Mitterrand

La République nous appelle

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Plus de 4 000 personnes à Bordeaux. Plus de 4 000 à Clermont-Ferrand : double succès psychologique et numérique de Mitterrand dans les fiefs respectifs de Chaban et de Giscard. C’est aussi une façon d’apparaître comme le candidat de tous les Français. Mitterrand y tient d’autant plus que ses chances prennent tournure et que, déjà, le débat sur la composition éventuelle d’un gouvernement de gauche a démarré. De son côté, Gaston Deferre a en effet affirmé à Périgueux samedi : « J’accepterai le poste que François Mitterrand me confiera. »

Déjà, pendant la campagne législative de 1973, Mitterrand avait annoncé que si la gauche gagnait, elle « garderait » Pompidou, à condition qu’il respecte l’alternance. Aujourd’hui. Mitterrand persévère, les rôles étant renversés.

Dès jeudi matin, au petit-déjeuner de France Inter, il annonçait qu’il formerait un gouvernement conforme à la majorité présidentielle, avec un Premier ministre socialiste. La rumeur chuchotait le nom de Gaston Deferre. Au cas où la majorité parlementaire censurerait ce gouvernement, il y aurait dissolution de l’Assemblée et nouvelles élections. C’est le peuple qui décide : « Je désignerais alors un Premier ministre et un gouvernement qui épouseraient les contours de cette nouvelle Assemblée. »

Le choix, non démenti (et plutôt implicitement confirmé par l’intéressé) de Deferre, est significatif : l’ancien chantre de la grande fédération, de l’alliance au centre, qui s’est opposé à toute candidature unique avec le PC en 1969, c’est une main chaleureusement tendue à Servan-Schreiber et, bien au-delà, vers la droite. La promesse d’un gouvernement conforme aux contours de la nouvelle Assemblée, c’est la porte ouverte à tous les glissements, tous les déplacements d’alliances. Servan-Schreiber, d’ailleurs, s’en félicite.

Ni dosages, ni exclusives

Le PC s’inquiète, mais accepte. Invité à RTL vendredi soir, Marchais a estimé « raisonnable de considérer qu’un Premier ministre soit socialiste ». De même qu’il a envisagé « la possibilité de voir une ou deux personnalités n’appartenant pas aux partis signataires du Programme commun figurer dans un gouvernement de gauche ».

Quoi de plus logique, en somme ? Hier, on imaginait bien Pompidou président et Mitterrand Premier ministre. Pourquoi pas, demain, Mitterrand président et Mendès, Servan, voire Lecanuet Premier ministre ? Conformément aux contours de la nouvelle Assemblée !…

Car il n’est nulle part question de modifier immédiatement la Constitution. Ni même de changer la loi électorale avant de nouvelles élections : en abaissent le droit de vote à 18 ans et en instituant la proportionnelle, par exemple.

Au demeurant, ces complaisances envers la Constitution gaulliste ne datent pas d’aujourd’hui.

Mitterrand n’envisageait-il pas en Mai 68 de former sous sa houlette un gouvernement d’union « sans dosages, ni exclusives » ; c’est-à-dire composé de personnalités, choisies par lui seul, tant communistes que « républicaines ». À la manière de De Gaulle en 1945. comme Mitterrand se plaît à le rappeler…

Rouge, 22 avril 1974
www.danielbensaid.org

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