Névroses

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Névroses. La tentation autoritaire et disciplinaire de la République peut être d’autant plus forte qu’elle a une longue expérience du maintien de l’ordre social. L’ordre colonial fut son laboratoire.

On a pu s’étonner de l’émoi et des passions déchaînées par l’apparition de quelques foulards islamiques. L’effet, disproportionné à la cause, était révélateur d’un malaise bien français, des fragilités et des doutes mijotant derrière la fermeté affectée.

Avant même la fin de la guerre d’Algérie, Sartre écrivit sa retentissante préface aux Damnés de la Terre : « La France, autrefois, c’était un nom de pays, prenons garde que ce ne soit en 1961 le nom d’une névrose. » C’était en 1961 ? Et en 2005, donc1 ! La blessure narcissique de la « grandeur française » est allée depuis de mal en pis. Elle n’a cessé de s’envenimer. De défaites militaires en défaites morales. De la déroute de Dien Bien Phu à la torture en Algérie. De l’Empire chamarré, il ne reste que haillons et gravats. De la « voix de la France », que des effets de manche et de col pour faire mine de pouvoir encore « tenir son rang » ; et de la prétention à gauloiser le monde, la gestion mafieuse de l’ordre post-colonial, d’Abidjan à Lomé, du Rwanda à Mayotte.

Le voile islamique montre plus qu’il ne cache. Révélateur de frustrations nationales, il cristallise l’hystérie collective d’une puissance déclinante cramponnée à ses rêves et ses splendeurs défuntes2.

In Daniel Bensaïd, Fragments mécréants, Lignes, 2005
www.danielbensaid.org

Documents joints

  1. Les propos de Abdelaziz Gharbi font écho à ceux de Sartre : « Il faudrait coucher la France sur le divan d’un psychanalyste pour qu’elle assume son histoire coloniale, dont le refoulement fonde la persistance des discriminations » (in Dominique Vidal et Karim Boutrel, Le Mal-être arabe. Enfants de la colonisation, Agone, 2005).
  2. C’est ce qu’admet, à sa manière, Jacques Chirac dans son discours sur « le respect du principe de laïcité » (17 décembre 2003) : « Les débats sur la laïcité, l’intégration, l’égalité des chances, le droit des femmes, nous posent une même question : quelle France voulons-nous, pour nous et pour nous enfants ? »

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