que, dès le vendredi 2 avril au matin, le président argentin, le général Galtieri, recevait les représentants des partis d’opposition et les dirigeants de la CGT, qui allaient jusqu’à publier un communiqué invitant les travailleurs à se rassembler plaza de Mayo pour célébrer l’événement.
Mais, l’euphorie passée, l’entreprise de la junte apparaît pour ce qu’elle est : une fuite en avant et une aventure susceptible de précipiter sa chute.
Union sacrée autour de la couronne outragée
À Londres, ce fut aussitôt l’union sacrée autour de l’« honneur outragé » de la couronne. Pour l’empire en faillite, malade de ses 3 000 000 de chômeurs, c’est l’ultime humiliation.
La Chambre des communes a siégé un sacro-saint samedi, pour la première fois depuis la crise de Suez en 1956. On a invoqué les mânes de Winston Churchill. Le Daily Expres a écrit : « Il y a un voleur dans une de nos maisons et il doit en être éjecté. » Le ministre des Affaires étrangères, lord Carrington, s’est sacrifié en démissionnant pour apaiser l’opinion publique et couvrir le gouvernement conservateur. Enfin, 40 navires de guerre ont pris la mer avec un prince royal à bord.
Les enjeux de la crise des Malouines sont multiples. La presse a beaucoup insisté sur la présence possible de riches champs pétrolifères dans la zone. C’est un élément. Mais il faut insister tout autant sur la position des Malouines, qui permettent de contrôler la route de rechange de l’Atlantique au Pacifique par le cap Horn, au cas où la route de la Caraïbe et du canal de Panama deviendrait impraticable pour les États-Unis en raison de la situation révolutionnaire en Amérique centrale. Enfin, il y a les mobiles politiques intérieurs de l’Argentine : la recherche d’un sursaut chauvin pour accorder un sursis à la dictature ébranlée.
Toutes les puissances impérialistes ont manifesté leur inquiétude devant la crise des Malouines et leur désaveu de l’entreprise argentine. Ronald Reagan n’a pu éviter de manifester son ennui face à un conflit qui oppose « deux amis des États-Unis » ; en clair, deux alliés dans les tâches de maintien de l’ordre contre-révolutionnaire dans le monde. Les États-Unis ont voté la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’Argentine. Seul Panama a voté contre ; l’URSS et la Chine se sont réfugiés dans l’abstention.
L’Autriche et le Canada ont décidé l’embargo des livraisons d’armes à l’Argentine, l’Allemagne fédérale et la France ont suivi leur exemple.
Halte à l’intervention impérialiste britannique aux Malouines !
Contre le courant dominant de l’opinion britannique, nos camarades de l’International Marxist Group (IMG) ont pris une position sans ambiguïté contre l’intervention impérialiste britannique aux Malouines :
« Thatcher prépare la guerre non pour défendre les îles Malouines, mais pour défendre les intérêts économiques et militaires britanniques dans l’Atlantique Sud. Le premier devoir du mouvement ouvrier est d’arrêter cette aventure militaire.
« La marine britannique est haïe par tous ceux qui combattent pour la liberté dans le monde entier. Nous exigeons son retrait immédiat dans les eaux territoriales britanniques. Les conservateurs n’ont pas la moindre préoccupation pour la liberté et la marine ne défend en rien la liberté. Jusqu’à récemment, la Grande-Bretagne a soutenu à fond la junte répressive. Son indifférence à la démocratie est encore plus claire maintenant qu’elle a choisi le soutien militaire du Chili pour son aventure contre l’Argentine. Il y a seulement trois semaines, les conservateurs étaient impliqués dans un complot américain en vue d’une intervention argentine du Nicaragua.
« Historiquement, […] les 1 700 habitants actuels des Malouines sont des colons apportés par l’occupation coloniale britannique. Ils n’ont aucun droit territorial face à l’Argentine. On doit leur donner la possibilité de choisir entre demeurer sous l’administration argentine ou rentrer en Grande-Bretagne, ou encore aller s’établir où l’on voudra d’eux, avec une totale compensation financière à la charge du gouvernement britannique.
« L’action militaire impérialiste ne peut en aucun cas être considérée comme un moyen de renverser la junte argentine honnie. Une telle action militaire fournit au contraire la seule justification dont puisse se revendiquer la junte face aux masses argentines en lutte. Notre confiance et notre soutien vont au mouvement ouvrier argentin et à ses efforts pour jeter bas la dictature. » (Socialist Challenge, 7 avril 1982).
8 avril 1982
Inprecor n° 123 du 19 avril 1982