La politique à l’épreuve de la crise

precarite_salariat_2.gif
Partager cet article

Philippe Petit : Je pense à une formule de Deleuze : l’échec des révolutions n’a jamais empêché les gens de devenir révolutionnaires. Je n’en suis pas si convaincu, parce que dans l’image de révolution il y avait aussi un programme révolutionnaire. Même si on ne parle plus de table rase ou de page blanche, on est bien obligé de parler de programme. Tout cela pour dire qu’il n’y a plus de véritable programme, mais simplement (tu évoquais le mouvement des chômeurs), une façon de prendre le train en marche, d’accompagner, de chevaucher les mouvements. Mais est-ce que tout ça fait un programme de changement ?

Daniel Bensaïd : Il faut d’abord s’entendre sur l’idée de programme. En disant programme, on pense souvent à un modèle de société, et on suggère que nous en serions aujourd’hui orphelins. Pas d’accord : l’Union soviétique et les pays de l’Est étaient pour moi des anti-modèles.

Le programme, c’est autre chose. C’est un résumé, un condensé d’expériences réelles. Pas une invention arbitraire et abstraite, mais la projection sur la ligne d’horizon de tendances réellement à l’œuvre. On ne peut faire comme Touraine dans Le Grand Refus: au nom de sa sociologie de l’(in)action, il récuse le titre de « mouvements sociaux » aux luttes de 1995 sur le service public et la protection sociale, sous prétexte qu’elles manquaient de contenu propositionnel et étaient purement protestataires ou – pire – corporatives. C’est terriblement normatif.

Et c’est faux. Dans un mouvement de cette importance, il y a débat, propositions, réflexions, sur la démocratisation du service public, sur une politique de santé alternative, sur les formes de solidarité sociale. Les idées viennent en luttant (et en marchant ou en pédalant, tous les randonneurs le savent). Il suffit de lire les documents syndicaux pour le vérifier, même s’ils ne jouissent pas d’un large écho médiatique. Il faut donc commencer par se mettre en marche. Après de lourdes défaites, les projets et l’espérance repoussent à ras-du-sol, dans l’humilité du quotidien. Mais ils repoussent. Ça ne fait certainement pas un palais programmatique du jour au lendemain, peut-être une simple chaumière pour commencer. Mais ça prend forme.

precarite_salariat_2.gif

precarite_salariat_2.gif

Documents joints


Partager cet article